Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1»).
Le lendemain, Hélène Hascoët fait partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes (Seine / Val-de-Marne) et une du dépôt de la préfecture de police). Dans un courrier adressé au sous-préfet de Compiègne, le commissaire de police de la ville indique : « …dans le courant de l’après-midi, trois camions allemands ont amené au camp de Royallieu une centaine de femmes dont on ignore la provenance. Selon des indications recueillies auprès de personnes habitant aux abords du camp, ces femmes auraient entonné La Marseillaise et L’Internationale ». Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites en camions à la gare de marchandises de Compiègne – sur la commune de Margny – et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL [2] Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Leur convoi y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
Il n’existe pas de certitude absolu concernant le numéro matricule sous lequel Hélène Hascoët y est enregistrée (probablement le n° 31755, selon une correspondance établie avec le registre des internés du Fort de Romainville). Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie policière allemande : vues de trois-quart, de face et de profil (la photo d’immatriculation d’Hélène Hascoët n’a pas été retrouvée).
Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.
Bientôt, et comme beaucoup de ses compagnes, Hélène Hascoët contracte la dysenterie. Elle a des plaies infectées toutes noires à l’intérieur des cuisses, une crise de métrite avec des pertes abondantes, et il n’y a pas une goutte d’eau dans le camp pour se nettoyer. Une stubova [3] l’insulte en la traitant de syphilitique, et la bat très violemment. Elle est admise au Revier [4] de Birkenau.
C’est là qu’elle meurt le 22 avril 1943, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp. Une rescapée a indiqué la date du 9 mars, peut-être celle de son entrée, c’est-à-dire de sa disparition aux yeux de ses compagnes. D’après Marie-Jeanne Bauer, un docteur SS lui a fait une piqûre mortelle par injection intraveineuse au bras. Hélène Hascoët avait 33 ans.
Ses parents n’apprennent sa mort qu’au retour des rescapées.
Après la guerre, sa mère est couturière pour Yvonne de Gaulle, épouse du général.
Par une délibération du 3 septembre 1945, le conseil municipal de Concarneau donne le nom d’Hélène Hascoët à une rue de la ville qui longe les Halles entre… la place du Général de Gaulle et le quai d’Aiguillon.
Son nom est également inscrit sur la tombe familiale dans le cimetière communal.
Notes :
[1] Dora, une jeune juive qu’hébergeait Hélène Hascoët, a été déportée à Auschwitz par un convoi qui est arrivé le 16 février 1943. Elle y est morte très vite.
[2] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.
[3] Stubova : Sabir germano polonais. Les Blocks était divisé en quatre sections, en allemand : Stube. La stubova : chef de Stube.
[4] Revier, selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”.
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 15-02-2023)
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), page 140.
Christine Churie-Le Goal (messages 07-2017 et 02-2023).
Archives départementales de l’Oise (AD60), Beauvais ; répression des menées antinationales, gaullistes et terroristes (33W 8253/1).
Marion Queny, Un cas d’exception : (…) le convoi du 24 janvier, mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Lille 3-Charles de Gaulle, juin 2004, notamment une liste réalisée à partir du registre de Romainville (copie transmise par Thomas Fontaine), pp. 197-204, et p. 114.
Thomas Fontaine, Les oubliés de Romainville, un camp allemand en France (1940-1944), avec le concours du Conseil général de Seine-Saint-Denis, éditions Tallandier, 2005, pages 34-35.