Adrienne Coston, dite Linotte, naît le 23 septembre 1906 à Saint-Quentin (Aisne) – d’où sa mère, Mathilde Ismérie Couvreur (dite “Angèle” ?), 24 ans, couturière, est originaire -, au domicile de ses grands-parents maternels. Ses propres parents étant alors ordinairement domiciliés au 40 rue du Ruisseau à Paris 18e. Son père Edmond, 27 ans, est ouvrier bitûmier.
Puis Adrienne est élevée à Paris 12e, où elle fréquente l’école communale jusqu’à treize ans.
Sa sœur Hélène naît le 23 septembre 1909 à Paris 16e, chez leurs parents, alors domiciliés au 5 rue Jouvenet.
Du 6 août 1914 au 26 janvier 1919, leur père est mobilisé dans l’artillerie.
Après-guerre, la famille se retrouve au 52 rue de Fécamp (Paris 12e), dans un petit immeuble face à une cité HBM.
Gravissant les échelons professionnels, Edmond Coston deviendra chef de service aux travaux publics.
Après le certificat d’études, Adrienne entre en apprentissage dans un atelier de confection pour dames et devient coupeuse.
En 1926, les Coston habitent au 7 rue de la Grange Ory à Cachan (Seine / Val-de-Marne).
Le 28 janvier 1928, à Cachan, Adrienne épouse Pierre Hardenberg, né le 11 juillet 1901 à Courbevoie (Seine / Hauts-de-Seine)… de parents italiens (Cesare Hardenberg, 27 ans, photograveur, et Albina Cappellini, 22 ans), dont il possède la nationalité, domiciliés au 30 rue Marengo. Pierre est devenu lui aussi photograveur.
Le ménage s’installe à Bagneux (Seine / Hauts-de-Seine), où leur fille Yolande naît le 25 juin 1929. En 1936, ils habitent au 168 rue de Verdun, près du carrefour avec l’avenue Aristide Briand. Pierre est alors photograveur chez Cornavin, à Paris 13e.
Au moment du Front Populaire, Adrienne Hardenberg devient secrétaire du comité de Bagneux de l’Union des femmes françaises et milite au comité de l’Union des femmes contre le fascisme et la guerre. De son côté, Pierre Hardenberg se déclare comme antifasciste.
Lorsque la guerre éclate, Pierre Hardenberg, qui n’a fait de service militaire ni en Italie ni en France, est considéré comme déserteur pour les Italiens et comme étranger pour les Français. Son patron le licencie. Adrienne, qui avait cessé de travailler à la naissance de leur enfant, reprend son métier.
Au début de 1940, tous deux sont arrêtés comme « défaitistes ». Après une perquisition infructueuse de leur domicile et un interrogatoire de douze heures, rue des Saussaies (à vérifier…), auquel on soumet également leur fille, âgée de dix ans, ils sont relâchés faute de preuves.
À une date restant à préciser (en novembre 1941 ?), Pierre Hardenberg est contacté par « un inconnu » – très certainement Arthur Tintelin – qui lui demande s’il consent à travailler pour « l’organisation clandestine, dans le but de défendre le peuple de France contre l’occupation » en gravant les textes de tracts devant être imprimés par la suite, lui proposant pour cela une rétribution de deux mille francs mensuels. Hardenberg accepte. Son contact lui remet alors également la somme nécessaire à la location d’un atelier, ainsi qu’une fausse carte d’identité et une fausse carte professionnelle établies au nom de Pierre Renan.
À la mi-mars 1942, exploitant des informations obtenues lors des enquêtes ayant précédé et suivi les arrestations de l’affaire Pican-Cadras, des inspecteurs de la brigade spéciale 1 (BS1) des Renseignements généraux de la préfecture de police commencent la filature d’un résistant qu’ils désignent provisoirement comme « Ambroise », du nom de la rue Saint-Ambroise (Paris 11e) où il a été repéré la première fois, alors qu’il rencontrait le responsable non-identifié (?) d’un atelier de gravure situé au 81 rue Saint-Maur – peut-être situé dans l’arrière-cour -, entre la rue Saint-Ambroise et l’avenue de la République. Onze policiers en civil suivent alors tous les contacts qui s’enchaînent entre militants et artisans clandestins, repérant notamment les adresses où ceux-ci pénètrent (les “logeant”). Sans le savoir, Arthur Tintelin met les inspecteurs sur la piste de l’appareil technique de propagande du Parti communiste clandestin, le réseau des “imprimeurs”, plus précisément sur les ateliers de gravure et de photogravure qu’il coordonne et dont il rémunère les artisans.
