- Photographiée à Auschwitz-I,
le 3 février 1943.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Berthe, Célina, Fays naît le 8 juin 1904 à Villiers-le-Roux (Charente – 16) où ses parents sont cultivateurs et où elle est élevée, dernière de trois enfants.
Après son mariage avec Raoul, Léandre, Sabourault, né le 24 novembre 1900 à Bernac (16), entrepreneur de maçonnerie, elle apprend le métier de coiffeuse en suivant des cours à Angoulême et installe un petit salon de coiffure dans une dépendance de leur maison, à Villiers-le-Roux (16).
Berthe et Raoul Sabourault sont des combattants de la première heure. Dès sa constitution, ils sont membres du Front national [1], reçoivent du matériel de Paris, le font parvenir aux différents points et logent des responsables de l’organisation…
Le 21 février 1942 au matin, se présente chez eux un homme qui se prétend membre de l’organisation et qui possède un “passe”. Il dit avoir perdu le contact à la suite des arrestations survenues en décembre. Il est sale, mal rasé. Les Sabourault l’accueillent, le nourrissent, lui font prendre un bain et Berthe qui est coiffeuse, le coiffe et le rase. Les Sabourault ne l’hébergent pas, mais consentent à lui indiquer l’adresse d’une personne susceptible de lui faire retrouver la liaison avec quelqu’un d’Angoulême.
Cet inconnu parvient ainsi à “loger” Paulette Brillouet et Marthe Meynard, laquelle avait déjà été arrêtée en décembre, puis relâchée.
Le lendemain matin, vers neuf heures, des policier français arrêtent le couple Sabourault, chez eux, devant leur fils, Jacques (ou Jack), âgé de neuf ans.
Berthe et Raoul Sabourault passent une semaine à la prison de Ruffec (16).
- Ruffec. La prison dans les années 1900.
Carte postalle. Collection Mémoire Vive.
Transférés à Paris, ils sont interrogés aux Renseignements généraux, où ils retrouvent les camarades de la chaîne d’hébergement de Paris aux Pyrénées. Raoul Sabourault est également durement torturé par la Gestapo (Sipo-SD).
Provisoirement détenue au Dépôt, Berthe Sabourault est écrouée le 23 mars à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e), au secret.
Le 24 août, elle fait partie des trente-cinq futures “31000” transférées au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas [2] (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122. Elle y est enregistrée sous le matricule 684.
Au cours du mois d’août, peut-être le même jour, Raoul y est conduit également. Enregistré sous le matricule n° 770, il est assigné à la chambre 209 du bâtiment central du fort. Le 20 septembre, son nom est inscrit sur la « Liste des victimes expiatoires [Sühnepersonen – SP] entrant en ligne de compte pour une éventuelle exécution le 21 septembre 1942 » ; 46 otages doivent être désignés pour une fusillade de représailles effectuée le lendemain au fort du Mont-Valérien [3]. La liste a été établie dans l’ordre alphabétique des noms et c’est dans cet ordre que les détenus sont appelés. Raoul Sabourault est le numéro 45, entre Octave Rabaté et Serge Choumoff (dont le nom a été orthographié avec un « S » !). L’officier allemand interrompt sa lecture avant leur désignation, puis l’achève avec trois détenus qui ont spécialement transférés depuis la Maison d’arrêt de Fresnes.
Parmi les fusillés figure Raoul Hédiart, de Ruffec (29e de la liste). Plus tard, Raoul Sabourault parvient à faire sortir un message dans lequel il témoigne : « …Mon regretté ami et camarade Raoul a été admirable par sa conduite. Son attitude avant et en face de la mort se compare à celle des héros. Que son courage serve de vertu et d’exemple pour tous, et qu’il soit rendu hommage à sa mémoire. »
Le 22 janvier 1943, Berthe Sabourault fait partie des cent premières femmes otages transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne, leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquant : « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » (transférée à Compiègne le 22.1).
Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL [4] Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir.
Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
- Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises
et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.
Berthe Sabourault y est enregistrée sous le matricule 31683. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie de la police judiciaire allemande : vues de trois-quart avec un couvre-chef, de face et de profil (la photo d’immatriculation de Berthe Sabourault a été retrouvée).
- Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.
Berthe Sabourault meurt du typhus à Birkenau le 17 avril 1943, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher). La veille de sa mort, elle délirait, disant à Louise Magadur, sa voisine au Revier, à laquelle elle s’accrochait : « Je reste avec toi. Ils vont venir me chercher pour le crématoire ». « Elle avait une haleine de feu, jamais je n’ai senti une haleine aussi brulante que la sienne », a rapporté Louise Magadur.
Le fils, Jacques Sabourault, recueilli par un oncle, menuisier à Villiers-le-Roux, apprend la mort de sa mère par Simone Loche.
En mars 1943, toujours détenu comme otage au fort de Romainville, Raoul Sabourault est classé parmi les internés à déporter dans un camp de catégorie 3 (Stufe 3 Schutzhaft) – la pire – avec le statut “NN”. Il parvient à transmettre un message à sa famille : « À adresser à Mme Ravaud Joséphine à Villiers-le-Roux par Ruffec (Charente) Le 24-3-43.
Chers parents. Je suis à la veille du départ. Peut-être pour demain ou bien après demain, mais en tout cas sous quelques jours. Naturellement, destination inconnue.
Depuis 7 mois que je suis considéré comme otage, je m’attends à tout, rien ne me surprendra. Le moral est excellent, jamais il ne flanchera ; et c’est en toute tranquillité que je prendrai connaissance des décisions qui me seront appliquées… Quelles qu’elles soient : le grand voyage ou la déportation. je les supporterai en vrai Français. Cependant d’après certains bruits, ce serait réellement […/…] pour la déportation. Sur cette dernière, il m’est absolument impossible de vous donner le plus petit renseignement. J’en ignore la destination, les buts et les conséquences. J’appartiens à une catégorie pour laquelle on applique le secret le plus absolu.
