- Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Claudine Guérin naît le 1er mai 1925 à Gruchet-la-Valasse (Seine-Maritime – 76), fille de Roger Guérin et de Lucie, née Couillebault, son épouse, tous deux instituteurs. Claudine a un frère plus jeune.
Jusqu’au premier baccalauréat, Claudine Guérin fait ses études à Trouville et à Rouen, suivant les affectations de ses parents.
En décembre 1935, sa mère, Lucie Guérin, syndiquée, adhère au Parti communiste. En 1937, elle est trésorière de la section d’Yvetot (Seine-Maritime), puis en 1938, membre du bureau de la section de Maromme (Seine-Maritime), membre de la commission « éducation », elle est une des dirigeantes départementales du Comité mondial contre la guerre et le fascisme et du comité Paix et Liberté.
Après la déclaration de guerre, le père de Claudine est mobilisé. À la suite de la Débâcle, il est fait prisonnier de guerre et envoyé en Allemagne.
Claudine Guérin rejoint rapidement l’action clandestine, effectuant des liaisons, transportant des journaux interdits comme La Vérité et L’Avenir normand.
En 1941, elle entre comme interne au lycée Victor-Duruy, à Paris.
Le 1er décembre 1941, sa mère, Lucie Guérin, devenue responsable départementale du Secours populaire clandestin pour le secteur de Rouen, est arrêtée, puis condamnée le 8 janvier suivant à huit ans de travaux forcés pour activité communiste et écrouée à la Maison d’arrêt pour femmes de Rennes (Ille-et-Vilaine).
Claudine poursuit son activité clandestine : de Paris, elle transmet des informations aux résistants de Seine-Maritime. Dans la capitale, elle a pour correspondante Marie-Louise Jourdan, qui héberge André Pican, un ami normand de longue date, mais aussi un cadre important du PCF clandestin.
En février 1942, André Pican, probablement dénoncé, est arrêté après avoir été longuement “filé”. Quand les policiers perquisitionnent chez les Jourdan, ils y découvrent une lettre de Claudine dans laquelle celle-ci s’indigne à mots couverts d’arrestations survenues en Normandie : « L’épidémie qui atteint nos amis de Seine-Inférieure ». Un peu plus loin, elle a un mot affectueux pour André Pican : « Dites à mon grand ami que je pense bien à lui. »
Le 17 février, Claudine Guérin est arrêtée dans son lycée par les Brigades spéciales. La directrice la chasse avec indignation de son établissement, lui interdisant de revenir après l’interrogatoire.
Une de ses camarades rescapées rapportera plus tard : « Très enfant d’allure, portant à peine ses 17 ans, avec ses boucles brunes, son jeune corps robuste rompu aux sports et aux exercices de plein air, telle nous apparut Claudine lors de son arrivée au Dépôt. »
Malgré les menaces, des promesses insidieuses de libération, les policiers ne parviennent à lui soutirer aucune information. Après les interrogatoires, Claudine Guérin revient auprès de ses compagnes en souriant. Mais, pendant cette garde à vue à la préfecture de police, elle tombe malade, ayant contracté les oreillons, et est hospitalisée à Claude-Bernard. Dès qu’elle est guérie, elle rejoint les autres membres du groupe au quartier allemand de la Maison d’arrêt de la Santé, confinée en cellule individuelle.
« L’isolement, l’inaction, la discipline sévère, la faim, la présence de la mort, tout autour d’elle ces hommes enchaînés qu’on torture au cours des interrogatoires, ces condamnés, ces otages qui partent tous les jours pour le peloton d’exécution en lançant à travers les fenêtres leurs derniers adieux, ces belles voix calmes et enthousiastes, ces voix sans visages, mais si familières, qui s’éteignent les unes après les autres en laissant un vide douloureux… Elle aussi crie courage à ceux qui vont mourir ; elle aussi chante, chaque soir, de sa voix jeune et fraîche, comme c’est la coutume à la prison, où les femmes chantent pour les condamnés. »
Par le « téléphone » (le tuyau des water qui permet de communiquer d’un étage à l’autre), Claudine Guérin fait connaissance avec son jeune voisin d’étage. Leur tout jeune âge les rapproche et ils se lient bientôt d’affection. Ils ne se sont jamais vus, mais ils connaissent tout l’un de l’autre. Ils parlent de leur retour à la liberté. Par le téléphone aussi, ils font des projets, confiants dans l’avenir.
