Antoine, Jean-Baptiste, Sue (peut-être orthographié Süe) naît le 17 février 1902 à Anor (Nord – 59) à proximité de Fourmies et à la limite Sud-Est du département avec celui de l’Aisne, fils d’Antoine Sue et d’Élisabeth Baudin. Antoine Sue a (au moins) deux sœurs plus âgées.
Pendant un temps, il habite dans le quartier de la Verrerie (au n° 5 ?), à Hirson (Aisne), à 8 km de son village de naissance.
Le 29 octobre 1921, à Hirson, Antoine Sue se marie avec Marthe Desmasures, née le 23 janvier 1902 dans cette ville. Leur fils, Pierre Antoine, est né le 11 octobre 1921.
Le 1er janvier 1922, Antoine Sue adhère à la CGT.
Le 6 décembre 1923, il entre à la Compagnie des Chemins de fer du Nord (qui fusionnera avec d’autres au sein de la SNCF). Il est ouvrier ajusteur au dépôt d’Hirson.
En mai 1924, il adhère au Parti communiste. Il habite alors un baraquement du quartier Godon (Alfred Godon, maire d’Hirson en 1891 et 1892).
En mai 1926, Antoine Sue est délégué syndical de son entreprise au titre de la CGT. Il est domicilié dans le baraquement 39 de la rue Legros prolongée.
Marthe, sa première épouse, décède le 22 juin 1927.
Le 30 août 1930, à Hirson, Antoine Sue épouse en secondes noces Simone Marchandise, née le 11 mai 1905 à l’hôpital Brisset, déjà mère de Jacques (Marchandise), né le 16 avril 1927.
À partir de 1936 et jusqu’au moment de l’arrestation du chef de famille, celle-ci est domiciliée dans un petit pavillon au 125, boulevard de Metz à Hirson (Aisne – 02), dans la cité cheminote des Champs-Élysées, jouxtant la gare de triage et construite par la Compagnie des chemins de fer de l’Est.
En mai 1927, Antoine Sue devient secrétaire adjoint de la section d’Hirson du Parti communiste. Avant-guerre, il en est secrétaire et membre du Comité fédéral de l’Aisne. Il est candidat du PCF à plusieurs élections locales.
Lors de l’interdiction du parti communiste en septembre 1939, il cache les documents de la section.
À la même époque, il déclare mettre fin à son engagement communiste (selon sa réponse aux Allemands), mais continue d’être délégué syndical.
Le 28 septembre, le commissaire de police d’Hirson procède à une perquisition à son domicile qui amène la découverte d’« une boîte nécessaire à imprimer et de timbres en caoutchouc », déposés ensuite au greffe du tribunal de Vervins
Mobilisé entre septembre 1939 et juin 1940, Antoine Sue est fait prisonnier de guerre et détenu dans un camp du Stalag IV (C, à Wistritz bei Teplitz, à 46 km au sud de Dresde, installé en centre ville, dans une ancienne usine de porcelaine ?). Mais son statut de cheminot permet sa libération et il est rapatrié en mai 1941 (circonstance à vérifier…).
Convoqué par la police française après son retour, il est informé qu’il est tenu responsable de toute diffusion de propagande communiste à Hirson. « La menace était claire : Sue allait vivre alors en otage de la police. C’était simple, le marché consistait à échanger sa liberté contre le silence des communistes. » (Gazette de la Thiérache n° 3861).
Sous l’Occupation, Hirson se trouve à l’intérieur de la “zone interdite”.
Après son retour d’Allemagne, Antoine Sue reçoit de Paul Doloy, cheminot de Tergnier et agent de liaison sur le département, une valise de tracts : L’Appel de Maurice Thorez et Jacques Duclos, daté du 10 juillet 1940. Il en commence la diffusion dans les jours suivants avec quatre camarades d’Hirson, bientôt rejoints par d’autres, d’abord en ville, puis dans les cités SNCF de Batavia, des Champs-Élysées (quartiers d’Hirson) et de Buire (commune voisine).