J’ai reçu votre colis et la totalité de son contenu. Il en faudrait un par personne et par semaine, encore serions nous loin d’être des costauds. Néanmoins, ma santé est solide et j’ajoute même excellente.
Selon des nouvelles clandestines venant de l’extérieur, B… [Berthe] se trouverait quelque part en All[emagne]. Peut être vous sera-t-il possible, si la présente vous parvient, de lui donner de mes nouvelles.
Chaque jour nous rapproche de la victoire et de la libération. Bonne santé et bons baisers à tous. J’embrasse paternellement celui que je n’oublie pas.
[signé :] Raoul »
Le 1er avril 1943, Raoul Sabourault est déporté au KL Mauthausen (matr. 25661) parmi ceux qui avaient échappé à la fusillade de septembre. Ils partent de la gare de l’Est dans des wagons de voyageurs, à dix par compartiment dans des voitures de 2e classe accrochées au train Paris–Berlin. À Trèves, les déportés sont transférés dans des wagons postaux rattachés à un autre train et sont acheminés au KL Mauthausen.
Raoul Sabourault est affecté au très meurtrier Kommando de Gusen où il succombe le 1er ou 3 août 1944.
Berthe Sabourault est homologuée lieutenant dans la Résistance intérieure français (RIF). À titre posthume, elle reçoit la Légion d’Honneur et la Croix de guerre avec étoile de vermeil. Homologué capitaine dans la RIF, Raoul Sabourault obtient la Légion d’Honneur et la Croix de guerre avec palme.
Leurs noms sont inscrits sur deux plaques commémoratives dans leur commune : une sur le monument aux morts, une autre dans l’église.
Notes :
[1] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN”, jusqu’à son changement d’appellation le 1er juin 2018).
[2] Les Lilas : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[3] Les fusillés du 21 septembre 1942 : le 18 septembre, Karl Oberg, chef supérieur des SS et de la police allemande en France depuis mai 1942, arrête : « Dans les derniers jours et malgré des avertissements exprès, des attentats ont à nouveau été commis par des criminels communistes contre des membres de l’armée allemande et des civils allemands. C’est pourquoi j’ordonne en représailles l’exécution de 116 Français dont 70 à Bordeaux et 46 à Paris, lesquels ont été trouvés coupables d’activités antiallemandes ou communistes ».
Deux jours plus tôt, le 16 septembre, la Sipo-Sd, qui a pris en charge la politique des otages initiée par le haut commandement militaire, décide d’organiser des fusillades massives en représailles de plusieurs attentats organisés par la résistance armée contre les forces d’occupation depuis le 11 août précédent, date des dernières exécutions. Au moment de la décision, le nombre de « victimes expiatoires » (Sühnepersonen) est fixé à quatre-vingt-quatre selon un barème multipliant par deux le nombre des militaires allemands tués ou blessés lors de ces actions. La région parisienne ne disposant pas d’autant d’otages fusillables, il est décidé de prendre des hommes détenus à Bordeaux (deuxième grande ville de la zone occupée), soit pour les conduire au Fort de Romainville, camp d’otages, soit pour les exécuter au camp de Souge ; c’est la deuxième solution qui sera retenue pour des raisons de “sécurité”.
Avant même les exécutions, le Docteur Horst Laube, responsable de la section II-Ju de la Sipo-SD en France, considère qu’il « ne serait pas recommandé de fusiller tout de suite tous les otages disponibles à Paris, afin qu’à l’avenir dans les cas imprévus, on puisse trouver à Paris des otages à tout moment ».
Entre temps, le 17 septembre à 21h55, la résistance communiste frappe le grand cinéma Rex, boulevard Poissonnière à Paris, réservé aux troupes d’occupation (Deutsches Soldatenkino) en faisant deux morts et dix-neuf blessés. Dans la mesure où le principe en avait déjà été fixé, la fusillade du 21 septembre n’est donc pas une conséquence directe de l’attentat du Rex, mais celui-ci augmente le nombre d’otages désignés, le “complément” étant trouvé à Bordeaux.
Le 21 septembre 1942, entre 9 h 20 et 10 h 47, quarante-six otages sont fusillés par groupe de cinq puis de trois, dans les fossés du fort du Mont-Valérien à Suresnes (Seine / Hauts-de-Seine).
Le 21 septembre 1942, soixante-dix otages, désignés parmi des détenus placés sous l’autorité de la Feldkommandantur 529 de Bordeaux, sont fusillés au camp militaire de Souge, commune de Martignas-sur-Jalle (Gironde – 33).
[4] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilise l’abréviation “KZ”.
Sources :
Charlotte Delbo Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1995), pages 259-260.
Pascal Baudoin, site Bienvenue dans le canton de Villefagnan, page Le monument aux morts de Villiers-le-Roux (lien inopérant en 2024).
Marion Queny, Un cas d’exception : (…) le convoi du 24 janvier, mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Lille 3-Charles de Gaulle, juin 2004, notamment une liste réalisée à partir du registre de Romainville (copie transmise par Thomas Fontaine), pp. 197-204, et p. 114.
Thomas Fontaine, Les oubliés de Romainville, un camp allemand en France (1940-1944), avec le concours du Conseil général de Seine-Saint-Denis, éditions Tallandier, 2005, pages 34-35, 46.
Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression…, 1940-1945, éditions Tirésias, Paris 2004, I.89. tome 1, pages 694-695, 702.
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 13-10-2024)
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