André, Gustave, Darondeau naît le 3 mars 1899 dans le 12e arrondissement de Paris, chez ses parents, Gustave Darondeau, 25 ans, tapissier pour les chemins de fer, et Aline Graux, son épouse, 21 ans, journalière, domiciliés au 34, rue de Wattignies.
Le 29 octobre 1927 à Paris 10e, André Darondeau épouse Marie, Antoinette, Géraud, née le 15 février 1900, ouvrière à domicile (elle fabrique des parapluies). Ils auront un fils, Robert, né le 10 juillet 1929.
- André Darondeau © Droits Réservés.
André Darondeau est lithographe ; souvent réduit au chômage à cause de son engagement politique, car il est membre du Parti communiste depuis 1925. Au moment de son arrestation, il est déclaré comme « garçon de courses ».
En 1937, la famille emménage au 51, avenue de Fontainebleau (depuis, avenue de Stalingrad) à Villejuif [1], inaugurant la cité « L’Avenir de la Zone ».
Militant à Villejuif, secrétaire de cellule, André Darondeau est surtout connu comme diffuseur de la presse communiste : L’Humanité, Front Rouge, etc.
Après la déclaration de guerre, en septembre 1939, Robert, écolier, est envoyé en Auvergne, et André se retrouve au chômage. Il est mobilisé le 18 septembre. Il peut rentrer dans ses foyers le 8 août 1940, ayant fait le nécessaire pour ne pas être fait prisonnier par les Allemands.
- André Darondeau © Droits Réservés.
Il cherche du travail à Paris et reprend alors ses tâches militantes.
Sous l’occupation, la police française (RG) le considère comme un « agent actif de la propagande clandestine ».
Le 5 octobre 1940, André Darondeau est arrêté par la police française, lors de la grande vague d’arrestations organisée dans les départements de la Seine et de la Seine-et-Oise par les préfets du gouvernement de Pétain contre des hommes connus avant guerre pour être des responsables communistes (élus, cadres du PC et de la CGT) ; action menée avec l’accord de l’occupant. Après avoir été regroupés en différents lieux, 182 militants de la Seine sont conduits le jour-même en internement administratif au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise – 95), créé à cette occasion dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt.
- Le sanatorium de la Bucaille à Aincourt dans les années 1930.
Le centre de séjour surveillé a été installé dans la longue bâtisse située au premier plan à gauche. Afin de pouvoir y entasser les détenus, il a fallu y transporter le mobilier des autres bâtiments.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.
André Darondeau est assigné à la chambre 23.
Conçus à l’origine pour 150 malades, les locaux sont rapidement surpeuplés : en décembre 1940, on compte 524 présents, 600 en janvier 1941, et jusqu’à 667 au début de juin.
En février 1941, alors que les autorités françaises envisagent le transfert de 400 détenus d’Aincourt vers « un camp stationné en Afrique du Nord », le docteur du centre dresse trois listes d’internés inaptes. André Darondeau, 48 ans, figure sur celle des internés « non susceptibles absolus » en raison d’une sclérose pulmonaire radiale confirmée.
Le 25 février, sur le formulaire de « Révision trimestrielle du dossier » d’André Darondeau, à la rubrique « Avis sur l’éventualité d’une mesure de libération », le commissaire spécial, directeur du camp, émet un avis défavorable au motif que cet interné « suit les directives du parti… – communiste certain – propagandiste actif des mots d’ordre », tout en lui reconnaissant une « attitude correcte ».
Selon une source, André Darondeau serait transféré pendant un temps au camp français de Choisel à Châteaubriant (Loire-Atlantique) ; à vérifier…. Mais, le 26 avril 1942, c’est du camp français d’Aincourt qu’il est transféré, dans un groupe de 93 internés, au camp français de Voves (Eure-et-Loir – 28), où il est enregistré sous le matricule 209. Il n’y reste qu’une quinzaine de jours.
Le 10 mai, il fait partie d’un groupe de 81 détenus remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées.
André Darondeau arrive à écrire et jeter sur la voie un mot qui parvient à sa sœur, Madame R. Hée, 8, avenue de Vitry (aujourd’hui avenue Louis-Aragon), à Villejuif : « Lundi 6 juillet, 4 heures de l’après-midi, Ma chère Marie, Mon cher petit Robert, Depuis 9 h 35 nous roulons et après avoir passé Laon, Reims, Châlons-sur-Marne, Bar-le-Duc, nous arrivons à Mérouville. Avec l’orage de la nuit, la chaleur est moins forte et le soleil ne se fait pas sentir, heureusement car nous n’avons que 2 vasistas dans notre wagon-salon, soigneusement cadenassés. Nous ne savons pas où nous allons, mais c’est sûrement en Allemagne pour y travailler. Nous sommes partis près de 1200. De Villejuif, il n’y a que Gouret et Chailloux qui restent à Compiègne. Pour des volontaires, on évite de nous faire remarquer [2]. Enfin le voyage se passe bien. Nous avons touché 1 boule de pain et 3 camemberts pour 3 jours. « Au devant de la vie » se fait entendre et le moral de tous est bon. Courage et confiance, nous reviendrons. Je vous embrasse bien fort tous les 2 ainsi que toutes et tous. je vous écrirai dès que possible.