Le 31 mars, à 11 h 15, sur le terre-plein du Champ de Mars, entre l’École militaire et la Tour Eiffel, les inspecteurs assistent à un premier rendez-vous entre Arthur Tintelin et Pierre Hardenberg, à la suite duquel ils dénomment provisoirement ce dernier comme “Champ de Mars”. Ils les repèrent ensemble de nouveau les 2 et 3 avril suivant.
Le 13 avril, à la fin d’une journée où ils ont d’abord “filé” Tintelin, ils constatent que celui-ci retrouve Hardenberg à la sortie de la station de métro Duroc, où il lui remet une plaque de zinc, puis discutent pendant un quart d’heure. Ensuite, les policiers suivent Hardenberg qui se rend par le métro à la station Censier-Daubenton et rejoint à pied l’atelier du 85 rue Mouffetard, dont il sort dix minutes plus tard pour rejoindre son domicile.
Le “coup de filet” policier déclenché dans la nuit du 17 au 18 juin 1942 par le commissaire Fernand David, chef de la BS1, entraîne l’arrestation d’une soixantaine de personnes, en incluant un autre réseau plus spécifiquement politique mais relié par des agents de liaison communs, notamment Renée Pitiot.
Le 18 juin, Pierre Hardenberg est arrêté chez lui par trois inspecteurs de la BS1 ; les policiers attendent qu’Adrienne revienne du marché.
Dans l’atelier de la rue Mouffetard, les inspecteurs saisissent les clichés d’impression de textes intitulés « Soldat im Westem » et « Les Voix des Stalag », et des faux cachets reproduisant les sceaux de l’autorité allemande utilisés par le Parti communiste français clandestin.
Après une semaine dans les locaux des Renseignements généraux, où elle est interrogée le 20 juin, Adrienne Hardenberg est transférée au Dépôt de la préfecture de police.
Le 22 juillet, le dossier de procédure “Tintelin et autres” est transmis au SIPO-SD (police de sûreté nazie) de Paris, 11 rue des Saussaies.
Le 5 août 1942, deux grenades sont lancées par des résistants communistes sur des militaires allemands qui s’entraînent au stade Jean-Bouin (Paris 16e) : deux d’entre eux sont tués, et vingt sont blessés, dont cinq grièvement. Le 10 août, par mesure de représailles, Carl Oberg, chef supérieur de la SS et de la police (HSSPf) en France décide l’exécution de quatre-vingt-treize otages sélectionnés en différents lieux de détention.
Le 10 août, Adrienne Hardenberg est transférée parmi vingt futures “31000” au fort de Romainville, sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), où elle est enregistrée sous le matricule n° 610.
Le 11 août, après avoir été rassemblés pendant la nuit au fort de Romainville, 88 hommes sont conduits au fort du Mont-Valérien, sur la commune de Suresnes (Seine / Hauts-de-Seine), pour y être fusillés dès l’aube ; parmi eux, des membres du réseau des imprimeurs, Arthur Tintelin, Pierre Hardenberg, Pierre Galesloot, Louis Guyot, Henri Daubeuf, Eugène Houdart, Gustave Pitiot, Henri Maillard, et d’autres maris de futures “31000”, Marcel Éthis, Alphonse L’Huillier… Les corps sont incinérés et les urnes funéraires dispersées dans différents cimetières.
Le 22 janvier 1943, Adrienne Hardenberg fait partie des cent premières femmes otages transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne ; leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquant « 22,1 Nach Compiègne uberstellt » (transférée à Compiègne le 22.1 ). Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié concernant les deux nuits et la journée passées à Royallieu, et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation… Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites en camions à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.
Le lendemain matin, après avoir été brutalement descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
Adrienne Hardenberg y est enregistrée sous le matricule 31636. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rang de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois quarts avec un couvre-chef (foulard), de face et de profil (la photo d’immatriculation de Jeanne Guyot a été retrouvée).
Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.
Adrienne Hardenberg meurt à Birkenau le 22 février 1943, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).
Selon Charlotte Delbo, en 1942, les gens chez qui la petite Yolande Hardenberg est en pension lui apprennent brutalement que ses parents ont été arrêtés et livrés aux Allemands. La petite tombe malade (la jaunisse) et, dès qu’elle est rétablie, rentre chez son grand-père, Edmond Coston.
Le 25 juin 1943, celui-ci reçoit une convocation d’un service de police allemand siégeant rue des Saussaies (Paris 8e). Quand il s’y rend, on lui annonce que sa fille : « Adrienne Hardenberg est morte à l’hôpital d’Auschwitz d’un ulcère à l’estomac le 22 février 1943. »
Après quelque temps, Yolande va chez sa grand-mère paternelle à Arcueil, n’y reste pas longtemps, va chez sa tante Hélène, sœur de sa mère, épouse de Maurice Leblanc, ouvrier chez Chausson, domiciliée au 36, avenue Gabriel-Péri à Gennevilliers. Les cours complémentaires étant fermés à cause des bombardements, sa tante l’envoie chez Pigier suivre un cours de sténodactylo.
Maurice Leblanc, beau-frère d’Adrienne Hardenberg, avait été arrêté le 27 mai 1942 par la police française après une distribution de tracts. Il appartenait au Front national [1]. Jugé par la Section spéciale le 9 octobre 1942, condamné à cinq ans de prison, incarcéré à la Maison centrale de Melun, puis transféré à Châlons-sur-Marne, il est remis aux Allemands le 24 avril 1944. Déporté au KL Buchenwald dans le grand convoi du 12 mai suivant – celui emportant également Marcel Paul -, libéré par l’armée américains le 11 avril 1945, il rentre à Paris le 9 mai suivant, très malade.
Après la guerre, Yolande reprend ses études jusqu’au brevet. Mais c’est une jeune fille instable, secrète. Elle semble ne se plaire nulle part. À vingt-et-un ans, elle décide de quitter sa famille et de vivre seule, de son salaire. Elle est secrétaire.
Le 10 juin 1953, on la trouve morte, chez elle, âgée de 24 ans, à la suite de manœuvres abortives, et on apprend alors qu’elle avait eu clandestinement, seize mois auparavant, un autre bébé qui avait été confié à une nourrice.
Yannick Hardenberg est née le 18 janvier 1952, à la clinique des Métallos, à Paris, fille de Yolande et d’un père inconnu. Elle est élevée par des nourrices jusqu’à l’âge de dix-huit mois. Quelques semaines après le décès de sa mère, elle est recueillie par un couple de médecins juifs communistes, les X, membres de la même cellule du Parti que Yolande ; Madeleine X ayant fait une fausse couche quelques mois auparavant ne pouvait plus avoir d’enfant. Le jugement d’adoption est prononcé le 29 juin 1955. Yannick change de nom et de prénom pour s’appeler Christine X.
À Bagneux, il y a une rue (Pierre-et-Adrienne-)Hardenberg (dénomination utilisée sur un plan de ville de 1947).
- Dans l’escalier d’honneur de la mairie de Bagneux…
Notes :
[1] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN”, jusqu’à son changement d’appellation le 1er juin 2018).
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 138-140.
Marion Queny, Un cas d’exception : (…) le convoi du 24 janvier, mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Lille 3-Charles de Gaulle, juin 2004, notamment une liste réalisée à partir du registre de Romainville (copie transmise par Thomas Fontaine) page 57, citant APP, BS1 carton 2, rapport du 27 juin 1942.
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : dossiers de la BS1, GB 35, “Affaire Ambroise”, GB 36, “Affaire Ambroise”, “Affaire Tintelin”, GB 37, GB 50.
Musée de la Résistance nationale (MRN), Champigny-sur-Marne (94), carton “Association nationale de des familles de fusillés et massacrés”, fichier des victimes.
Nanou Hardenberg, Une histoire de ces temps-là, https://www.cairn.info/revue-devenir-2009-3-page-185.htm
MÉMOIRE VIVE
(dernière modification, le 24-07-2024)
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