Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Albert Kaiser naît le 28 décembre 1900 à Paris 3e, fils d’Albert Auguste Kaiser, 21 ans, mouleur en cuivre, et de Valérie Rogier, 20 ans, employée, domiciliés ensemble au 98, rue du Temple ; le nouveau-né est présenté à l’état civil par son père. Pupille de l’Assistance publique de la Seine dès 1901, Albert Kaiser est hébergé par un couple d’agriculteurs au lieu dit la Berthaudrie à Morlac (Cher – 18) en 1906. En 1911, il y est rejoint par un autre enfant assisté. Puis il est placé à Vesdun.

Il commence à travailler comme charcutier.

Le 13 mars 1918, à Bourges, il s’engage volontairement dans la marine pour la durée de la guerre. Le jour même, il arrive au 3e dépôt des équipages de la Flotte à Lorient. Un an plus tard, le 8 mars 1919, il est renvoyé dans ses foyers sur sa demande, en attendant l’appel normal de sa classe. Le 25 avril 1921, il est rappelé sous les drapeaux au 148e régiment d’infanterie. Le 24 avril 1922, il est libéré du service actif, titulaire d’un certificat de bonne conduite, et se retire au 27, rue Benjamin-Constant à Saint-Amand-Montrond (18).

Après la guerre, il modifie l’orthographe de son patronyme – sans doute considéré comme trop proche du titre de l’ex-empereur d’Allemagne Guillaume II – et déclare se nommer « Keyser ».
Le 7 octobre 1922, à Saint-Amand-Montrond, il se marie avec Marie-Louise Burlaud, née le 7 mai 1898 à Braize (Allier). Ils auront trois enfants dont deux fils, Jacques, né le 7 mai 1923, et Robert, né en 1928, tous deux à Saint-Amand-Montrond. En 1926, Ils habitent au 6, rue du 14 juillet, et hébergent Louise Burlaud, née en 1902, ouvrière (chez Erlich ?).
Devenu ouvrier pelletier chez Chapal à Saint-Amand, Albert Keyser anime le syndicat local unitaire des Cuirs et Peaux. Son épouse Marie-Louise est gérante de coopérative.En 1924, Albert Keyser adhère au Parti communiste et devient trésorier du rayon communiste de Saint-Amand de 1925 à 1929. En 1930, il entre au bureau régional du Parti communiste.
Mais l’essentiel de son activité est consacré au syndicalisme. En mars 1930, quand P. Hervier – jugé trop modéré par les jeunes militants du Parti communiste – demande à être dégagé de ses responsabilités en raison de son âge, Keyser le remplace comme secrétaire général de la 17e Union régionale unitaire et applique la tactique « classe contre classe ».
En mai 1930, la grande grève de la céramique qui éclate est sa première expérience ; avec J. Picot et Charles Tillon, secrétaire de la Fédération unitaire de la céramique, il tente de politiser la grève et de dénoncer la collusion « flagrante entre les confédérés et l’aristocratie vierzonnaise ». Malgré quatre mois de lutte, cette grève est un échec et les confédérés en sortent renforcés. Keyser mène la lutte contre la minorité de la CGTU ; les dirigeants exclus les uns après les autres créent un syndicat autonome à Vierzon ou rejoignent la CGT.
En 1930, Albert Keyser vient avec sa famille habiter à Bourges, où est désigné comme permanent (« employé ») du syndicat unitaire à la Bourse du travail. En 1931, et jusqu’au moment de son arrestation, il est domicilié au 19, rue Charlet, dans une petite maison basse adossée au ruisseau du Faux Pallouet.Au meeting du 12 février 1934 à Bourges, Keyser demande aux manifestants de siffler le représentant du Parti radical qui doit renoncer à prendre la parole (La Dépêche, 13 février 1934). Claude Jamet, professeur à Bourges, présente Albert Keyser comme le représentant de la “nouvelle génération” communiste, « tout d’une pièce, le regard franc, la conscience en paix, presque un scout, mais aussi peu “éloquent” que possible » (journal, à la date du 29 novembre 1934, p. 30).La CGT, très faible dans le Cher jusqu’en 1930, se renforce. Le congrès du 8 décembre 1935 permet de mesurer les progrès réalisés par les confédérés (congrès de réunification des Unions départementales). Les “unitaires” sont mis en minorité sur les trois principaux points de l’ordre du jour. La Bourse du Travail confédérée devient le siège de l’Union départementale. L’Union départementale n’a pas de secrétaire permanent, l’UD confédérée n’en a pas et Keyser, permanent unitaire, pourrait obtenir ce poste. Mais un militant investi « d’un mandat politique rétribué ne pourra faire partie de la commission administrative » : Keyser est là encore visé. Le bureau de l’UD comprend huit ex-confédérés pour quatre ex-unitaires. Pichon, instituteur et militant du groupe Jeune République est secrétaire, Amichot de la SFIO, secrétaire adjoint, Keyser n’est que secrétaire à la propagande.Sous le gouvernement du Front populaire, l’influence du Parti communiste se renforçant, l’UD a une direction collective avec trois secrétaires : Pichon, Amichot et Keyser qui redevient permanent.

