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Auguste Picard naît le 8 juillet 1896 à Saint-Léger, commune de Marigny-Brisay (Vienne – 86), fils de Benjamin Picard, 43 ans, cultivateur journalier, et d’Alexandrine Couturier, son épouse, 35 ans. Auguste a deux frères plus âgés, Roger, né en 1889, et Henri, né en 1894 ; et une sœur plus jeune, Germaine, née en 1900. Lors du recensement de 1901, la famille habite au Châtelet, autre lieu-dit de la commune.
Le 6 septembre 1916, Auguste Picard est incorporé au 169e régiment d’infanterie. Le 12 février 1917, il passe au 82e R.I. Le 11 août suivant, il passe au 147e R.I. Le 3 octobre 1918, à Marvaux (Ardennes), il est intoxiqué par les gaz de combat. Le 2 septembre 1919, il est « envoyé en congé illimité de démobilisation » et se retire à Marigny-Brisay, titulaire d’un certificat de bonne conduite.
Le 25 septembre 1920 à Châtellerault (86), Auguste Picard se marie avec Blanche Bussereau, née le 4 janvier 1901 dans cette ville. Ils auront six enfants : d’abord Georges, né en 1920, Edgard, né en 1921, Henriette, née en 1923, et Maurice, né en 1925, tous quatre à Beaumont (86).
Le 11 octobre 1920, Auguste Picard est embauché comme cantonnier à l’essai par la Compagnie des chemins de fer d’Orléans (Paris-Orléans, P.O.) qui fusionnera au sein de la SNCF début 1938 [1]. En mai 1921, il est classé “affecté spécial” dans l’armée de réserve comme cantonnier à Châtellerault pour cette compagnie.
En septembre 1927, il a la même affectation à La Tricherie, lieu dit de Beaumont, où il demeure.
En 1929, il est domicilié à Ingrandes-sur-Vienne (86), où naissent Jacques et enfin Yves, en 1933.
En janvier 1931, Auguste Picard y est sous-chef de rayon au P.O.
Au moment de son arrestation, il est domicilié à Saint-Ustre(s), sur la commune d’Ingrandes ; dans ce lieu-dit est implanté un camp de détention allemand (bombardé par les alliés le 22 juillet 1944) [2]. La famille Picard habite une « maisonnette du P.N. 205 » (passage à niveau).
Auguste Picard appartient à la direction du Parti communiste d’Ingrandes (trésorier de cellule), ce qui n’empêche pas sa hiérarchie d’apprécier son travail.
Le 23 juin 1941, il est arrêté par ordre des autorités d’occupation et conduit au camp de la Chauvinerie à Poitiers [3] (selon M. Rideau, 33 communistes sont arrêtés ce jour-là dans la Vienne).
Le 12 juillet 1941, ils sont transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, Auguste Picard est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Auguste Picard est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I), peut-être sous le numéro 45982, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Auguste Picard se déclare alors comme employé des chemins de fer (Eisenbahnbeamte). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Auguste Picard est dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, d’après le témoignage de Raymond Montégut, de Châtellerault (alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I).
Auguste Picard meurt le 2 septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), qui indique « insuffisance (du muscle) cardiaque » (Myocardinsuffizienz) pour cause mensongère de sa mort.
Après leur retour de déportation, les rescapés du convoi qui attestent de son décès sont Maurice Rideau, de Paris 10e, Lucien Penner, de Vanves (92), et Henri Peiffer, de Villerupt (Meurthe-et-Moselle). Néanmoins, la mention « décédé à Dachau (Allemagne) le 5 mai 1945 » a été inscrite par erreur en marge de son acte de naissance.
Son nom est inscrit sur le monument aux morts d’Ingrandes, sur la place à côté du cimetière communal (sur la plaque apposée pour la guerre 1939-1945, année 1942, « déporté »).
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (14-12-1997).
Notes :
[1] La SNCF : Société nationale des chemins de fer français. À sa création, suite à une convention validée par le décret-loi du 31 août 1937, c’est une société anonyme d’économie mixte, créée pour une durée de 45 ans, dont l’État possède 51 % du capital.
