Marie Henriette Méterreau, dite Antoinette, naît le 18 juillet 1893, à Mayet (Sarthe – 72), chez ses parents, Henri Méterreau, 25 ans, et Marie Célestine Bougard, 24 ans, son épouse, tous deux cultivateurs domiciliés à la ferme de la Bougardière (sic). Elle a un frère aîné, Henri, né vers 1887. En 1901, la famille est installée au lieu-dit Les Moujus à Saint-Christophe (Indre-et-Loire – 37), où naît un troisième enfant, Louis, le 1er décembre 1901.
Le 27 avril 1915, à La Chartre-sur-le-Loir (72), Marie Méterreau se marie avec Paul Émile Guittet, né le 20 décembre 1885 à Bais (Mayenne). Le 16 janvier précédent, rappelé à l’activité militaire, celui-ci avait rejoint le 31e régiment d’artillerie. Le 20 mai, il part au front avec son unité. Le 7 novembre suivant, il passe au 104e régiment d’artillerie comme 2e canonnier servant. Le 13 mai 1917, il est “tué à l’ennemi” au ravin nord de Paissy près Moulins (Aisne).
Le 20 février 1940, à Tours, Marie Méterreau – alors couturière – se marie avec Léon Émile Bibault, né le 7 décembre 1906 à Sommières-du-Clain (Vienne), menuisier-ébéniste établi à Tours (37). Elle emménage chez celui-ci, au 33, rue Bernard-Palissy, dans le même pâté de maisons que Franciska Goutayer (voir ce nom).
Selon Charlotte Delbo, des voisins accuseront “Antoinette” Bibault d’avoir fait arrêter une trentaine de résistants pendant l’été 1942 – et jusqu’à son frère -, le préfet d’Indre-et-Loire nommé par le gouvernement de Vichy, Jean Tracou, ayant promis une prime de 50 000 Francs aux délateurs. Franciska Goutayer, sa voisine, l’accusait formellement de l’avoir dénoncée.
Cependant, un rapport de police ultérieur (daté du 26 mai 1954) rapportera : « À la suite de l’arrestation à Paris de dirigeants nationaux du Parti communiste clandestin, certains responsables interrégionaux furent identifiés. Les Allemands recherchèrent activement dans notre ville le nommé Chartier André dit “Victor”, responsable interrégional du PC clandestin pour la Touraine, l’Anjou, l’Orléanais. L’enquête sous la direction de la Gestapo provoqua l’arrestation de M. Dumas Jules, 84 rue Georges Courteline, à qui Chartier avait confié sa carte de tabac [afin qu’il puisse toucher ses rations à sa place]. Chez Dumas, de nombreux tracts anti-allemands furent saisis, et certains documents permirent l’arrestation des membres de l’organisation clandestine du PC constituée à Tours, [une soixantaine de personnes]… »
Le 4 août 1942, “Antoinette” Bibault est arrêtée par le SD de Tours (“Gestapo”) en même temps que son mari et quatre autres personnes, tous désignés comme communistes sur un registre de détenus [1]. Elle est emprisonnée à la Maison d’arrêt de Tours, rue Henri Martin.
À midi, leur train s’arrête à la gare d’Austerlitz, à Paris. On les fait entrer dans une petite salle d’attente équipée de bancs, où des bénévoles de la Croix-Rouge distribuent à chacune un bol de bouillon “Kub” et une tranche de pain noir. Un agent de police française est là pour les accompagner aux toilettes.
Après une attente de plusieurs heures, les prisonnières – toujours encadrées par des soldats – doivent monter dans deux autobus de la RATP.
Dans la soirée, elles arrivent dans la brume au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122.
À la Kommandantur du camp, derrière le portail d’entrée, Marie « Émilie » (sic – ?) Bibault est enregistrée sous le matricule 1166. Puis les Tourangelles sont conduites en contrebas du fort. Les gardiens leur annoncent qu’il est trop tard pour les installer dans le bâtiment de caserne : elles seront enfermées dans une casemate pour la nuit. Il est également trop tard pour leur donner à manger : à cette heure, il n’y a plus rien aux cuisines. Mais d’autres prisonnières ayant appris leur arrivée obtiennent l’autorisation de leur apporter des biscuits extraits de leurs propres colis et de la tisane chaude, qui leur procurent surtout un réconfort moral. Dans ce local souterrain humide et glacé, elles ne parviennent pas à dormir.
Le lendemain, elles sont conduites au premier (?) étage du bâtiment. Exceptées trois militantes communistes qui sont intégrées aux premières internées, les Tourangelles rejoignent la chambrée du fond.
Au cours du mois de janvier, un photographe civil des Lilas est amené dans le périmètre de promenade pour y réaliser des portraits des détenu(e)s devant un drap blanc tendu sur les barbelés, chacun(e) étant identifié(e) par une réglette indiquant son matricule.
Selon le registre du camp, le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en cars au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22,1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »).
Le lendemain, “Antoinette” Bibault fait partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris).
Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites en camions découverts à la gare de marchandises de Compiègne et doivent grimper dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille).
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen [1], tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.
Le lendemain matin, après avoir été brutalement descendues et alignées par cinq sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia).
Parvenues à une baraque d’accueil, une première moitié des déportées est emmenée vers la “désinfection” et l’enregistrement ; en l’occurrence essentiellement les occupantes de la chambrée “communiste” de Romainville, probablement en fonction de leur numéro d’enregistrement dans ce camp. L’autre groupe, incluant les Tourangelles et dans lequel de trouve Antoinette Bibault, passe la nuit à attendre, assis sur les valises, adossé aux planches de la paroi.