Aux élections législatives de 1936, Keyser est candidat dans la circonscription d’Issoudun dans l’Indre, obtenant 14,7 % des suffrages des électeurs inscrits.

Le 28 août 1939, rappelé à l’activité par mesure de prémobilisation, il rejoint le dépôt d’infanterie n° 53. Le 7 décembre, il est affecté aux Forces aériennes terrestres, à la 202e batterie du 406e DCA. Le 27 février 1940, il est affecté au dépôt d’infanterie n° 421 à Romainville (Seine / Seine-Saint-Denis). Fin mai 1940 – avant la débâcle -, il est démobilisé en raison de sa situation familiale et peut rejoindre Bourges.

Il est alors embauché en qualité de conducteur de camion au service de nettoiement de la Société Berruya.

Albert Keyser devient un des dirigeants clandestins du PCF du Cher.

Le 15 décembre 1940, la police française opère une perquisition à son domicile, comme chez une dizaine d’autres militants du département.

Le 22 juin 1941, Albert Keyser est arrêté lors de la grande rafle des communistes du Cher [1], qui sont rassemblés à la Maison d’arrêt de Bourges, puis internés quelques jours plus tard au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le 24 octobre suivant, la Feldkommandantur 668, à Bourges, transmet à l’état-major du chef du district militaire A, à Saint-Germain-en-Laye, une liste de 44 otages (Geiselnahme) dont certains viennent d’être arrêtés dans le Cher et internés à Royallieu. Albert Keyser est le 7e sur cette liste, et son fils Jacques – dont le patronyme est bien orthographié Kaiser – est le 37e.

Le 11 mai 1942, son épouse écrit au Préfet du Cher pour lui faire savoir que son mari « ne milite plus depuis 4 ans » et souligner ses problèmes de santé : « J’ai en charge deux enfants de 5 et 13 ans et de ce fait je suis dans l’impossibilité de travailler. L’absence de mon mari nous réduit à la misère ».

Entre fin avril et fin juin 1942, Albert Keyser est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Albert Keyser est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45704, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; au cours duquel Albert Keyser se déclare comme conducteur (Kraftwagenführer), et sans religion (Glaubenslos). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Albert Keyser.

Il meurt à Auschwitz le 2 septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher). La cause très probablement mensongère indiquée pour sa mort est « œdème pulmonaire avec arrêt du cœur » (Lungenöden bel Herzschwäche).

Son fils Jacques est également arrêté, puis déporté en Allemagne (on ne le trouve pas dans le Mémorial de la FMD…) ; après la guerre, il travaille comme employé à la SNIAS de Bourges et milite au Parti communiste.

Sa veuve, Marie-Louise, décède à Bourges le 9 février 1975. Son fils Jacques décède en avril 1975 (avant 52 ans).

Son nom est inscrit parmi 149 sur la plaque « Honneur à nos morts tombés pour que vive la France » apposée sur un mur extérieur sdu siège de la fédération du Cher de PCF à Bourges, 45, rue Théophile-Lamy.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès d’Albert Kaiser (J.O. du X-1994).

Notes :

[1] L’ “Aktion Theoderich :

L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est défini le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre.

Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht.

Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. 131 d’entre eux, arrêtés entre le 21 et le 30 juin, font partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

 

Sources :

- Claude Pennetier, notice in Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, Éditions de l’Atelier/Éditions Ouvrières, CD-rom, version 1990-1997, citant : Arch. Dép. Cher, 25 M 127-128, 25 M 95-96 – Arch. Dép. Indre, 3 M 1424-1431 – L’Émancipateur – Le Syndiqué du Cher – Claude Jamet, Notre Front populaire, journal d’un militant 1934-1939 – S. Courtois, thèse, op. cit. ?, annexe n° 18.
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 73, 362 et 409.
- Archives de Paris, site internet, archives en ligne : registres des naissance du 3e arrondissement, année 1900 (VA4 8210) acte n° 1473 dressé le 30/12 (vue 31/31).
- Archives départementales du Cher, site internet, archives en ligne : registres matricules du recrutement militaire, bureau de Bourges, classe 1920, n°1-500 (2R 768), n° 298 (vue 351/592).
- Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) : courrier de la FK 668 du 24-10-1941 avec la liste de 44 otages (XLIV-66).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 564, son nom est orthographié « Keyser ».
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : copies de pages du Sterbebücher provenant du Musée d’Auschwitz et transmises au ministère des anciens combattants et victimes de guerre par le Service international de recherches à Arolsen à partir du 14 février 1967, carton de G à K (26 p 841), acte n° 26833/1942.
- site Memorial GenWeb, relevé n° 58355 de Claude Richard (07-2011).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 3-05-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.