- Auschwitz-I, le 3 février 1943
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Aurélie Dudon naît le 11 mars 1902 à Villenave-d’Ornon (Gironde – 33), où ses parents sont maraîchers. Elle va école communale jusqu’au Certificat d’études, puis elle apprend le métier de vernisseuse au tampon.
- Carte postale. Collection Mémoire Vive.
À une date restant à préciser, elle épouse Joseph Ducros, né le 7 mars 1902 à Oloron-Sainte-Marie (Pyrénées-Atlantiques [1] – 64), plombier-zingueur artisan. Ils ont quatre enfants : François, né 12 septembre 1922 à Bordeaux, Marie, qui a dix-sept ans lorsque sa mère est arrêtée ; Paulette, qui a onze ans et Arlette, un bébé de quatorze mois.
Sous l’occupation, Joseph Ducros fait partie des Francs-tireurs et partisans (FTP) ; il entrepose chez lui de la poudre, des grenades, participe à des actions de sabotage. Sa femme le seconde et héberge des résistants.
En juillet 1942, se sentant menacé, Joseph Ducros part pour Oloron avec son fils aîné, François (vingt ans). II ne pense pas qu’on peut arrêter sa femme.
Le 9 juillet 1942, Marie-Louise Ducros est pourtant arrêtée chez elle, à Villenave-d’Ornon, ainsi que sa fille Marie (qui sera relâchée), par la police de Poinsot [2] accompagnée de la Gestapo.
D’abord recueillis par leur oncle, frère de Joseph Ducros, ses deux plus jeunes enfants, reviendront ensuite à la maison, tenue par leur grande sœur Marie.
Marie-Louise Ducros est emprisonnée à la caserne Boudet, rue de Pessac à Bordeaux, qui dispose d’une prison militaire utilisée comme annexe du Fort du Hâ.
Le 17 août 1942, Joseph et François Ducros sont arrêtés à Oloron.
Le 16 octobre, Marie-Louise Ducros est parmi les 70 hommes et femmes – dont 33 futures “31000” (les “Bordelaises” et les Charentaises) – transférés depuis le Fort du Hâ et la caserne Boudet de Bordeaux au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas [3] (Seine-Saint-Denis – 93), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122. Elle y est enregistrée sous le matricule n° 972. Pendant trois semaines, les nouveaux arrivants sont isolés, sans avoir le droit d’écrire, puis ils rejoignent les autres internés (hommes et femmes étant séparés mais trouvant le moyen de communiquer).
Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 21.1 »). Le lendemain, Marie-Louise Ducros fait partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié concernant les deux nuits et la journée passées à Royallieu, et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation… Mais Betty Jégouzo confirme ce départ en deux convois séparés, partis un jour après l’autre du Fort de Romainville. Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le lendemain matin, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
- Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises
et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.
Marie-Louise Ducros y est enregistrée sous le matricule 31746. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois-quart, de face et de profil (la photo d’immatriculation de Marie-Louise Ducros a été retrouvée).
Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.
Atteinte par la dysenterie, Marie-Louise Ducros est admise au Revier [4], l’« hôpital » du camp, où elle succombe au bout de quelques jours.
Marie-Louise Ducros meurt à Birkenau le 28 février 1943.
La même année, la mairie de Villenave-d’Ornon est informée de son décès par les autorités allemandes et envoie un avis à son domicile (l’acte établi au camp a lui-même été détruit). Sa fille Marie le fait savoir à son père et à son frère qui sont en prison.
Le 30 août 1943 au soir, après avoir été probablement détenus pendant un temps au Fort de Romainville, Joseph Ducros et son fils François sont déportés dans un transport partant de Paris, gare de l’Est. Venant de différents lieux d’incarcération, quarante hommes sont regroupés dans des wagons de voyageurs aménagés pour le transport des prisonniers et accrochés à un train régulier à destination de l’Allemagne. Arrivés à Sarrebruck le lendemain matin, les déportés descendent et sont conduits au camp de transit de Neue Bremm où ils restent quelque temps avant d’être transférés vers des KL en Allemagne ; une partie d’entre eux – dont le père et le fils Ducros – se voit attribuer le sigle « NN » par la Gestapo. Le 16 septembre, onze de ces déportés sont transférés au KL Mauthausen où ils sont immatriculés dans la série des « 35000 » : François Ducros y est enregistré sous le numéro 35192 et son père sous le 35193. Tous deux survivent jusqu’à la libération du camp, le 5 mai 1945, mais ils reviennent gravement atteints (la moitié des quarante homme a succombé…).
