André, Henri, Léon, Doucet naît le 10 mars 1903 à Hirson (Aisne), chez ses parents, Raoul Doucet, 25 ans, polisseur d’étain, et Léa Lourmier, 20 ans, son épouse, domiciliés rue Saint-Michel. André a une sœur, Andréa, née en 1910 à Hirson.
Le 14 avril 1914, rappelé à l’activité militaire par le décret de mobilisation générale, le père de famille rejoint le 19 régiment territorial d’infanterie. Le 6 octobre 1915, par décision du général en chef, il est « détaché du corps jusqu’à nouvel ordre aux Aciéries de Nanterre, 12 avenue de la République à Nanterre » [1] (Seine / Hauts-de-Seine – 92). Il semble que la famille ait pu le rejoindre, venant habiter au 35 rue de Bezons. Le 3 mai 1916, à la suite d’un accident survenu dans l’usine, Raoul Henri Doucet décède (âgé de 38 ans) au 75 avenue de la République à Nanterre (peut-être à l’infirmerie de la Maison départementale de Nanterre).
De la classe 1923, André Doucet est réformé et n’est pas astreint au service militaire.
En 1924, il habite avec sa mère rue des Fessières à Nanterre.
Le 31 janvier 1925 à Nanterre, André Doucet se marie avec Yvonne Manteau, née le 9 mars 1904 à Hirson, 20 ans, alors couturière, fille d’un mouleur. En 1926, le couple cohabite avec la mère et la sœur d’André. Le 8 janvier 1928, ils ont un fils, Raoul André, né à Nanterre.
En 1931, ils sont domiciliés au 12 bis rue des Launes à Nanterre.
Sa mère devient concierge de l’école maternelle Voltaire à Nanterre.
André Doucet est métallurgiste (mouleur), chez Manteau fils Aluminium à Nanterre.
Il est adhérent au Parti communiste, sous-rayon de Nanterre, rayon de Puteaux,
Le 12 mai 1935, il est élu conseiller municipal de Nanterre sur sur la liste du Parti communiste emmenée par Pierre Brandy et Raymond Barbet. Au conseil municipal, il est en charge de la jeunesse, en particulier des colonies de vacances de la ville.
En 1936 et jusqu’au moment de l’arrestation du chef de famille, celle-ci habite dans un pavillon au 67, rue Lannes à Nanterre.
Le 5 octobre 1939, comme pour de nombreuses villes de la “banlieue rouge”, le conseil municipal de Nanterre est “suspendu” par décret du président de la République (sur proposition du ministre de l’Intérieur) et remplacé par une délégation spéciale nommée par le préfet.
Le 29 février 1940, comme beaucoup d’autres élus, André Doucet est déchu de son mandat par le Conseil de préfecture pour appartenance au Parti communiste (dissous et interdit depuis le 26 septembre 1939).
- L’Œuvre, édition du 18 mars 1940.
Archives de la préfecture de police. Paris.
Le 14 septembre 1940, André Doucet est arrêté sur son lieu de travail (à Nanterre ?) ou à son domicile par des inspecteurs du commissariat de police de Puteaux et écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e).
Le 15 octobre, le préfet de police de Paris signe l’arrêté ordonnant son internement administratif et celui de Georges Musset : ils sont aussitôt conduits au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé au début du mois dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt afin d’y enfermer des hommes connus de la police pour avoir été militants communistes avant-guerre.
Conçus à l’origine pour 150 malades, les locaux sont rapidement surpeuplés : en décembre 1940, on compte 524 présents, 600 en janvier 1941, et jusqu’à 667 au début de juin.
En février 1941, alors que les autorités françaises envisagent le transfert de 400 détenus d’Aincourt vers « un camp stationné en Afrique du Nord », le docteur du centre dresse trois listes d’internés inaptes. André Doucet figure sur celle des internés « non susceptibles absolus » comme cardiaque.
Le 25 février, sur le formulaire de « Révision trimestrielle du dossier » d’André Doucet, à la rubrique « Avis sur l’éventualité d’une mesure de libération », le commissaire spécial, directeur du camp, émet un avis défavorable en s’appuyant sur le constat que cet interné « suit les directives du parti communiste », tout en lui reconnaissant une « tenue correcte, n’a jamais été puni ».
