Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Camille, Paul, Delbès naît le 4 mars 1892 à Aubin (Aveyron – 12), chez ses parents, Jean Antoine Delbès, 46 ans, mineur de houille, et  Marie Fraysse, 38 ans, son épouse, domiciliés au lieu-dit Fromental.

Pendant un temps, Camille Delbès habite à Roussenac (12), où est né son père, travaillant comme coiffeur et tailleur d’habits.

En 1913, le conseil de révision le classe dans le service auxiliaire pour « musculature insuffisante ». Il est incorporé le 10 octobre suivant pour accomplir son service militaire.

Le 13 août 1914, sur sa demande, il est classé dans le service armé par la commission de réforme de Perpignan. Le 29 juillet 1915, il passe à la 5e compagnie d’infirmier. Le 15 janvier 1917, la commission de réforme de Château-Thierry le maintient au service armé, inapte toutes armes mais apte brancardier pour motif de faiblesse et en raison de sa petite taille, 1,52 mètre. Le 1er octobre suivant, il passe à la 16e section d’infirmiers. À une date restant à préciser, il est légèrement blessé au cou par un éclat d’obus. Le 2 août 1918, il est cité à l’ordre de la division et reçoit la Croix de guerre avec étoile d’argent. Le 2 août 1919, il passe à la 6e section. Le 31 août suivant, il est mis en congé illimité de démobilisation et se retire rue du XXX-Hérault à Meze (Hérault), au bord du bassin de Thau. En octobre, il est domicilié chez Serveille, au 15 rue du Port, dans cette commune.

À une date restant à préciser, il se met en ménage avec Euphrasie, Bertranne, Marie, Jeanne (son prénom d’usage), Le Breton, née le 19 février 1900 à Melgven (Finistère), cuisinière, précédemment mariée avec Laurent Mayet (à Paris 15e, le 17 mai 1924), dont elle a eu deux enfants : Marcel  Mayet, né 20 février 1924 (reconnu le 29 avril 1924), et Madeleine Mayet, née le 21 mars 1927, tous deux à Paris 4e. Euphrasie Breton divorce le 14 janvier 1930.

À une date restant à préciser, Camille Delbès vient habiter à Issy-les-Moulineaux [1] (Seine / Hauts-de-Seine) ; en 1932, il loge au 68, avenue de Verdun. Lors du recensement de 1936, à cette même adresse, il cohabite avec les jeunes Marcel et Madeleine Mayet, les enfants de sa compagne, absente (?). Au moment de son arrestation, il est domicilié au 105 ou au 109, avenue de Verdun.

Il est ouvrier-coiffeur.

Camille Delbès est syndicaliste et militant au Parti communiste, “rayon” de Malakoff.

Le 12 mai 1935, il est élu conseiller municipal de sa commune sur la liste antifasciste dirigée par Victor Cresson.

Issy-les-Moulineaux. Place de la Mairie.  Carte postale écrite en août 1946. Coll. Mémoire Vive

Issy-les-Moulineaux. Place de la Mairie.
Carte postale écrite en août 1946. Coll. Mémoire Vive

Le 4 octobre 1939, le Président de la République – Albert Lebrun -, par décret et « sur la proposition du ministre de l’intérieur, suspens jusqu’à cessation des hostilités les Conseils municipaux » de 27 communes de la banlieue parisienne à majorité communiste, dont celui d’Issy-les-Moulineaux, et les remplace par des Délégations spéciales composées de notables désignés.

Camille Delbès est déchu de son mandat le 9 février 1940.

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Le Populaire, quotidien édité par la SFIO,
édition du 17 février 1940.
Archives de la préfecture de police, Paris.

Sous l’occupation, les Renseignements généraux le considèrent comme un « propagandiste acharné ».

Après l’interdiction du Parti communiste, puis sous l’occupation, il continue à participer à la propagande clandestine : à plusieurs reprises (?), il attire « l’attention » du commissaire de police de la circonscription de Vanves, qui, sans doute, le signale à sa hiérarchie.

Le 26 octobre 1940, le préfet de policesigne l’arrêté ordonnant son internement administratif en application du décret du 18 novembre 1939. Le jour même, Camille Delbès est conduit au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé en octobre 1940 dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt afin d’y enfermer des hommes connus de la police pour avoir été militants communistes avant-guerre.

Centre de séjour surveillé d’Aincourt. Plan de l’enceinte montrant les points d’impact après le bombardement par un avion anglais dans la nuit du 8 au 9 décembre 1940. Arch. dép. des Yvelines (1W71).

Centre de séjour surveillé d’Aincourt. Plan de l’enceinte
montrant les points d’impact après le bombardement
par un avion anglais dans la nuit du 8 au 9 décembre 1940.
Arch. dép. des Yvelines (1W71).

