Constant Le Maître, né le 10 novembre 1901 à Trignac, commune de Montoir-de-Bretagne (Loire-Atlantique), domicilié à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), mort à Auschwitz le 2 septembre 1942.
Constant Le Maître (parfois orthographié Lemaitre, notamment par la police) naît le 10 novembre 1901 à Trignac [1] sur la commune de Montoir-de-Bretagne, au Nord-Est de Saint-Nazaire (Loire-Inférieure / Loire-Atlantique [2]), chez ses parents, François Le Maître, 39 ans, manœuvre à l’usine des Forges de Saint-Nazaire, et Marie Normand, son épouse, 36 ans. Constant a – au moins – une sœur, Yvonne, née en 1895, et un frère Henri, né en 1896.
Domicilié route de Méan, à Trignac, Constant Le Maître travaille d’abord comme chaudronnier en cuivre.
Le 7 avril 1921, à Brest (Finistère), il rejoint le 2e dépôt des équipages de la Flotte afin d’accomplir son service militaire, d’abord comme apprenti marin. Le 21 juin, il est nommé mécanicien de 2e classe. Le 25 avril 1923, il est renvoyé dans ses foyers, titulaire d’un certificat de bonne conduite.
Entre temps, le 12 juin 1922, à Trignac, il s’est marié avec Zénaïde Ménard, née le 17 mai 1904 à Montoir (Trignac ?). Un des deux témoins au mariage est Henri Le Maitre, dégrossisseur. Leur premier enfant, Constant, est né le 26 décembre suivant. Ils auront également une fille, Paulette, née le 29 juin 1925, à Trignac.
En avril 1927, la famille habite au 319, rue de Trignac, dans le quartier de Méan, à Saint-Nazaire.
Pendant un temps, ils demeurent au 30, rue Michelet à Boulogne-Billancourt [3] (Seine / Hauts-de-Seine – 92). En mars 1934, et jusqu’à l’arrestation du chef de famille, celle-ci est domiciliée au 183, rue Galliéni, dans cette commune.
Constant Le Maître, père, est ouvrier tôlier aux usines Renault de Billancourt du 26 février 1934 jusqu’à son arrestation.
Il est militant syndical CGT.
En 1936, il adhère au Parti communiste, et devient secrétaire de cellule dans son entreprise. Auparavant, il a appartenu à la Fédération des Jeunesses communistes de France et au Secours rouge international.
Pendant la mobilisation de septembre 1939 à juin 1940, il reste aux Établissements Renault comme “affecté spécial”.
Sous l’occupation, Constant Le Maître fait partie d’un groupe de diffusion de propagande clandestine aux côtés – entre autres – de Raoul Bertrand, Maurice Coulin et René Espargillière. La police le soupçonne notamment d’être l’auteur de distributions régulières de tracts dans l’immeuble où il habite.
Le 13 septembre 1941, Marie Dubois, agent de liaison entre la zone non-occupée, Bordeaux et Paris, est arrêtée pour vol à l’étalage dans les grands magasins de la Samaritaine, alors qu’elle est porteuse d’une « lettre suspecte », d’un carnet de rendez-vous et d’une forte somme d’argent (13 000 francs) dont elle ne peut justifier la provenance. Le larcin est classé sans suite par le commissaire de police du quartier Saint-Germain-l’Auxerrois, mais celui-ci avise ses collègues des Renseignements généraux (BS 1). Amenée à la Préfecture, Marie Dubois « observe un mutisme total et ne fournit aucun renseignement permettant d’orienter les recherches » [4]. Cependant, la perquisition effectuée à son domicile légal, boulevard de la Gare, amène la découverte de tracts communistes et, plus grave, de plusieurs biographies manuscrites de militants qui sont arrêtés au cours des jours suivants, dont Clément Toulza (fusillé comme otage le 31 mars 1942), et Constant Le Maître.
Le 15 septembre, celui-ci est arrêté à son domicile et conduit au Dépôt de la préfecture de police pour infraction au décret du 26 septembre 1939. Après son inculpation, il est écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e). Il est condamné à 18 mois d’emprisonnement.
En janvier, son épouse trouve un emploi de femme de ménage à la Société nationale de construction aéronautique du Centre (SNCAC), 167 rue de Tilly, à Boulogne-Billancourt, qu’elle garde jusqu’en juillet.
Le 5 février 1942, Constant Le Maître fait l’objet d’une main-levée, mais n’est pas libéré pour autant… Le 7 février, le préfet de police de Paris signe l’arrêté ordonnant son internement administratif par application du décret du 18 novembre 1939. Pendant un temps, Constant Le Maître est détenu au dépôt de la préfecture de police (Conciergerie, sous-sol du Palais de Justice, île de la Cité).
Le 16 avril, il fait partie d’un groupe de détenus enregistrés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Voves (Eure-et-Loir), où il reçoit le matricule n° 69.
