Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Constant, Marie, Joseph, Launay naît le 17 janvier 1898 à Guipry (Ille-et-Vilaine – 35), chez ses parents, Sébastien Launay, 34 ans, cultivateur, et Anne-Marie Rigaud, son épouse, 30 ans, cultivatrice, venus de Guéméné-Penfao, en Loire-Atlantique, pour habiter la ferme de la Corvaiserie (ils seront décédés en 1920). Constant à trois sœurs, Marie, Octavie, Jeanne et Françoise, et deux frères, Émile (né le 21 août 1893) et Sébastien (né le 3 janvier 1895).

De 1913 à 1917, Constant Launay est employé comme ouvrier agricole. Pendant un temps, il est domicilié à Saint-Ganton, près de Pipriac (35) ; chez un tuteur ?

La guerre est déclarée début août 1914. Le 15 octobre 1915, à la côte 193, en Champagne, son frère Émile – incorporé fin novembre 1913 comme dragon de 2e classe au 22e régiment de dragons – est  grièvement blessé au bras gauche par un éclat d’obus ; il en restera handicapé. Le 20 septembre 1916, son frère Sébastien, soldat de 2e classe au 94e R.I., est tué à l’ennemi devant Rancourt (Somme).

Le 2 mai 1917, Constant Launay est incorporé comme soldat de 2e classe au 70e régiment d’infanterie. Le 12 juin suivant, il passe au 118e R.I. Le 18 décembre, il part au front avec son unité. La 18 octobre 1918 [date à vérifier…], touché par les gaz de combat, il n’est pas évacué. Le 8 décembre, il est cité à l’ordre du régiment : « Intoxiqué assez fortement par un obus à gaz, est resté à sa pièce [probablement une mitrailleuse] et a continué d’en assurer le service, malgré la gêne produite par son intoxication ». Pour cette action, il reçoit la Croix de guerre avec étoile de bronze.

La Croix de guerre 1914-1918 avec étoile de bronze. © MV

La Croix de guerre 1914-1918
avec étoile de bronze.
© MV

Le 23 novembre 1919, Constant Launay est nommé caporal.  Le 13 juin 1920, il est renvoyé dans ses foyers et se retire à Saint-Ganton, titulaire d’un certificat de bonne conduite.

Le 21 septembre 1920, Constant Launay entre aux Chemins de fer de l’État comme homme d’équipe à Cormeilles-en-Parisis (Seine-et-Oise). Trois mois plus tard, il est muté à Serquigny (Eure) et y entre au cadre permanent en septembre 1921.

Le 4 novembre 1922, à Serquigny, il épouse Louise Jan, née le 24 décembre 1906 dans cette commune, manœuvre. Ils auront trois enfants : André, né en 1923, Irène, née le 7 mars 1924, et Lucienne, née en 1925.

Son frère Émile décède le 24 mars 1924 à Levaré (Mayenne).

Muté au dépôt des Batignolles, à Paris 17e, Constant Launay accède au grade de manœuvre en novembre 1925. À partir de 1937, il y travaille comme conducteur de locotracteur.

Paris. Le dépôt SNCF des Batignolles (réseau Ouest) en 1965. Une loco 040 TA en manœuvre. Photo Siegenthaler. Collection Mémoire Vive.

Paris. Le dépôt SNCF des Batignolles (réseau Ouest) en 1965.
Une loco 040 TA en manœuvre. Photo Siegenthaler.
Collection Mémoire Vive.

En 1935, il est inscrit sur les listes électorales de Clichy-la-Garenne [1] (Seine / Hauts-de-Seine – 92), domicilié au 1, rue Valiton. En 1936 et jusqu’au moment de son arrestation, la famille habite au 7 bis, rue de Neuilly à Clichy.

Militant communiste, il est peut-être secrétaire-adjoint du Syndicat des cheminots pour Paris-Nord.

Carte syndicale CGT, Fédération des chemins de fer.  Collection Mémoire Vive.

Carte syndicale CGT, Fédération des chemins de fer.
Collection Mémoire Vive.

Après la déclaration de guerre de septembre 1939, il est mobilisé comme affecté spécial à la SNCF (sur son poste de travail ?)

« Suspect d’activité en faveur du parti dissous », Constant Launay fait l’objet d’une visite domiciliaire (perquisition) le 23 octobre 1940, opération au cours de laquelle la police découvre et saisi des listes de souscriptions organisées en faveur des Jeunesses communistes. Ces listes auraient été remises par un inconnu, à Asnières, à son fils André, âgé de 18 ans, pour les remettre à sa sœur Irène, âgée de 17 ans. Les adolescents sont relâchés après admonestation. Appréhendé, Constant Launay est écroué pendant un temps à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e) ; puis libéré….

Quoi qu’il en soit, les Renseignements généraux considèrent Constant Launay comme un « propagandiste très actif ».

