Franciska Goutayer naît le 19 avril 1900 à La Guillermie (Allier), fille de Pierre Goutayer, 35 ans, artisan coutelier, et de Marie Pételet, 29 ans, son épouse, domiciliés au lieu-dit Fumoux. Les témoins lors de la déclaration du nouveau-né à l’état civil sont deux autres couteliers.
À sa naissance, Franciska a deux sœurs, Claudia, née vers 1892, et Marguerite, née vers 1894, et un frère, Antoine, né vers 1897, tous à La Guillermie.
En 1926, Franciska a quitté le domicile parental.
Par la suite, elle s’installe à Tours (Indre-et-Loire – 37) avec son père (?).
Sous l’occupation, elle habite au 33, rue Bernard-Palissy, un petit logement vétuste au fond d’une impasse. Antoinette Bibault (voir ce nom) est alors une voisine.
Franciska Goutayer est serveuse au Restaurant Parisien, près de la gare de Tours.
Elle est arrêtée chez elle un soir, en rentrant de son travail. Elle avait l’habitude de laisser sa clé dans une anfractuosité du mur, près de la porte, afin que le premier arrivé – son père ou elle – la prenne. Ce soir-là, la clé n’est pas à sa place : deux Allemands de la Gestapo se sont installés dans le logement, ayant su où prendre la clé, parce qu’Antoinette Bibault leur en avait indiqué la cachette.
Pourquoi sa voisine l’a-t-elle dénoncée ? Pour un tract que Franciska avait trouvé sous sa porte. Mais celle-ci faisait aussi franchir la ligne de démarcation à des fugitifs, ce que les rescapées apprendrons par une de ses camarades de travail.
Pendant un temps, Franciska Goutayer est détenue à la Maison d’arrêt de Tours, rue Henri-Martin.
À l’aube du 6 novembre 1942, Franciska Goutayer et Antoinette Bibault sont parmi les dix-sept prisonnières extraites de leurs cellules pour monter dans deux cars stationnant devant la prison. Dans l’un d’eux se trouve déjà Marcelle Laurillou, détenue depuis deux mois à l’école prison Michelet.
Les véhicules s’arrêtent rue de Nantes et les dix-huit détenues sont menées dans la gare de Tours par une porte annexe, échappant ainsi aux regards de la population. Sur le quai, des soldats allemands montent la garde devant le wagon à compartiments où elles doivent prendre place.
À midi, leur train s’arrête à la gare d’Austerlitz, à Paris. On les fait entrer dans une petite salle d’attente équipée de bancs, où des bénévoles de la Croix-Rouge distribuent à chacune un bol de bouillon « Kub » et une tranche de pain noir. Un agent de police française est là pour les accompagner aux toilettes.
Après une attente de plusieurs heures, les prisonnières – toujours encadrées par des soldats – doivent monter dans deux autobus de la RATP.
Dans la soirée, elles arrivent dans la brume au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122.
À la Kommandantur du camp, derrière le portail d’entrée, Franciska Goutayer est enregistrée sous le matricule 1166. Puis les Tourangelles sont conduites en contrebas du fort. Les gardiens leur annoncent qu’il est trop tard pour les installer dans le bâtiment de caserne : elles seront enfermées dans une casemate pour la nuit. Il est également trop tard pour leur donner à manger : à cette heure, il n’y a plus rien aux cuisines. Mais d’autres prisonnières ayant appris leur arrivée obtiennent l’autorisation de leur apporter des biscuits extraits de leurs propres colis et de la tisane chaude, qui leur procurent surtout un réconfort moral. Dans ce local souterrain humide et glacé, elles ne parviennent pas à dormir.
Le lendemain, elles sont conduites au premier (?) étage du bâtiment. Exceptées trois militantes communistes qui sont intégrées aux premières internées, les Tourangelles rejoignent la chambrée du fond.
Franciska – Cica désormais – s’occupe du feu, fait le ménage de la chambrée, se charge de faire cuire les haricots et les nouilles que ses camarades reçoivent et qu’elles mettent en commun. Antoinette Bibault est exclue de la communauté : Cica sait d’où vient la dénonciation, et la délatrice ne peut se justifier.
Au cours du mois de janvier, un photographe civil des Lilas est amené dans le périmètre de promenade pour y réaliser des portraits des détenu(e)s devant un drap blanc tendu sur les barbelés, chacun(e) étant identifié(e) par une réglette indiquant son matricule.
Selon le registre du camp, le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en cars au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22,1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »).
Le lendemain, Franciska Goutayer fait partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié concernant les deux nuits et la journée passées à Royallieu, et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation… Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.
Le lendemain matin, après avoir été brutalement descendues et alignées par cinq sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
Parvenues à une baraque d’accueil, une première moitié des déportées est emmenée vers la “désinfection” et l’enregistrement ; en l’occurrence essentiellement les occupantes de la chambrée “communiste” de Romainville, probablement en fonction de leur numéro d’enregistrement dans ce camp. L’autre groupe, incluant les Tourangelles et dans lequel de trouve Franciska, passe la nuit à attendre, assis sur les valises, adossé aux planches de la paroi.
Le lendemain, dans ma matinée, ce deuxième groupe reçoit la visite de Mala Zimetbaum, dite « Mala la Belge », détenue arrivée en septembre 1942 (matricule n° 19880) devenue interprète et coursière (Läuferin). Après s’être présentée, celle-ci leur conseille, entre autres : « Surtout n’allez jamais au Revier (hôpital), c’est là le danger. Je vous conseille de tenir jusqu’à l’extrême limite de vos forces. (…) Perdez-vous dans la masse, passez le plus possible inaperçue. »
Franciska Goutayer est enregistrée sous le matricule 31780. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rang de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois quarts, de face et de profil (la photo d’immatriculation de Franciska Goutayer a été retrouvée).
Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.
Début avril 1943, Cica, ayant de la fièvre, est admise au Revier de Birkenau. Elle est couchée dans un lit de 70 cm de large, collée à deux autres malades dont l’une a le bras droit pourri par la gangrène. Héléna Fournier, de Tours, va la voir en la suppliant de sortir, puisqu’elle n’a plus de fièvre. Mais Cica répond : « J’ai assez vécu ! » : il lui est égal de mourir. Elle succombe à son tour à la gangrène. Selon Héléna Fournier, elle a peut-être partagé cette couchette avec Germaine Jaunay, morte cependant un mois avant elle.
Franciska Goutayer meurt au camp de femmes de Birkenau le 24 mai 1943, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), qui indique « septicémie par phlegmon » pour cause mensongère de sa mort.
À leur retour, les rescapées n’ont pas retrouvé son fils, âgé d’une quinzaine d’années en 1942, qui était un peu débile et qu’elle avait placé dans l’Allier.
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), page 133.
Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : documents d’Auschwitz, liste de 13 décédés nés en France, extrait du Sterbebuch 1943, acte n° 19625/1943 (26 P 821).
Le cahier de Mémoires d’Héléna Fournier, transcrit par sa petite-fille, Carole Toulousy-Michel.
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 29-11-2021)
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