Le 1er mai, les compagnes de Claudine lui souhaitent son dix-septième anniversaire en chantant aux vasistas des cellules.
Le 24 août, Claudine Guérin est parmi les vingt-cinq résistantes de la région parisienne transférées au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas [1] (Seine-Saint-Denis – 93), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122. Elle y est enregistrée sous le matricule n° 665. Son visage est déjà boursouflé par l’œdème du prisonnier, causé par la faim.
Elle est adoptée par toutes les résistantes prisonnières, fière d’être des leurs, toujours souriante, ne se plaignant jamais des misères de la captivité. Elle suit tous les cours avec ardeur : français, mathématiques, histoire, géographie, anglais, allemand, solfège, diction (pour n’être pas trop en retard dans ses études quand elle sortira, dit-elle).
Parmi les hommes du camp, qu’un grillage sépare des femmes, Claudine adopte un filleul, comme toutes ses compagnes, entretenant son linge, lui tricotant un pull-over avec des bouts de laine, s’ingéniant à lui faire plaisir. L’armée d’occupation désigne celui-ci dans une liste d’otages qui doit partir pour l’exécution le lendemain, autorisant une dernière entrevue de ces hommes avec celles de leurs femmes qui sont au camp. Avec audace, Claudine invente un lien de parenté avec son filleul et s’inscrit pour le voir, recueillant ses dernières volontés.
Un jour, Claudine reçoit de la prison de Rennes une lettre de sa mère, pour laquelle elle ressent une grande admiration, s’efforçant de lui ressembler avec application. Elle en est profondément émue et la lettre fait le tour de la salle. « Nous vivons tout à fait comme maman, dit Claudine avec fierté. Je peux mieux penser à elle comme cela. »
Vers Noël, l’occasion se présente de faire sortir quelque chose du camp. Pendant des jours, Claudine s’absorbe tout entière dans la confection de cadeaux pour sa maman, sa grand-mère, son jeune frère : mouchoir brodé, pochette, ours en peluche. Elle choisit minutieusement les papiers d’emballage et il ne faut lui parler de rien jusqu’à ce que les menus cadeaux, emballés avec amour, soient sortis du camp.
Puis, des bruits de départ circulent. On parle aussi de quelques libérations, et les compagnes de Claudine Guérin espèrent que celle-ci sera du nombre. Un soir de fin janvier, les gardiens du camp lisent la liste des départs : déportation en Allemagne. Toute notre salle est grave et silencieuse. Claudine prend la main d’une de ses compagnes (Germaine Pican ?) en lui confiant tout bas « Évidemment, j’aimerais bien être libérée, mais j’aurais un grand chagrin de vous quitter sans savoir où vous allez. »
Le 22 janvier 1943, Claudine Guérin est parmi les cent premières femmes otages qui sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »).
Dans ce camp, Claudine retrouve – de l’autre côté de la clôture de barbelés – des compagnons de lutte de sa mère, qui la gâtent une dernière fois en lui envoyant une partie de leurs paquets.
Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies.
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir.
Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
- Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises
et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.
Dans la colonne des arrivantes qui attendent l’enregistrement, Claudine Guérin achève ses provisions de route au milieu de l’affairement général, une boîte de lait condensé d’une main, une boîte d’Ovomaltine de l’autre.
Claudine Guérin est enregistrée au camp sous le matricule 31664. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes anthropométriques de la police allemande : vues de trois-quart avec un couvre-chef (foulard), de face et de profil (la photo d’immatriculation de Claudine Guérin a été retrouvée).
Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.
La robuste santé de Claudine Guérin résiste longtemps à la vie épuisante du camp. Elle reste une des plus fortes, jamais abattue, jamais découragée, et ses compagnes gardent l’espoir fou de la ramener vivante.