Le 1er novembre, il fait partie d’un groupe d’une cinquantaine de cyclistes, la plupart âgés d’une vingtaine d’année, garçons et filles, venant de la place de la Défense par Nanterre et Rueil, et qui, attirant l’attention sur eux « en chantant des hymnes révolutionnaires et en distribuant des tracts », se font interpeller par des agents de Seine-et-Oise. Cinq d’entre eux, trouvés porteurs d’une importante quantité de tracts séditieux sont arrêtés et inculpés. Un de ceux-ci déclare que sur le lieu de rassemblement se trouvait un individu qui lui avait donné une musette pleine de tracts. Selon le rapport du préfet de Seine-et-Oise, « la place Voltaire à Asnière et le rond-Point de la Défense seraient, tous les dimanches matins entre 7h30 et 9h, des points fréquemment choisis par les jeunesses communistes pour s’assembler ». Il conseille donc au préfet de police de Paris et à la direction des renseignements généraux de « surveiller chaque lieu où s’assemblent les sociétés cyclistes et touristiques dont les membres sont connus pour leur sympathie à l’égard du parti communiste ». Constant Launay figure en première place sur la liste des vingt-cinq autres personnes dont l’identité a été relevée. On y trouve également son épouse, Louise, et sa fille Irène.

Le 6 décembre, Constant Launay est appréhendé – en même temps qu’Alexandre Antonini – par des agents du commissariat de Clichy lors d’une vague d’arrestations visant 69 hommes dans le département de la Seine, internés administrativement en application du décret-loi du 18 novembre 1939 (prorogé par la loi du 3 septembre 1940. D’abord regroupés à la caserne des Tourelles, 141 boulevard Mortier (Paris 20e), ils sont conduits – le jour même – au camp français d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé deux mois plus tôt dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt.

Aincourt. Le sanatorium de la Bucaille. Au premier plan, le pavillon qui fut transformé en camp d’internement. Carte postale oblitérée en 1958. Coll. Mémoire Vive.

Aincourt. Le sanatorium de la Bucaille. Au premier plan, le pavillon qui fut transformé en camp d’internement.
Carte postale oblitérée en 1958. Coll. Mémoire Vive.

Le 15 mars 1942, le directeur du camp transmet au préfet de Seine-et-Oise trente-sept notices sur des détenus devant être exclus des listes d’otages. Constant Launay est du nombre au motif qu’il a adressé au directeur, le 4 février (1941 ?) une déclaration disant notamment : « je suis entièrement d’accord avec les déclarations du Maréchal Pétain ». Il s’agit probablement d’une ruse : tout dépend des paroles prises en compte…

Le 9 mai, après dix-sept mois à Aincourt, Constant Launay est parmi les quinze internés remis aux “autorités d’occupation” à la demande de celles-ci et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La 13 mai, le cabinet du préfet de Seine-et-Oise transmet au préfet de police, direction des Renseignements généraux, à Paris, une demande de libération formulée par Madame Launay. Les RG ne rendront leur rapport que le 4 août suivant : « Étant donné la durée de détention de Launay, il semble qu’une démarche pourrait être tentée auprès des autorités allemandes en vue d’obtenir sa libération. » Avis qui sera confirmé par la direction générale des Renseignements généraux le 4 mai 1943…

Entre temps, entre fin avril et fin juin 1942, Constant Launay a été sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Constant Launay est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45731 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Constant Launay se déclare alors comme cheminot (Eisenbahner). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Constant Launay.

Il meurt à Auschwitz le 10 août 1942, selon le registre d’appel quotidien et l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) ; un mois après l’arrivée de son convoi, le même jour que dix-neuf autres “45000”. La cause mensongère indiquée pour sa mort est « arrêt du cœur par pneumonie » ; « Herzschwäche bei Pneumonie ».Après leur retour de déportation, les rescapés du convoi qui attestent de son décès sont Georges Brumm, de Montreuil-sous-Bois (93), et Étienne Pessot, de Cachan (94).

Déclaré “Mort pour la France”, Constant Launay est homologué comme “Déporté politique”.

Après la guerre, la cellule du PCF des cheminots de Clichy porte son nom.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 8-12-1993).

Notes :

[1] Clichy-la-Garenne : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

Sources :

- Marie-Louise Goergen, notice in Dictionnaire biographique des militants cheminots, citant : Arch. PPo, SNCF S25 – Arch. SNCF de Béziers – Notes de Georges Ribeill – État civil.
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 381 et 409.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” des Hauts-de-Seine nord (2005), citant : Témoignage de René Petitjean, de Clichy – Archives municipales de Clichy – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (fichier national et dossier statut).
- Archives départementales d’Ille-et-Vilaine (AD 35), site internet du Conseil général, archives en ligne ; état civil de Guipry, registre des naissances de l’année 1898 (10 NUM 35129 190), acte n° 7 (vue 3/18) ; registres des matricules militaires, bureau de Rennes, classe 1918, vol. 2, n° de 501 à 1000 (1 R 2234), matricule 726 (vue 398/923).
- Archives communales de Clichy : listes électorales, archives de la section locale de la FNDIRP.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “Occupation allemande”, liste des internés communistes (BA 2397), communistes fonctionnaires internés…, liste des fonctionnaires internés administrativement le 6 décembre 1940, par application de la loi du 3-09-1940 (BA 2214) ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 530-13858).
- Archives départementales des Yvelines et de l’ancien département de Seine-et-Oise (AD 78), Montigny-le-Bretonneux ; centre de séjour surveillé d’Aincourt, cotes 1W76, 1W80, 1W130 (dossier individuel) ; police de Seine-et-Oise, cote 300W46 ; et recherches parallèles de Claude Delesque.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 698 (19231/1942).
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; registre d’appel avec la liste des détenus décédés ; copie de l’acte de décès du camp.
- Base de données des archives historiques SNCF ; service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne, de A à Q (0110LM0108).
- Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, pages 869-870.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 27-09-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.