Le 25 février 1941, sur le formulaire de « Révision trimestrielle du dossier » de Camille Delbès, à la rubrique « Avis sur l’éventualité d’une mesure de libération », le commissaire spécial, directeur du camp, émet un avis défavorable en s’appuyant sur le constat que cet interné « reste communiste, son internement n’a modifié en rien ses opinions », tout en lui reconnaissant une « attitude correcte – n’a jamais été puni ».

L’administration du camp lit systématiquement la correspondance des détenus et y relève toutes les informations concernant leur état d’esprit à titre individuel ou collectif. Le 12 juillet 1941, après l’invasion de l’URSS par le Reich, le directeur du CSS d’Aincourt adresse un rapport au préfet de Seine-et-Oise avec plusieurs extraits des lettres interceptées en lui faisant « connaître que, depuis la guerre germano-soviétique, [il] communique tous les matins, à Laurent Darnar, la presse parisienne. Ce dernier fait un extrait succinct et objectif des informations que[le directeur fait] afficher ensuite à l’intérieur du Centre. Ce procédé représente l’avantage de [lui] éviter toute critique personnelle dans la rédaction de ce communiqué et a fini de discréditer complètement l’interné Laurent Darnar aux yeux de ses anciens camarades… ». Le 18 octobre, le chef de camp poursuit son enquête sur les convictions des détenus. « Restants persuadés que les communiqués et informations qui leur parviennent sont erronés, ils demeurent convaincus que l’avenir leur sera favorable et que leur libération reste proche. Cet état d’esprit n’est d’ailleurs pas particulier aux seuls internés d’Aincourt, dont les familles elles-mêmes partagent les mêmes dispositions. Enfin, des lettres parvenues d’autres camps prouvent également cette même mauvaise foi devant l’évidente défaite russe. » Il transmet encore au préfet de Seine-et-Oise des extraits de lettres. Un proche écrit à Camille Delbès : « …Plein d’espoir dans cette période grave pour tous et qui, j’espère, sera décisive… ».

Le 9 mai 1942, Camille Delbès est parmi les quinze internés remis aux “autorités d’occupation” à la demande de celles-ci et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 24 juin, à la mairie de Compiègne, Camille Delbès se marie avec Euphrasie Breton !

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Camille Delbès est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45441, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet, après l’appel du soir – l’ensemble des “45000” ayant passé cinq jours à Birkenau -, une moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I). Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Camille Delbès.

Il meurt à Auschwitz le 31 août 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) ; la cause mensongère indiquée pour sa mort est « asthme cardiaque » (Herzasthma).

Jeanne Delbès, son épouse, est active au sein des FTP, assurant la liaison avec l’inter-région sous le pseudonyme de « Gusse ». En avril 1944, elle est arrêtée « en possession d’un carnet annoté établissant son activité ». Le 15 août, elle est déportée de la gare de Pantin vers le KL [2] Buchenwald, les Allemands vidant les prisons de la région parisienne à l’approche des armées alliées. Transférée au KL Ravensbrück, elle y meurt en mars 1945 (J.O. du 10-03-1988).

Le nom de Camille Delbès est inscrit sur le monument « à la mémoire des combattants et de toutes les victimes de guerre » d’Issy-les-Moulineaux, place Bonaventure-Lecat, derrière la mairie, ainsi que celui de son épouse : Le Breton Euphrasie (de son premier prénom…).

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Sur une des stèles du monument d’Issy-les-Moulineaux,
les “45000” : Delbès Camille, Dumont Paul, Lacour Louis
et Rossignol Ernest. Cliché Mémoire Vive.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 10-03-1988).

Notes :

 [1] Issy-les-Moulineaux : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 355, 382 et 401.
- Archives départementales de l’Aveyron, site internet, archives en ligne : registre des naissances d’Aubin 20/02-07/04/1892 (4E12-25), acte n° 77 (vue 6/20) ; registres matricules du recrutement militaire, classe 1912, registre des matricules de 1 à 500 (1R955), n° (vue 137/788).
- Musée de la Résistance nationale (MRN) Champigny-sur-Marne (94) : carton “Association nationale des familles de fusillés et massacrés”, fichier des victimes.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “activité communiste sous l’occupation ” : carton V (chemise Liste des conseillers municipaux communistes de banlieue déchus) ; dossier individuel au cabinet du préfet (1 W 1144-58906).
- Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt, cotes 1w74 (révision trimestrielle), 1w71, 1w80 (notice individuelle).
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : copies de pages du Sterbebücher provenant du Musée d’Auschwitz et transmises au ministères des ACVG par le Service international de recherches à Arolsen à partir du 14 février 1967, carton de A à F (26 p 840), acte n° 26016/1942..
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 218 (26016/1942).
- Site Mémorial GenWeb, 92-Issy-les-Moulineaux, relevé de Jérôme Charraud (11-2002).
- Jean-Pierre Besse, notice de Jeanne Delbès sur le site du Maitron en ligne, dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 21-08-2018)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.