[2] Le camp de Saint-Ustre(s) deviendra une base américaine de l’OTAN après la guerre. Aujourd’hui, c’est une zone industrielle.
[3] L’ “Aktion Theoderich” :
L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante.
En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht.
Au total (bilan au 31 juillet), 1300 hommes environ y seront internés à la suite de cette action. Effectuant un tri a posteriori, les Allemands en libéreront plusieurs dizaines. 131 d’entre eux, arrêtés entre le 21 et le 30 juin, seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.
L’Aktion Theoderich dans la Vienne. Témoignage du postier Marcel Couradeau (déporté à Sachsenhausen le 24 janvier 1943) : « 22 juin 1941, je viens de terminer mon service de nuit au centre de tri de Poitiers-Gare. Je rentre à la maison, mais cette fois je prends le chemin des écoliers. J’ai des tracts contre Vichy et l’occupant à mettre dans les boîtes aux lettres, à glisser sous les portes… À six heures, je suis chez moi. À midi, ma femme me réveille. Elle est pâle. Ça y est, les bruits qui couraient depuis quelques jours sont confirmés : l’Allemagne attaque l’URSS… Il va falloir faire vite, sinon les Allemands ne seront pas longs à me cueillir. Mais on frappe à la porte. Trop tard, ils sont déjà là. Ce sont des policiers français, des civils. J’essaie de parlementer. Je me heurte à un mur. En fin d’après-midi, nous sommes six au poste de l’hôtel de ville. À 18 heures, laFeldgendarmerie nous emmène à la Chauvinerie, dans une baraque entourée de barbelés. Nous y serons bientôt près d’une quarantaine avec un fort contingent de Châtellerault et quelques femmes… 14 juillet 1941 grand branle-bas pour un nouveau départ. Nous débarquons en plein midi dans la cour de la gare de Poitiers. Les amis, les parents sont là (les nouvelles vont vite). Ils veulent s’approcher. Les Allemands les repoussent brutalement. Dans le train qui nous emmène vers Compiègne, nous avons un wagon pour nous seuls. Notre brave Rocher est tout retourné. Fervent témoin de Jéhovah, il décide d’offrir sa vie pour la sauvegarde de la nôtre. Il s’ouvre les veines blesse profondément. À Orléans, on l’évacue… »
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 73, 379 et 417.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” des Deux-Sèvres et de la Vienne (2001), citant : FNDIRP de la Vienne, Raymond Jamain (1972, 1989) – Témoignages de Maurice Rideau (2/10/1971), Émile Lecointre (2/1989) et Raymond Montégut (11/1972) – Michel Bloch, historien (1-2/1973) – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen.
Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, pages 1172-1173.
Archives départementales de la Vienne (AD 86), site internet du conseil général, archives en ligne, état civil de Marigny-Brizay, registres des naissances 1893-1902 (5 MI 1196), année 1896, acte n°12 (vue 24/68) ; recensement de 1901 à Marigny-Brizay (vue 8) ; registre matricule du recrutement militaire pour l’année 1916, bureau de Châtellerault, numéros de 1501 à 1613 (1R/RM 521), matricule 1595 (vue 125/148).
Sachso, Amicale d’Orianenburg-Sachsenhausen, Au cœur du système concentrationnaire nazi,Collection Terre Humaine, Minuit/Plon, réédition Pocket, mai 2005, page 38 (sur les arrestations des Viennois, fin juin 1941).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 926.
Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : copies de pages du Sterbebücher provenant du Musée d’Auschwitz et transmises au ministères des ACVG par le Service international de recherches à Arolsen à partir du 14 février 1967, carton de L à R (26 p 842), acte n° 26855/1942.
Base de données des archives historiques SNCF : service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne (en 1947), de A à Q (0110LM0108).
Site Mémorial GenWeb, 86-Ingrandes, relevé de Daniel Fouquerel (2004).
Site Les plaques commémoratives, sources de mémoire (aujourd’hui désactivé – nov. 2013), photographie de Jean-Jacques Guilloteau.
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 14-05-2020)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.