- Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.
Albert, Jules, Désiré, Bonvalet naît le 25 janvier 1893 à Fleury (Aisne – 02), fils d’Achille Bonvalet, 32 ans 1/2, manouvrier, et de Constance Duclos, son épouse, 30 ans.
Albert Bonvalet a une formation de maçon.
De la classe 1913, il devance l’appel et s’engage volontairement pour trois ans en 1911, seulement âgé de 18 ans. Le 22 décembre, il est incorporé au 25e régiment de Dragons. Le 24 janvier 1913, il se rengage pour deux ans au 2e régiment d’Infanterie coloniale. Est-ce alors qu’il se fait tatouer le papillon visible sur sa gorge, ainsi qu’un grand bateau dans le dos, ce qui lui vaudra d’être surnommé « le tatoué » ou « Pinder » ?
D’un caractère vif et emporté, ayant le coup de poing facile, Albert Bonvalet est dirigé le 27 avril 1914 sur les sections spéciales d’Oléron suite à des plusieurs actes d’indiscipline. En août, il passe devant le Conseil de guerre pour « bris de clôture ». En 1916, il serait de nouveau condamné par un Conseil de guerre, siégeant au château d’Ofluont (? – Septmont) dans l’Aisne, qui le condamne à 10 ans de travaux public pour « voies de fait envers un supérieur ».
Par la suite, il manifeste une brillante conduite de combattant, étant cité à l’ordre de sa division le 20 mai 1917 : « Fait preuve en toutes circonstances d’un calme et d’un sang-froid remarquable. Volontaire pour toutes les missions périlleuses, s’impose à tous par sa belle conduite au feu. S’est distingué en particulier pendant la préparation de l’attaque du 20 mai, pendant le transport des pièces et des munitions de 75 T dans l’un des secteurs les plus battus ». Il est décoré de la Croix de guerre avec étoile d’argent. Intoxiqué par les gaz de combat une première fois le 10 décembre 1917, il est évacué pour intoxication due à un obus d’ypérite le 13 août 1918.
Le 19 février 1918 à Villeparisis (Seine-et-Marne), Albert Bonvalet se marie avec Renée (Adolphine ?) Dupay. Mais son épouse décède rapidement.
Le 8 novembre 1919 à Villeparisis, il épouse en secondes noces Rose Bœuf, née le 19 février 1899 dans cette commune. Ils auront un fils, Marc, né le 2 juillet 1920, toujours à Villeparisis (celui-ci sera marié et lui-même père d’un enfant au moment de l’arrestation de son père).
Adhérent au Parti communiste dès sa création, en 1920, Albert Bonvalet y milite « fougueusement » et fait une active campagne pour Marcel Lecomte, candidat aux élections municipales de 1919 et de 1921 à Villeparisis.
Mais il quitte l’organisation dès 1927 pour désaccord sur la doctrine et semble cesser ensuite toute activité politique.
En 1938, « sa demande d’emploi à la poudrerie de Sevran » lui est « néanmoins refusée pour ses idées extrémistes ».
Le 30 novembre 1939, après la déclaration de guerre, Albert Bonvalet, classé « sans affectation », est employé à la poudrerie nationale de Sevran-Livry comme plâtrier pour la Société nouvelle de construction et de travaux, dont le siège est à Paris. Il semble que, par la suite, l’administration militaire le considère comme « indésirable ».
Au retour de l’exode, il remet son fusil de chasse au commissariat, suivant les consignes de l’armée d’occupation.
Au moment de son arrestation définitive, Albert Bonvalet est domicilié avec son épouse au 12, rue Jean-Jaurès à Villeparisis, dans un modeste logement de trois pièces dont ils sont locataires. Ils jouissent d’un jardin qu’ils peuvent cultiver.
Albert Bonvalet travaille alors comme bûcheron pour la société Poliet & Chausson, de Livry-Gargan.
La police française note qu’il se fait remarquer à plusieurs reprises pour ses propos anti-allemand, « prononcés inconsidérément ».
Le lundi 20 octobre 1941, dans la matinée, Albert Bonvalet est appréhendé chez lui (?) par la Feldgendarmerie, et son domicile est perquisitionné dans le cadre d’une vague d’arrestations décidée par l’occupant contre des communistes de Seine-et-Marne, pris comme otages en représailles de distributions de tracts et de destructions de récolte – incendies de meules et de hangars – ayant eu lieu dans le département.
Dès le lendemain, Albert Bonvalet est déclaré interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager), parmi 86 Seine-et-Marnais arrêtés en octobre (42 d’entre eux seront des “45000”). Il y est enregistré sous le matricule n° 1817 et assigné au bâtiment A6 (il s’y trouve le 26 novembre). En juin 1942, il est au bâtiment A1.
Le 16 février 1942 (date à vérifier…), Rose Bonvalet adresse une requête au maréchal Pétain pour demander la libération de son époux.
Entre fin avril et fin juin, Albert Bonvalet est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet, Albert Bonvalet est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45274 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Albert Bonvalet est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp
En France, Rose Bonvalet a reçu deux messages datés du 6 juillet et écrits au crayon dans lesquels son mari l’informe, dans le premier, qu’il part le matin même « pour une destination inconnue », et, dans le deuxième, écrit à 16 heures, qu’il est avec Albert Rey et qu’ils viennent de passer à Bar-le-Duc en direction de l’Allemagne.
Elle a également reçu la carte-formulaire envoyée à la mi-juillet par l’administration militaire allemande du camp de Royallieu à la plupart des familles de déportés du convoi afin de prévenir celle-ci que leur parent avait été envoyé dans un autre camp et qu’il leur fallait attendre que lui-même écrive pour connaître sa nouvelle adresse. De plus, Mesdames Bonvalet et Carrier ont reçu chacune un pli posté à Compiègne le 28 juillet et contenant les papiers dont leur maris étaient porteurs au moment de leur arrestation. La rumeur a alors couru à Villeparisis qu’Albert Bonvalet, Antoine Carrier et Gabriel Rey avaient été fusillés.
À Auschwitz, à une date non précisée, Albert Bonvalet est admis au Block 28 (médecine interne) de l’ “hôpital” (Revier, HKB).
Il meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942, d’après les registres du camp, alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à la suite de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement gazés [1]). Cette date est portée sur les registres d’état civil français dès le 22 août 1946.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 30-09-1987).
Notes :
[1] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 150 et 153, 378 et 396.
Archives départementales de l’Aisne, site internet, archives en ligne : registre d’état civil de Fleury, année 1893, acte n° 2 (vue 2).
Archives départementales de Seine-et-Marne, Dammarie-les-Lys : cabinet du préfet, attribution du titre de déporté politique (SC1994) ; arrestations collectives octobre 1941 (M11409) ; arrestations allemandes, dossier individuel (SC51227).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 117 (31880/1942).
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; relevé dans les archives (01-2009).
Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : liste de détenus français morts au camp de concentration d’Auschwitz relevée par le S.I.R. d’Arlosen (26 P 821 – Auch. 1/7).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 18-06-2020)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.