Photographiée au service de l’identité judiciaire, le 31 octobre 1942. © Archives de la préfecture de police.

Photographiée au service de l’identité judiciaire,
le 31 octobre 1942.
© Archives de la préfecture de police.

Marthe, Raymonde, Guay, dite “Violette”, naît le 15 octobre 1911 à Paris 12e,  au 19 bis rue Chaligny à Paris 12e – probablement chez une sage-femme -, fille d’Yvonne Barrier, 17 ans, mécanicienne en fourrure, domiciliée au 21 rue Kléber à Montreuil (Seine / Seine-Saint-Denis). Le 23 décembre 1916, à Montreuil, l’enfant est reconnue par André Guay, 18 ans, tourneur sur métal, à l’occasion de leur mariage. Ses parents deviendront militants communistes.

“Violette” grandit à Montreuil ; pendant un temps, la famille habite au 4 rue François Debergue. Après l’école communale et le certificat d’études, “Violette” apprend la mécanographie et la dactylographie.

Elle travaille d’abord comme employée de banque au Crédit Lyonnais.

Le 28 janvier 1933, à Montreuil, Marthe Guay se marie avec Jean Poroly, 23 ans, né le 21 septembre 1909 en Italie, métreur. Présent au mariage, André Guay, le père de la mariée, est alors devenu gardien de la paix
Le couple s’installe au 62 rue Tiquetonne (Paris 2e).
Mais Jean Poroly, devenu dessinateur, décède prématurément le 13 mars 1937 à l’hôpital de la Salpétrière (Paris 13e), âgé de 27 ans.

En octobre ou novembre 1937, lors de réunions du Secours populaire français, Marthe fait la connaissance d’Adrien Hébrard, né le 18 avril 1909 à Paris 2e, ayant adhéré au Parti communiste l’année de leur rencontre.

Mécanicien ajusteur de formation, Adrien Hébrard est veilleur de nuit depuis 1933. Pendant un temps, il habite chez ses parents au 57, rue Saint-Sauveur (Paris 2e), où il est considéré comme un « communiste notoire ».

Au cours de la guerre d’Espagne, Adrien Hébrard est parti combattre au sein des Brigades internationales. Pendant un temps, il est secrétaire du Comité Paris-Madrid au sein de la 2e section.

En mars 1938, “Violette” s’installe en qualité de concierge au 1 bis boulevard des Italiens. Son compagnon est alors employé de nuit au journal Ce Soir, quotidien d’obédience communiste dont le premier numéro est parut le 1er mars 1937. Par la suite (après l’interdiction du journal fin août 1939 ?), Adrien Hébrard sera également nettoyeur de carreaux à son compte. Jusqu’en mars 1942, Marthe sera dactylo à la compagnie d’assurances La Concorde.

Le 3 décembre 1938, le couple se marie à la mairie du 1er arrondissement. Marthe se déclare alors domiciliée au 21 rue Montorgueil. Ils n’auront pas d’enfant.

Le 30 octobre 1939, Adrien Hébrard est réformé définitif n° 2, décision confirmée le 13 mars 1940.

Le 10 avril 1940, le ministre de l’Intérieur demande aux Renseignements généraux (RG) de la préfecture de police un dossier de renseignement « au sujet de son activité suspecte ».

Pendant un temps, les Hébrard habitent au 12, rue Cadet (9e), qui restera leur domicile légal.

En novembre 1941, Adrien Hébrard rencontre un militant connu avant-guerre à la 2e section, Robert Paquin, employé de banque ou de commerce, qui lui demande s’il accepte de reprendre de l’activité dans la clandestinité. Suite à sa réponse positive, Hébrard est mis en rapport avec un responsable des cadres chargé d’effectuer une enquête à son sujet. Il cesse ensuite toute relation avec Paquin pour être pris en charge par un responsable se faisant appeler “Antoine”, lequel lui demande de quitter son domicile et de chercher un autre local. Hébrard trouve un pavillon de trois étages qu’il loue au nom du couple au 23, rue des Thermopyles (14e) – plutôt une ruelle -, quartier où ils sont inconnus. Chaque trimestre “Antoine” lui remet le montant du terme.

À partir du 1er mai 1942, Adrien Hébrard est appointé par l’organisation du Parti communiste interdit, pour installer et faire fonctionner une imprimerie clandestine. Dans la maison où il vient d’emménager, il imprime des tracts et des brochures sur deux machines à ronéotyper Gestetner. En juin, à la demande d’“Antoine”, il loue une remise au 25 rue Lacaze (14e), où il entrepose du matériel nécessaire à cette production (1000 feuilles de stencil vierges y seront découverts).

Antoine le met en relation avec un militant dénommé “Jean” et une femme dénommé “Lucie”. Hébrard ne connait ni l’identité réelle ni l’adresse d’aucun des trois. Lors de rendez-vous fixés à l’avance, “Jean” lui fournit tout le matériel nécessaire à l’impression et reçoit de ses mains les paquets de tracts confectionnés, dont il assure ensuite la répartition. “Lucie” a pour mission de répartir les paquets vers d’autres agents de liaison.

Adrien Hébrard n’assure qu’un rôle d’imprimeur, recevant d’“Antoine” des stencils déjà dactylographiés, prêts à l’emploi. Malgré sa formation, Violette ne s’occupe pas de la saisie des textes. Elle assiste son mari en tenant la comptabilité du matériel qu’il imprime, en en assurant la manutention, ainsi que la répartition et l’empaquetage. Sous le pseudonyme de « Simone », elle maintient la liaison avec “Antoine”, “Jean” et “Lucie” quand Adrien en est empêché.