Quand une terrible épidémie de typhus décime les Françaises, Claudine Guérin, atteinte aussi, est admise au Revier. Elle revient parmi ses compagnes avant d’être complètement guérie, afin de les retrouver et fuir l’horreur des blocs de malades, où les SS puisent pour fournir la chambre à gaz.
Cependant, Claudine Guérin est à bout de forces : « pâle, amaigrie, un petit squelette voûté aux yeux agrandis par l’effroi, avec ce rictus de souffrance qui marque celles qui vont mourir », elle ne peut plus supporter le travail trop dur, ni la vie épuisante du camp. Pour la première fois, elle se décourage, pleure souvent.
Une grande crise de dysenterie l’oblige à rentrer une deuxième fois au Revier. Elle quitte ses camarades avec angoisse. Ses amies ne savent pas tout de suite à quel Block elle a été assignée et, lorsqu’elles retrouvent sa trace, c’est pour apprendre sa mort solitaire.
Un jour de désinfection du Revier, toutes les malades sont sorties dehors, nues, au froid, toute une journée ; celles qui ne peuvent se tenir debout, parmi lesquelles Claudine Guérin, sont allongées sur des paillasses. La jeune fille est étendue à côté d’une prisonnière de droit commun qui la frappe parce qu’elle s’est souillée, parce qu’elle gémit, le dos couvert de plaies infectées par la malpropreté du Revier. « Claudine a souffert un long jour, entourée d’indifférence hostile, sans présence amie pour la secourir, sans une voix pour lui parler français, pour l’aider à mourir. Dans ses dernières heures d’agonie, elle appelait sa maman, elle réclamait nos présences, nous qui l’avions toujours protégée comme notre petite fille. »
Claudine Guérin meurt le 25 avril 1943.
Le 13 mai 1944, sa mère, Lucie Guérin, après être passée par la Maison d’arrêt de Châlons-sur-Marne (Marne) et le fort de Romainville, est déportée au camp de concentration pour femmes de Ravensbrück, où elle est enregistrée sous son nom de jeune fille (matricule n° 39088). Elle y est rejointe par Germaine Pican, arrivée d’Auschwitz le 4 août, qui lui apprend la mort de sa petite (Lucie Guérin sera ensuite affectée au Kommando d’Hanovre-Limmer, dépendant du KL Neuengamme, ouvert en juin 1944 et qui emploie plus de 1000 personnes à la fabrication de masques à gaz pour les entreprises Continental Gummi-Werke).
À une date restant à préciser, le conseil municipal de Petit-Quevilly donne le nom de Claudine Guérin à l’ancienne rue Nationale.
- La plaque de la rue Claudine Guérin lors d’une cérémonie
du souvenir au début des années 1950. Le panneau provisoire
rend également hommage à Danielle Casanova et à
Jacqueline Langenberg, jeune résistante tuée le 13 juin 1944.
© Collection Yvette Ducastel.
- Cérémonie d’hommage aux résistantes de Petit-Quevilly.
Au premier rang, au centre, Germaine Pican et Yvette Ducastel
sont aux côtés de Lucie Guérin, penchée. Au deuxième rang,
à gauche, Lucien Ducastel. © Collection Yvette Ducastel.
- Cliché Mémoire Vive. D.R.
Les conseils municipaux de Saint-Étienne-du-Rouvray et de Sotteville-lès-Rouen, dénomment également chacun une rue de leurs communes pour lui rendre hommage.
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 134-135.
Livre d’Or dédié aux femmes héroïques mortes pour que vive la France, 2e fascicule, Édité par le foyer Danielle-Casanova de l’Union des Femmes Françaises (UFF), 12 bis rue d’Astorg Paris 8e, pages 24 à 27 (Récit fait par une de ses compagnes de prison et de déportation.).
Jacques Girault, notice sur Lucie Guérin dans le Maitron en ligne, dictionnaire du mouvement ouvrier, mouvement social.
Concernant Lucie Guérin (Couillebaud), Thomas Fontaine, Livre-Mémorial de la FMD, tome 3, pages 626-630, 635, I.212 ; également Introduction, tome 1, page 209.
MÉMOIRE VIVE
(dernière modification, le 21-01-2014)
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[1] Les Lilas : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine (transfert administratif effectif en janvier 1968).