Dans la nuit du 29 au 30 août a lieu à Hirson, particulièrement dans la cité des cheminots des Champs Élysées et de Buire, ainsi que dans les lavabos des ateliers et sur les voies du dépôt SNCF, une importante distribution de tracts et d’un numéro spécial de L’Humanité intitulé « Hitler a attaqué l’Union Soviétique ». Dès le lendemain, la section de gendarmerie française de Vervins, brigade d’Hirson, aidée de la Feldgendarmerie, mène une enquête restée sans résultat, puis perquisitionne chez deux militants communistes connus. Au domicile d’Antoine Sue, les gendarmes découvrent deux tampons en caoutchouc – un pour le secrétariat du Syndicat unitaire des travailleurs des chemins de fer d’Hirson, un autre pour le secrétariat du 4e rayon d’Hirson de la SFIC, portant faucille et marteau -, une pâte à polycopier avec deux flacons d’encre, non déclarés, diverses brochures du PCF datées d’avant guerre, des listes du personnel de divers dépôts SNCF, une lettre écrite le 2 mai 1941 par Armand Dumange, cheminot de Busigny, pour inciter Antoine Sue à faire distribuer les tracts qu’il vient de lui adresser. Ce dernier est gardé à vue. Bien que le commandant de gendarmerie constate qu’« aucun fait de propagande ouverte ne peut lui être imputé », le préfet de l’Aisne prévoit de prendre une mesure d’internement en exécution de son arrêté du 16 décembre 1940 « portant réglementation de la vente par les fabricants-marchands, grossistes ou détaillants, de tout matériel ou objets pouvant être employés à la confection de circulaires et tracts ronéotypés. »
Le 5 septembre suivant, Antoine Sue est officiellement arrêté par la Feldgendarmerie sur ordre du tribunal de la Feldkommandantur 602 de Laon (02) « pour non-remise de tracts communistes ». Il est conduit au quartier allemand de la Maison d’arrêt de Saint-Quentin (à vérifier…).
Le 20 septembre, le commissaire principal du commissariat spécial des renseignement généraux de Laon écrit au préfet de l’Aisne pour lui transmettre une liste des « communistes notoires actuellement présents » dans plusieurs localités « et qui semblent continuer leurs agissements antinationaux ». Suivent 104 noms, dont 29 pour Hirson, 27 pour l’agglomération de Chauny/Tergnier/La Fère/Beautor, 19 pour Soissons et 12 pour Château-Thierry, ce qui désigne ainsi les bastions communistes du département. Antoine Sue est inscrit parmi les militants d’Hirson, avec la mention de son arrestation.
Le 25 novembre, sur demande du secrétaire d’État aux communications, le préfet de l’Aisne signe un arrêté prononçant le licenciement d’Antoine Sue de la SNCF en application de la loi du 14 (ou 24) octobre 1941.
Entre temps, le tribunal de la Feldkommandantur transfère son dossier à la juridiction pénale de Laon ; c’est probablement alors qu’il est écroué à la Maison d’arrêt de la ville. Mais le tribunal le relaxe, car les documents saisis à son domicile ne présentent pas un motif de poursuite suffisant. Néanmoins, il n’est pas libéré : le 26 décembre, le préfet de l’Aisne signe un arrêté ordonnant qu’Antoine Sue soit interné administrativement au camp français d’Écrouves près de Toul (Meurthe-et-Moselle – 54) ; mesure effective le 2 janvier 1942 (?).
Le 6 janvier 1942, Antoine Sue figure sur une liste de six otages – avec Charles Del Nero et Marcel Gouillard – pour lesquels la Feldkommandantur de Laon transmet des informations au chef du district militaire A, installé à Saint-Germain-en-Laye.
Le 28 mai, Antoine Sue est transféré à la Maison d’arrêt de Nancy (à vérifier…).
Vers le 19 juin, la Feldkommandantur 591 de Nancy (54) demande le transfert au camp de Compiègne de l’otage Antoine Sue, considéré comme un « communiste notoire » (expression généralement utilisée par la police française).