À la suite de l’arrestation de Marcel Cretagne et de Solange Welter, les inspecteurs de la brigade spéciale “anti-terroriste” (BS2) trouvent chez cette dernière divers documents, parmi lesquels une feuille de papier portant trois adresses, dont le 12 rue Cadet, fond de la cour, 3e étage, où Solange Welter déclare qu’elle s’est rendue pour apprendre la sténo-dactylo auprès de la camarade qui y habitait. Qui plus est, Cretagne déclare que le logement a servi de planque à un membre de l’Organisation spéciale (O.S.) connu sous le pseudonyme de “Compiègne”. Après de nombreuses recherches des policiers, les Hébrard sont « logés ».

Le 31 octobre 1942, la perquisition opérée au 23, rue des Thermopyles amène a découverte d’un important matériel d’imprimerie : en plus des deux ronéos, cent kilos de papier, quarante-deux stencils dactylographiés, des milliers de tracts avec quatorze intitulés différents (10 000 France d’abord) et quelques centaines de brochures.

Les inspecteurs trouvent également un pistolet automatique Unic de calibre 6,35 mm, rouillé, avec un chargeur contenant quatre cartouches ; arme ayant appartenu au premier mari de Violette, « conservée en souvenir de lui » et n’ayant jamais servi aux actions armées. Ils découvrent aussi une carte d’identité vierge portant les cachets du commissariat de police d’Angers et une photographie de Marthe Hébrard (Adrien admettra qu’il devait lui aussi recevoir un tel « faux »).

Le couple est arrêté et conduit dans les locaux des renseignements généraux à la préfecture de police pour y être interrogé.

Paris. La préfecture de police vue depuis Notre-Dame. Carte postale des années 1900 (le bâtiment est alors la caserne de la Garde républicaine). Coll. Mémoire Vive.

Paris. La préfecture de police vue depuis Notre-Dame.
Carte postale des années 1900 (le bâtiment est alors la caserne de la Garde républicaine). Coll. Mémoire Vive.

Le cloisonnement clandestin a bien fonctionné : “Antoine”, “Jean” et “Lucie” ne peuvent alors être identifiés.

Le 7 novembre 1942, le commissaire principal des RG prie le chef du Dépôt près la préfecture de police « de bien vouloir recevoir et maintenir à la disposition des Autorités Allemandes qui les ont revendiqué les nommés » Hébrard.

Marthe Hébrard passe six semaines au Dépôt, une semaine à l’établissement pénitentiaire de Fresnes (Seine / Val-de-Marne). Le 12 janvier 1943, elle est transférée – seule – au Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis – 93), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122, où elle est enregistrée sous le matricule n° 1435.

L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122), surplombée par un mirador. © Musée de la résistance nationale (MRN), Champigny-sur-Marne (94).

L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).

Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »).

Le lendemain, Violette Hébrard fait partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris).

Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne – sur la commune de Margny – et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille, dont Adrien Hébrard.

TransportAquarelle

Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.

Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000” (accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…). © Gilbert Lazaroo, février 2005.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Marthe Hébrard y est peut-être enregistrée sous le matricule 31832, selon une correspondance pouvant être établie avec le registre des internés du Fort de Romainville. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie de la police judiciaire allemande : vues de trois-quart coiffée d’un couvre-chef (foulard), de face et de profil. La photo de Marthe Hébrard a probablement été détruite ; les rescapés n’ont pas identifiée “Violette” parmi celles retrouvées.

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où se trouvent des compagnes prises à la “course” du 10 février. Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Le Block 26, en briques, dans le sous-camp B-Ia ; perspective entre les châlits. La partie inférieure, au ras du sol, est aussi une “couchette” où doivent s’entasser huit détenues. Les plus jeunes montent à l’étage supérieur, où il est possible de s’assoir. Photo © Mémoire Vive.

Le Block 26, en briques, dans le sous-camp B-Ia ; perspective entre les châlits.
La partie inférieure, au ras du sol, est aussi une “couchette” où doivent s’entasser huit détenues.
Les plus jeunes montent à l’étage supérieur, où il est possible de s’assoir.
Photo © Mémoire Vive.

Charlotte Delbo relatera que Marthe Hébrard est morte en avril 1943 au Revier de Birkenau, mais en ajoutant : « Aucun témoignage ». Il semble également qu’aucune archive d’Auschwitz à son nom n’a été conservée…

Son mari, Adrien Hébrard, déporté en Allemagne vers le KL Sachsenhausen (matr. 59068) par le même train du 24 janvier 1943, est mort d’épuisement pendant l’évacuation du camp vers Bergen-Belsen.

Les parents de “Violette” n’ont appris sa mort qu’au retour des rescapées. Ils ont obtenu une pension à titre civil.

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), page 144.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : dossiers de la BS1 (GB 70, « affaire Hébrard », 08/09-1941.
- Marion Queny, Un cas d’exception : (…) le convoi du 24 janvier, mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Lille 3-Charles de Gaulle, juin 2004, notamment une liste réalisée à partir du registre de Romainville (copie transmise par Thomas Fontaine), pp. 197-204, et p. 114.
- Livre Mémorial de la FMD, convoi I.74, Hébrard Adrien, page 620.

MÉMOIRE VIVE
(dernière modification, le 12-05-2024)

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