André
J’ai renvoyé la valise avec ce que j’avais en trop. »
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet, André Darondeau est enregistré à Auschwitz sous le numéro 45424 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée). Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
- Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; André Darondeau se déclare alors sans religion (Glaubenslos). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, André Darondeau est très probablement dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.
En effet, à une date restant à préciser, il est admis au Block 20 de l’hôpital des détenus d’Auschwitz-I.
Il meurt à Auschwitz le 1er août 1942, d’après les plusieurs registres tenus par l’administration SS du camp [3].
Associé à François Sautet (fusillé par les Allemands), son nom est donné à une cellule du PCF de Villejuif après la guerre.
Déclaré “Mort pour la France” (9-05-1946), “Mort en déportation” (30-10-1989), il est homologué dans la Résistance intérieure française (RIF) avec le grade fictif d’adjudant au titre du Front national [4].
Son épouse, Marie Darondeau, continue l’action clandestine qu’elle menait aux côtés d’André. Sous le nom de guerre d’Antoinette (son deuxième prénom), elle tient une « planque » pour les FTPF à Chatou (Seine-et-Oise) où elle reste du 1er juillet 1943 jusqu’à la Libération, obligeant son fils, élève à l’école professionnelle de la rue de Patay, à de longues randonnées en banlieue. Elle fait aussi fonction d’agent de liaison. De retour à Villejuif à la Libération, elle assure l’accueil des déportés à la mairie. Avec quelques autres, elle est à l’origine de la création de la section de la Fédération des déportés. Avec Renée Estrade, revenue de déportation, et Blanche Féret, elle organise aussi la section de Villejuif de l’Union des femmes françaises. Vivant de manière précaire, sans ressources, Marie Darondeau s’épuise, contractant une grave maladie dont elle meurt le 20 décembre 1949. Son corps repose au cimetière de Villejuif.
Notes :
[1] Villejuif : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] « Pour des volontaires, on évite de nous faire remarquer. » S’agissant du premier convoi de déportation de détenus non-juifs partant de Compiègne et après un examen pour – soi-disant – estimer leur aptitude au travail, André Darondeau pense certainement qu’on veut les faire passer pour des volontaires de la “relève” (accord de la Collaboration, lancé par Laval le 22 juin 1942, selon lequel trois ouvriers partant travailler en Allemagne permettent la libération d’un prisonnier de guerre agriculteur).
[3] Différence de date de décès avec celle inscrite initialement au Journal Officiel : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – s’appuyant sur le ministère des Anciens combattants qui avait collecté le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois. Concernant André Darondeau, c’est le 15 octobre 1942 qui a été d’abord retenu pour certifier son décès. Mais le ministère des Anciens combattants a fait apposer une mention rectificative sur l’acte de décès (4-02-1994).
[4] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN”, jusqu’à son changement d’appellation le 1er juin 2018).
Sources :
Marcelino Gaton et Carlos Escoda, “Mémoire pour demain, L’action et les luttes de militants communistes à travers le nom des cellules de la section de Villejuif du Parti communiste français”, Éditions Graphein, septembre 2000, pages 38 et 40. Ils citent une contribution de Robert Darondeau, son fils, dans Villejuif à ses martyrs de la barbarie fasciste, brochure, 1946.
Archives départementales de Paris, site internet, archives en ligne, registre des naissances du 12e arrondissement à la date du 5-03-1899, acte n°666 (V4E 9417, vue 2/29.
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 389 et 400.
Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux, centre de séjour surveillé d’Aincourt, cotes 1w74 (révision trimestrielle), 1w80 (notice individuelle), 1w177.
Comité du souvenir du camp de Voves, liste établie à partir des registres du camp conservés aux Archives départementales d’Eure-et-Loir.
Nadia Ténine-Michel, Le camp d’Aincourt (Seine-et-Oise), 5 octobre 1940 – 15 septembre 1942, article in Les communistes français de Munich à Châteaubriant (1938-1941), sous la direction de Jean-Pierre Rioux, Antoine Prost et Jean-Pierre Azéma, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, novembre 1987.
Robert Darondeau et Andrée Darondeau, sa petit-fille, ont relu et validé cette notice (18-03-2007).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 214 (17827/1942).
Carlos Escoda et MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 20-02-2013)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.