Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943. Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Alice, Blanche, Léa, Bouyer naît le 22 décembre 1897 à Breuil-Magné (Charente-Inférieure / Charente-Maritime – 17) [1], chez ses parents, Victor Bouyer, 20 ans, charron, et Léa Marchand, son, épouse, 19 ans. Alice est l’aînée d’une famille de six enfants.

Son père devient ouvrier charpentier à l’Arsenal de Rochefort, ville voisine au sud.

Le 29 mai 1916, à Breuil-Magné, Alice se marie avec Pierre Varrailhon, né le 3 octobre 1890 à Rochefort (17), probablement au cours d’une permission militaire de celui-ci, qui serait “en mer” du 2 décembre 1915 au 15 novembre 1916). En effet, le 17 juillet 1909, à Rochefort, le jeune homme s’était engagé volontairement pour cinq ans au 4e dépôt des équipage de la Flotte. En mars 1912, il avait notamment été chauffeur breveté sur le croiseur cuirassier “Amiral Charner”. Il était passé dans la réserve de l’armée de mer à la fin de son engagement, le… 17 juillet 1914, et avait été rappelé à l’activité militaire par le décret de mobilisation générale du 1er août suivant.

Le 15 juin 1919 Pierre Varrailhon est “mis en congé illimité de démobilisation” et se retire à Breuil-Magné.

Le 1er novembre 1919, le couple a un fils, Robert, né dans cette commune.

Le 5 juillet 1921, l’armée classe Pierre Varrailhon comme “affecté spécial” dans l’administration des Chemins de fer de l’État, en qualité de “nettoyeur” à Saintes (17).

La famille est installée dans la ville. En mai 1926, ils habitent chemin du Champ Boudeau, secteur pavillonnaire proche de la Charente (quartier de Saint Pallais).

Saintes. La gare et les ateliers des Chemins de fer de l’État vus d’une passerelle dans les années 1900. Carte postale. Collection mémoire Vive.

Saintes. La gare et les ateliers des Chemins de fer de l’État vus d’une passerelle dans les années 1900.
Carte postale. Collection mémoire Vive.

En 1938, le jeune Robert s’engage à son tour dans la Marine nationale.

Le 1er juin 1940, le père de famille, Pierre Varrailhon, est arrêté par la police française, puis sera successivement interné administratif dans différents camps français, probablement en dernier lieu à Saint-Sulpice-la-Pointe (Tarn).

Ayant été libéré de son engagement militaire au port de Bizerte (Tunisie) en 1941, Robert revient chez sa mère et trouve un emploi à la SNCF.

Sous l’Occupation, Alice Varrailhon loge des clandestins : il y a toujours chez “Maman Alice” tout ce qu’il faut pour des jeunes clandestins affamés et démunis. Elle est également agent de liaison des Francs-Tireurs et Partisans (FTP), recueille des fonds et des vivres pour les camarades emprisonnés. Robert est lui aussi actif dans la résistance.

Le 5 septembre 1942, la police française arrête Alice Varrailhon, ayant trouvé son nom dans le calepin d’un responsable FTP arrêté à Royan peu auparavant, engagement confirmé par Ferdinand Vincent, un résistant arrêté, “retourné” par la police de Vichy, puis devenu agent de la Sipo-SD (“Gestapo”). Roger est arrêté en même temps que sa mère.

À La Rochelle (17), pendant l’interrogatoire d’Alice Varrailhon et d’Hélène Bolleau , le commissaire Chiron déclare : « Si on fusille les femmes, je demande la tête de ces deux-là ». L’interprète Sutor, qui traduit pour les agents de la “Gestapo” présents, transmet la réponse : « On verra. Nous avons mieux pour elles. »

D’abord emprisonnée à La Rochelle, elle est conduite à la Maison d’arrêt d’Angoulême fin octobre. Le 18 novembre, avec Emma et Hélène Bolleau, Marcelle Bureau et Germaine Drapron, elle est transférée au camp allemand du fort de Romainville, sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122), où elle est enregistrée sous le n° 1227.

Le bâtiment A, vue vers l’intérieur du fort, du côté des cours de promenade clôturées. Photo Mémoire Vive.

Le bâtiment A, vue vers l’intérieur du fort, du côté des cours de promenade clôturées.
Photo Mémoire Vive.

Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22,1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »).

Le lendemain, Alice Varrailhon fait partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié concernant les deux nuits et la journée passées à Royallieu, et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation… Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C. Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942. Ensuite, ils ont servi au regroupement des détenus pour le prochain convoi en partance. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C.
Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942.
Ensuite, ils ont servi au regroupement des détenus pour le prochain convoi en partance.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes – dont son fils Robert – ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

TransportAquarelle

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen [2], où son fils Robert arrive le 25 janvier (n° 58040), tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.

