- Photomaton probablement saisi
à l’occasion d’une perquisition.
© Archives de la Préfecture de Police (APPo), Paris.
Angèle, Mélanie, Girard naît le 11 décembre 1894, à Paris 10e, fille unique de Gustave Girard, 26 ans, garçon de magasin, et d’Antoinette Dubois, 22 ans, journalière, domiciliés au 3 rue Bellot. Elle est orpheline au moment de la guerre. N’aimant pas son prénom d’Angèle, elle se fait appeler Renée.
Comptable, elle fait aussi du secrétariat.
Elle habite pendant un temps au 49, avenue des Ternes.
Son activité de militante communiste est toute sa vie et elle semble ne pas avoir de vie privée ; elle est célibataire.
En 1936, Angèle “Renée” Girard devient la secrétaire parlementaire de Prosper Môquet, député communiste de la troisième circonscription (quartier des Épinettes) du 17e arrondissement (et père de Guy Môquet). Dans les années du Front populaire, elle travaille aussi à Regards, hebdomadaire illustré publié par le Parti communiste…
Le 26 juillet 1940, elle est arrêtée alors qu’elle distribue des tracts aux abords d’une soupe populaire de l’armée allemande. Détenue pendant deux mois et demi à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e), elle est finalement relaxée par les autorités d’occupation.
En 1942, Angèle “Renée” Girard est agent du Front national [1]; elle n’a pas d’emploi salarié ; elle est à la disposition de la résistance vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Elle habite seule dans un petit logement au 166, avenue de Clichy, à Paris.
Les inspecteurs des brigades spéciales des renseignements généraux de la préfecture de police notifient ses contacts avec plusieurs résistants : Pierre Lacan, ex-journaliste à L’Humanité chargé dans l’O.S. de l’édition, de la diffusion de notices de sabotages et de fabrication et d’utilisation des explosifs, Étiévant, Julien Landragin, typographe, et Maurice Grandcoing, responsable militaire du PC clandestin. Le premier rendez-vous au cours duquel elle est repérée en compagnie de Lacan, le 14 avril 1942 à 17 h 45, se tient face au 68, avenue de la République, raison pour laquelle les inspecteurs la désignent provisoirement, afin de l’identifier, sous le surnom de « femme République ».
Elle quitte son domicile lorsqu’elle s’aperçoit que l’immeuble est surveillé, mais en y laissant des affaires.
Le 18 juin 1942 à 18 heures, place du Châtelet, elle est appréhendée dans le cadre de surveillances effectuées par des inspecteurs de la BS1 alors qu’elle cherche vraisemblablement le contact avec Landragin (ultérieurement, Charlotte Delbo, relatera qu’elle a été arrêtée en retournant chez elle pour y prendre du linge). Angèle “Renée” Girard est prise dans l’« affaire Tintelin et autres » [2]. Lors de son arrestation, elle porte un sac à provision contenant des tracts et des journaux communistes, ainsi que des documents manuscrits relatif à l’impression de la presse clandestine, notamment des projets d’articles destinés à la composition du n° 2 du journal France d’abord.
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- Photo anthropométrique prise vers le 20 juillet 1940
par le service de l’identité judiciaire.
© Archives de la Préfecture de Police (APP), Paris.
Le 20 juin, elle est emprisonnée au dépôt avec les autres inculpés de la même affaire.
Elle y reste jusqu’au 10 août 1942, date à laquelle elle est transférée au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas [3] (Seine / Seine-Saint-Denis), avec toutes celles qui avaient été arrêtées le même jour qu’elle. Angèle “Renée” Girard y enregistrée avec le matricule 611.
Le 22 janvier 1943, Renée Girard est parmi les cent premières femmes otages transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne, Oise (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquant « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »). Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié concernant les deux nuits et la journée passées à Royallieu, et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation… Mais Betty Jégouzo confirme ce départ en deux convois séparés, partis un jour après l’autre du Fort de Romainville. Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen [4], tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
Angèle Girard y est enregistrée sous le numéro matricule 31632. Le matricule de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois-quart, de face et de profil (la photo d’immatriculation d’Angèle Girard a été retrouvée et identifiée en 1947 par ses camarades rescapées).
- Photographiée le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.
Angèle “Renée” Girard meurt (au Revier de Birkenau) le 13 avril 1943, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher). « Je l’ai vue morte, assise, les yeux ouverts, les cheveux tout droits, des cheveux gris », a rapporté Rolande Vandaële, entrée au Revier à cette époque.
Seule au monde, Renée Girard avait demandé que celles qui reviendraient préviennent les camarades de sa cellule du PCF, dans le 17e arrondissement. « En 1964, personne n’a encore déclaré son décès à l’état civil et, bien que son logement soit occupé par d’autres locataires, les quittances de loyer sont toujours à son nom. » (Ch. Delbo)
Notes :
[1] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN”, jusqu’à son changement d’appellation le 1er juin 2018).
[2] « Affaire Tintelin et autres » : à la suite des arrestations de l’affaire Pican-Cadras, les Renseignements généraux commencent la filature d’un résistant ayant pour pseudonyme « Ambroise ». Sans le savoir, Arthur Tintelin met les inspecteurs sur la piste de l’appareil technique de propagande du Parti communiste clandestin, le réseau des imprimeurs qu’il coordonne. Elle aussi filée, l’agent de liaison de ce groupe, Renée Pitiot, conduit les policiers vers ses nombreux contacts. Dans la nuit du 17 au 18 juin 1942, le coup de filet de la police entraîne l’arrestation d’une soixantaine de personnes dont Angèle Girard, Alice Boulet… Le 11 août 1942, 88 hommes sont fusillés comme otages au Mont-Valérien, dont des membres du réseau des imprimeurs, Arthur Tintelin, Henri Daubeuf, Pierre Galesloot, Pierre Hardenberg, Eugène Houdart, Gustave Pitiot, Henri Maillard, et d’autres maris de futures “31000” : Marcel Éthis, Alphonse L’Huillier,…
[3] Les Lilas : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne” (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[4] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilise l’abréviation “KZ”
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), page 129.
Bulletin de l’Amicale d’Auschwitz n° 17 de septembre-octobre 1947.
Marion Queny, Un cas d’exception : (…) le convoi du 24 janvier, mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Lille 3-Charles de Gaulle, juin 2004, notamment une liste réalisée à partir du registre de Romainville (copie transmise par Thomas Fontaine), pages 87, 88, 197 et 215.
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), site du Pré-Saint-Gervais ; archives de la brigade spéciale anticommuniste (BS1) des renseignements généraux de la préfecture de police, Affaire Tintelin Arthur Henri (GB 36).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué) ; 120 actes retrouvés pour les « 31000 » ; tome 2, page 348 (15361/1943).
MÉMOIRE VIVE
(dernière modification, le 6-10-2016)
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