À une date restant à préciser (début juillet ?), le cheminot est interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, Antoine Sue a été sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Antoine Sue est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46261 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Antoine Sue est dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I.En effet, le 25 octobre – en même temps que celui de René Deslandes -, son nom est inscrit sur le registre des malades admis au Block 20 de l’hôpital des détenus d’Auschwitz-I avec la mention « K.L. Birkenau ». Il est assigné à la chambrée (Stube) n° 2.
Antoine Sue meurt à Auschwitz le 8 novembre 1942, selon une copie du registre de la morgue (Leichenhalle) relevée clandestinement par la résistance polonaise interne du camp, et où est inscrit le matricule n° 46261, précisant qu’il arrive du Block 20 (ce local de regroupement temporaire des cadavres est situé au sous-sol du Block 28), précisant qu’il arrive du Block 20.
Après la Libération, la SNCF réintègre Antoine Sue (« repris en compte le 20 décembre 1941 ») avec rappel de solde à la date de son arrestation ; il est possible que salaire et primes aient été versés à sa veuve.
Le nom d’Antoine Sue est inscrit sur le monument aux morts d’Hirson, ainsi que sur la plaque dédiée aux « Agents SNCF tués par faits de guerre (1939-1945) » apposée dans la gare d’Hirson, et sur une stèle au dépôt d’Hirson, situé sur la commune de Buire (02).
Par sa délibération du 2 novembre 1945, modifiée le 27 février 1961, le Conseil municipal d’Hirson donne le nom d’Antoine Sue à une nouvelle rue montant vers l’ancienne basilique Saint-Thérèse. Elle est inaugurée, avec d’autres, le 21 mai 1961.
Construite en 1927 en lisière du stade des Champs-Elysées et initialement baptisée « Eldorado », la salle des fêtes d’Hirson est rebaptisée salle Antoine Sue en 1949. Le bâtiment, désaffecté pour des raisons de sécurité, est détruit en 2008.
Antoine Sue est titulaire de la Croix de combattant volontaire de la Résistance à titre posthume.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 7-01-2004).
Simone Sue décède à Hirson le 22 octobre 1963, âgée de 58 ans.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 360 et 421.
Cl. Cardon-Hamet, Mille otages pour Auschwitz, Le convoi du 6 juillet 1942 dit des “45000”, éditions Graphein, Paris nov. 2000 : reproduction et traduction de la fiche d’otage d’Antoine Sue (CDJC, XLIV-2), cahier d’illustrations entre les pages 128 et 129.
Alain Nice, La guerre des partisans, Histoire des Francs-tireurs partisans français, Histoire de la Résistance ouvrière et populaire du département de l’Aisne, édition à compte d’auteur, janvier 2012, pages 23, 27-29, 35-36, 109. (commande à adresser à Alain NICE – 9 rue de la Tour du Pin – 02250 BOSMONT-SERRE).
Mémorial de la Shoah, Paris, site internet, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), doc. XLIV-17 et XLIV-18.
Archives départementales de l’Aisne (AD 02), Laon, dossiers du commissariat régional aux Renseignements généraux, surveillance des communistes (SC11276).
Archives de la SNCF, « renseignements sur des agents sanctionnés pour communisme ou activité anti-nationale, licenciés par application des lois du 18 septembre, 23 octobre 1940 et 20 mars 1941 », relevé par Hervé Barthélémy, de l’association Rail & Mémoire (message 01-2014).
Archives du personnel de la SNCF, Béziers, dossier de retraite, recherches de Thomas Fontaine (message 02-2014).
Ville d’Hirson, archives municipales, délibération municipale et autres documents, recherches de Brigitte Gille, transmises à Michel Briset, de l’IHS CGT 02.
Archives du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau (Archiwum Państwowego Muzeum Auschwitz-Birkenau – APMAB), Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach), pages 150 et 152 du registre du Block 20 de l’hôpital, page 9 du registre de la morgue.
Site Mémorial GenWeb, 02-Hirson, relevés de Bernard Roucoulet (2001), de Didier Mahu (09-2012) ; Buire-02, relevé de Jacques Seynaeve (09/2005).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 4-12-2023)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.