Marie-Louise Ducros est homologuée dans la Résistance intérieure française avec le grade de caporal. Elle a reçu la Médaille militaire.
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 99-100.
Marion Quény, Un cas d’exception : (…) le convoi du 24 janvier, mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Lille 3-Charles de Gaulle, juin 2004, notamment une liste réalisée à partir du registre de Romainville (copie transmise par Thomas Fontaine), pp. 197-204, et p. 114.
Thomas Fontaine, Guillaume Quesnée, Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression…, 1940-1945, éditions Tirésias, Paris 2004, I.127, pages 1041 et 1042.
MÉMOIRE VIVE
(dernière modification, le 28-04-2010)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
[1] Pyrénées-Atlantiques : département dénommé “Basses-Pyrénées” jusqu’en octobre 1969.
[2] En juin 1940, Pierre Poinsot, trente-trois ans, est commissaire subalterne au commissariat spécial de la préfecture de Bordeaux.
Dès la défaite, il se met au service de l’occupant qui, en retour, l’aide à prendre la direction de son service. C’est donc en collaboration totale avec la Gestapo (KDS) qu’il organise la répression, délibérément et sans aucune réserve.
Le 12 juillet 1942, lorsque la Section régionale des affaires judiciaires d’origine politique (SRAJOP) de Bordeaux est créée, il est aussitôt nommé à sa tête. Et il continue à diriger cette brigade quand celle-ci devient le Service des affaires politiques (S.A.P.) quelques mois plus tard.
À la mi-mai 1944, promu pour ses bon états de service, il est nommé sous-directeur des Renseignements généraux à Vichy où il continue à traquer et torturer les résistants, avec la Milice de Joseph Darnand.
Le 18 août suivant, Poinsot s’enfuit vers le Reich dans un convoi de huit voitures accompagnées de véhicules allemands (Philippe Pétain a fui la veille). Avec l’accord de la Gestapo de Lorrach, il s’installe dans cette ville, où il participe à l’organisation d’un réseau d’espionnage actif dès novembre 1944 et dont les agents sont infiltrés en France pour y chercher des renseignements au profit des Nazis. Il se rend fréquemment à Sigmarigen, refuge du gouvernement et de l’administration de Pétain.
Le 24 avril 1945, fuyant par la Suisse, il est interpellé par la police helvétique, porteur de 540 000 francs qu’il prétendra destinés à Darnand, de marks allemands et de bijoux volés. Devant choisir entre être expulsé vers la France ou l’Allemagne, il propose aux autorités françaises de leur indiquer le refuges des chefs nazis qu’il a connu en Allemagne en échange d’une protection. Entré en contact avec la sécurité militaire (à Paris ?) le 1er mai, il est immédiatement mis en état d’arrestation. Sa femme est arrêtée deux jours plus tard en gare de Dijon, porteuse de plus d’un million de francs.
« Devant un communiste, je vois rouge », dit l’ex-commissaire Pierre Poinsot à son procès qui s’ouvre le 15 juin 1945 à Moulins (Allier). Mille cinq cents communistes et résistants ont été arrêtés à Bordeaux, par lui ou sur ses ordres, plusieurs dizaines ont été fusillés après avoir été remis à l’occupant, des centaines déportés, sans compter les séances de torture infligées à la plupart des personnes arrêtées, notamment à coups de nerf de bœuf – qualifié de « machine à imprimer » – et de “gégène”.
« J’ai cru en la collaboration et pour cela j’ai mis tout mon cœur à l’ouvrage. Ma conscience ne me reproche aucun crime », dit-il aux juges.
Condamné à mort et à la dégradation nationale, Pierre Poinsot est exécuté à Riom le 18 juillet 1945, en même temps que les inspecteurs André Célerier et René Evrard (« le tueur »), qui l’ont suivi de Bordeaux à Vichy.
[3] Jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[4] Revier , selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”.