Marie Bibault est enregistrée sous le matricule 31771. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, les (dorénavant) “31000” sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rang de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois quarts, de face et de profil (la photo d’immatriculation d’Antoinette Bibault n’a pas été retrouvée).
Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises.
Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive).
Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.
Marie Bibault meurt au camp de femmes de Birkenau le 16 mars 1943, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher). Selon le témoignage des survivantes consigné par Charlotte Delbo, on l’a trouvée morte, sur son « carré » (châlit), avant l’appel ; mais celles-ci estimaient que son décès était survenu dans les dix premiers jours, le 5 ou le 6 février.
Son mari, déporté par le même convoi (1466 hommes) jusqu’à Halle (Allemagne), est enregistré le 25 janvier 1943 au KL [1] Sachsenhausen (n° matricule 58029), puis transféré au KL Mauthausen. Il succombe à une date inconnue au Kommando de Langenstein, ouvert en avril 1944.
Son frère, Louis Méterreau, est déporté le 12 mai 1944 au KL Buchenwald (n° matricule 49531). Il meurt le 10 avril 1945.
Le 29 juin 1943, l’Aussen Kommando (?) de Tours a adressé au maire de la ville un courrier selon lequel Marie-Henriette Bibault est décédée à « l’hôpital d’Auschwitz, des suites d’une maladie d’estomac et du tube digestif ».
Afin d’obtenir le retour des affaires personnelles de sa fille, Marie Mettereau s’est adressée au délégué-inspecteur des services sociaux de Tours du Commissariat de la main-d’œuvre française en Allemagne ; le 24 juillet, une fiche de renseignements de l’Association nationale des amis des travailleurs français en Allemagne a été complétée en son nom. Mais – le 13 août – l’institution centrale a répondu d’adresser cette demande à la Kommandantur la plus proche du lieu de résidence de la demandeuse.
Le 3 mai 1944, le commandement militaire allemand en France (Militärbefehlshaber in Frankreich – MBF) a écrit à l’antenne d’Auschwitz du bureau de travail de Bielitz en Haute-Silésie, afin de demander confirmation du décès de la déportée : « Étant donné qu’aucune information n’a été communiquée jusqu’à présent, nous demandons une enquête et, le cas échéant, l’envoi des certificats de décès – avec indication de l’emplacement de la tombe. En ce qui concerne l’envoi de la succession, il est fait référence aux circulaires du GBA-ANG 1026/43 du 10.8.1943, selon lesquelles les successions de travailleurs français décédés sont transmises au bureau de liaison du Commissariat général de la main-d’œuvre française en Allemagne ». Faute d’information, le bureau du travail allemand d’Auschwitz a répondu qu’il a transmis la demande à la direction du camp de concentration. Le 10 juillet, l’administration SS du camp a établi un certificat de décès (Sterbeurkunde) en bonne et due forme (sans mentionner « l’hôpital » ni la cause !). Dix jours plus tard, le 20 juillet, cette administration a renvoyé à Paris l’alliance et une paire de boucles d’oreille, seuls vestiges conservés des effets de Marie-Émilienne Bibault.
Après la Libération, ces bijoux ont été retrouvés dans les dossiers de l’ex-Commissariat d’action sociale pour les Français travaillant en Allemagne, institution qui n’avait pas retrouvé jusque-là l’adresse de sa mère.
Le 10 avril 1947, à la Chartre-sur-Loire, Marie Méterreau (79 ans) complète et signe un formulaire du ministère des anciens combattants et victimes de la guerre pour demander l’inscription de la mention « mort·e pour la France » sur l’acte de décès d’un·e déporté·e politique. Le 30 mai suivant, à Tours, la commission départementale de l’Indre-et-Loire chargée de statuer sur la qualité de chaque catégorie de rapatriés ou non rentrés prononce un avis favorable.
Notes :
[1] Les hommes arrêtés le même jour qu’ “Antoinette” sont transférés directement au camp allemand de Royallieu à Compiègne. Le 24 janvier 1943, en plus de son mari, trois d’entre eux sont dans les wagons du convoi dirigé sur le KL Sachsenhausen : Édouard Billerot, né le 11 décembre 1908 à La Haye-Descartes (37), matricule n° 57982, affecté au Kommando Heinkel, décédé le 10 mai 1945 à Sachsenhausen avant le rapatriement ; Lionel Benoist, né le 25 septembre 1899 à Châtillon-sur-Indre (36), matricule n° 57940, affecté au Kommando Heinkel, rescapé, libéré le 2 mai 1945 en un lieu restant à préciser ; Marcel Besnier, né le 22 mars 1910 à Vouvray (37), matricule n° 64912, rescapé libéré le 22 avril 1945 à Sachsenhausen (source : Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression…, 1940-1945, par la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, éditions Tirésias, Paris 2004).
[2] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration) ; certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 39-40.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 85 (15184/1943).
Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression…, 1940-1945, éditions Tirésias, Paris 2004 ; convoi I.74, tome 2, page 599 ; convoi I.211, tome 3, page 600.
Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : dossier individuel (21 P 425-537).
Archives Nationales, Pierrefitte-sur-Seine : listes nominatives et matriculaires trouvées au fort de Romainville ; registres d’écrou du fort de Romainville de 1941 à 1944, microfilm (MIC/F/9/5578).
Archives départementales d’Indre-et-Loire (“… de Touraine”), Tours : registre (Strafliste) du SD de Tours (152 W 1).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 19-04-2022)
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