Le 18 mars, sa mère écrit au préfet de Seine-et-Oise pour présenter une requête dont le contenu reste à préciser. Le haut fonctionnaire départemental renvoie la décision au préfet de police de Paris, direction des services des renseignements généraux (la suite donnée est inconnue).
Le 11 février 1942, André Doucet fait partie des 21 militants communistes que les “autorités d’occupations” « extraient » d’Aincourt sans en indiquer les motifs ni la destination au chef de centre. Tous sont conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Dans ce camp, on reconnaît la signature d’André Doucet sur le menu d’un repas solidaire des détenus, une initiative du “comité des loisirs” servant de couverture à leur organisation de résistance.
Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises.
Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, André Doucet est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45480, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; André Doucet se déclare également sans religion (Glaubenslos). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté André Doucet.
Il meurt à Auschwitz le 30 août 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [2], qui indique « pleuropneumonie » pour cause mensongère de sa mort.
Le 20 novembre 1944, son épouse écrit au préfet de police : « Peut-être par vous pourrais-je obtenir quelques informations au sujet de mon mari, Doucet André, né le 10 mai 1903 à Hirson, Aisne. Il a été arrêté le 24 septembre 1940, détenu un mois à la prison de la Santé. Il fut ensuite transféré à Aincourt, Seine-et-Oise, jusqu’en février 1942, date où il est parti à Compiègne. Ensuite, il quitta Compiègne le 6 juillet 1942 pour une destination inconnue. Depuis, je n’ai jamais su où il était et jamais eu de nouvelles. Je me suis adressée dans les Croix-Rouge et ma demande est restée vaine. Puis-je espérer avoir un meilleur résultat auprès de vous ? Dans l’attente d’une réponse, veuillez agréer, Monsieur, mes salutations distinguées. » La réponse ne viendra pas de ce côté-là…
André Doucet est déclaré “Mort pour la France” et homologué comme “Déporté politique”.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. n° 205 du 3-09-2008) [2]. Son nom est inscrit (sans prénom) parmi les Morts en déportation sur le Monument aux morts de Nanterre, parc des Anciennes Mairies.
Le 26 février 1948, la majorité du Conseil municipal de Nanterre donne le nom d’André Doucet à l’ancienne rue d’Argenteuil. Le collège construit plus tard le long de cette voie s’appelle également André Doucet.
Notes :
[1] Nanterre : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Concernant André Doucet, l’état civil porte précisément la mention « Mort au camp de Compiègne, le 6 juillet 1942 » (date erronée reprise par le dictionnaire Maitron). Récemment modifiée par « le 11 juillet 1942 à Auschwitz », selon une règle de principe ajoutant cinq jours à la date connue de départ du convoi. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.
Sources :
Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, dirigé par Jean Maitron, tome 25, p. 292.
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 356, 383 et 402.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” des Hauts-de-Seine nord (2005), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (acte de décès, liste incomplète par matricules du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) – État civil d’Hirson – Archives municipales de Nanterre – Témoignage d’André Monjauvis (45887), de Paris 13e – B. Lafon et P. Zarka,Recherches sur l’implantation du Parti communiste français à Nanterre, mémoire de maîtrise, Paris I, 1971.
Archives municipales de Nanterre : registres des délibérations du Conseil municipal.
Archives départementales de l’Aisne, site internet, archives en ligne : registre d’état civil d’Hirson, année 1903, acte n° 89, (vue 38).
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “Occupation allemande” : liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 2397) ; dossier individuel au cabinet du préfet (1 W 475-11300).
Archives départementales des Yvelines et de l’ancien département de Seine-et-Oise (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt ; cotes 1w74 (révision trimestrielle), 1w76, 1w77, 1w80, 1w109 (dossier individuel).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 235 (25950/1942).
Site Mémorial GenWeb, 92-Nanterre, relevé de Gilles Gauthier (12-2005).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 8-10-2023)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.