Le lendemain matin, après avoir été brutalement descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Alice Varrailhon y est enregistrée sous le matricule 31810. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rang de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois quarts avec un couvre-chef (foulard), de face et de profil (la photo d’immatriculation d’Alice Varrailhon a été retrouvée, puis identifiée ultérieurement [3]).

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Le Block 26, en briques, dans le sous-camp B-Ia ; perspective entre les châlits. La partie inférieure, au ras du sol, est aussi une “couchette” où doivent s’entasser huit détenues. Les plus jeunes montent à l’étage supérieur, où il est possible de s’assoir. Photo © Mémoire Vive.

Le Block 26, en briques, dans le sous-camp B-Ia ; perspective entre les châlits.
La partie inférieure, au ras du sol, est aussi une “couchette” où doivent s’entasser huit détenues.
Les plus jeunes montent à l’étage supérieur, où il est possible de s’assoir.
Photo © Mémoire Vive.

Sa compagne de déportation, Hélène Bolleau, témoignera : « Nous étions aux démolitions lorsque nous avons trouvé le cadavre d’une petite fille dans un puits. Alice a fait des gestes de haine que le SS a pris pour des menaces et il a tiré sur elle. Au revolver. À bout portant. Nous l’avons rapportée au camp sur un brancard improvisé. Elle est morte peu après l’appel, le soir même, le 11 mars 1943. » L’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) indique néanmoins la date du 20 février (vingt jours plus tôt).

Le 30 juillet 1944, son mari, Pierre Varrailhon, est déporté depuis la gare Raynald de Toulouse dans un convoi mixte ; 1088 hommes arrivant au KL Buchenwald le 6 août, 101 femmes et enfants arrivant au KL Ravensbrück le 7 août. Il s’agit d’un transport d’évacuation de plusieurs centres d’internement de la région de Toulouse organisé par les Allemands cherchant alors à quitter la ville face à la progression des troupes alliées, une partie des détenus étant remise par l’administration française aux autorités d’occupation.

Leur fils Robert, transféré à Buchenwald (Kommando de Leitmeritz), rentre de déportation au printemps 1945, de même que son père.

Alice Varrailhon est homologuée sous-lieutenant dans la Résistance intérieure française (RIF). Par le décret du 7 novembre 1958 (publié au Journal Officiel le 3 décembre), elle est médaillée de l’Ordre de la Libération.

Le 1er juillet 1947 au Vergeroux, banlieue de Rochefort, Pierre Varrailhon se remarie avec Emma Dartois. Il décède le 17 janvier 1977.

Robert Varrailhon décède en décembre 2016 à la maison les Tilleuls de Monthérault, après avoir passé sa retraite à Trizay (17).

Notes :

[1] Charente-Maritime : département dénommé “Charente-Inférieure” jusqu’en septembre 1941.

[2] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration) ; certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

[3] Sa photo d’Auschwitz a été identifiée tardivement : elle ne l’a pas été par les rescapées lors de leur réunion de l’été 1947 autour des tirages obtenus du Musée d’Auschwitz, Après Auschwitz, bulletin de l’Amicale, n°17 septembre-octobre 1947, page 3.

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), 287-288.

- Marion Queny, Un cas d’exception : (…) le convoi du 24 janvier, mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Lille 3-Charles de Gaulle, juin 2004, notamment une liste réalisée à partir du registre de Romainville (copie transmise par Thomas Fontaine), pp. 197-204, et p. 114.

- Thomas Fontaine, Les oubliés de Romainville, un camp allemand en France (1940-1944), avec le concours du Conseil général de Seine-Saint-Denis, éditions Tallandier, 2005, pages 74 à 86.

- Archives départementales de Charente-Maritime, site internet, archives en ligne : registre des naissances et des décès de Breuil-Magné (1886-1900), année 1897, acte n° 19 (vue 86/213).

- Livre Mémorial de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, tome 1, page 649, I.74. Les hommes partis le 24 janvier 1943 de Compiègne et arrivés le 25 janvier au KL Sachsenhausen ; tome 4, pages 1358-1359 et 1404 (n° 75418) ; I.252, les hommes partis de Toulouse le 30 juillet 1944 et arrivés au KL Buchenwald le 6 août), et les femmes et enfants partis de Toulouse le 30 juillet 1944 et arrivés au KL Ravensbrück le 7 août.

- Site du journal Sud-Ouest, Charente-Maritime – Trizay, article nécrologique sur Robert Varrailhon par Jean-Claude Boinard, publié le 21 décembre 2016.

MÉMOIRE VIVE

(dernière modification, le 18-10-2024)

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