Le 10 mai 1942, Constant Le Maître fait partie des 81 internés remis aux “autorités d’occupation” à la demande de celles-ci et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Constant Le Maître est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45779, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Constant Le Maître.
Il meurt à Auschwitz le 2 septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [5].
Son fils Constant, qui habite au domicile familial, travaille comme machiniste de plateau au Paris Studio Cinéma de Boulogne-Billancourt du 22 septembre au 31 décembre 1941, puis, jusqu’à son arrestation, aux studios de la Continental Film (société de propagande de Goebbels), sis dans cette commune. Fin 1942, sollicité, il accepte de rejoindre le Front national [6], puis intègre l’O.S. [7] comme membre de la région P.6, (pseudonyme « Laurent ») sous les ordres de Raoul Jamin (« Théo »). Le 17 février 1943, quai de Boulogne, il participe avec Jamin et Claudius Müllembach (« Fontaine ») à une action armée contre des baraques de D.C.A. auxquelles ils mettent le feu en utilisant une « poudre blanche ». À plusieurs reprises, Constant lance des tracts du Front national devant les portes d’entrées des usines. Le 1er avril, il est arrêté par des inspecteurs de la brigade spéciale anti-terroriste, pris dans une souricière alors qu’il se présente au dépôt de matériel clandestin du 26, rue de la Rochefoucault à Boulogne, endroit repéré par la police depuis trois jours. Le 7 avril, il est remis, sur leur demande, aux autorités allemandes (et incarcéré à l’établissement pénitentiaire de Fresnes).
Le 22 avril, sa mère écrit au préfet de police afin de savoir ce qu’il est devenu. En juillet 1943, elle habite au 130, rue de la Gare à Villeneuve-le-Roi.
Le 5 octobre 1943, comparaissant avec d’autres membres de son groupe devant le Tribunal militaire allemand du Gross Paris siégeant rue Boissy-d’Anglas (Paris 8e), Constant Le Maître, fils, est condamné à mort pour « activité terroriste » et fusillé le 23 octobre au fort du Mont-Valérien, le même jour que dix-huit autres détenus, dont Raoul Jamin. Constant Le Maître a 21 ans.
Le 5 novembre, une perquisition restée sans résultat est encore effectuée chez sa mère.
En février 1945, elle habite au 1, passage Legrand, à Boulogne-Billancourt.
Le 19 décembre 1945, au commissariat de police de Boulogne, Jean Thomas, de Boulogne, rescapé du convoi, signe un certificat attestant que constant Le Maitre est décédé au camp « début 1943 ». Le 14 février 1946, Marcel Guilbert, de Boulogne, autre rescapé du convoi, signe un certificat à en-tête de la FNDIRP attestant que constant Le Maitre est décédé au camp « fin janvier 1943 ». À partir de ces deux déclarations l’officier d’état civil du ministère des Anciens combattants et victimes de guerre (ACVG) fixe la date de décès au 31 janvier 1943 (transcrit à la mairie de Montoir le 11 juin 1946).
Sa veuve se remarie avant septembre 1948, et emménage à Villeneuve-le-Roi avec son nouvel époux. En 1954, elle se désiste de ses droits et les transfère à sa fille Paulette qui devient seule légataire des droits à indemnisation de son père.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur l”acte de décès de Constant Le Maître, père (J.O. du 16-07-1994).
Après la guerre, la municipalité de Boulogne-Billancourt fait graver le nom de son fils Constant sur une plaque commémorative à l’entrée de la mairie, aux côtés de vingt autres fusillés de la ville.
[1] Trignac : à l’origine un hameau de pêcheurs situé entre l’embouchure de la Loire et les marais de la Grande Brière sur le territoire de la commune de Montoir-de-Bretagne. À la fin du 19e siècle s’y implantent les Forges de Saint-Nazaire, qui deviennent en 1910 les Usines Métallurgiques de la Basse-Loire (S.A.), spécialisées dans la production et la fourniture des tôles et profilés pour la construction des navires et des chaudières (les Chantiers de Construction Navale de Saint-Nazaire sont tout proches). À la veille de 1914, l’usine métallurgique couvre 90 hectares. Trignac devient une commune le 1er janvier 1914.
[2] Loire-Atlantique : département dénommé “Loire-Inférieure” jusqu’en mars 1957.
[3] Boulogne-Billancourt : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes industrielles de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[4] Marie Dubois est condamnée à mort le 22 décembre 1941 par un tribunal militaire allemand (son dossier est remis à la justice française). Début janvier 1942, L’Humanité clandestine, dénonce le sort fait à la prison de la Santé à cette « patriote » « mère de deux enfants de quatre et six ans ». Déportée « NN » le 17 novembre 1942 vers l’Allemagne, elle est internée à Lubeck avant d’être conduite au KL Ravensbrück puis à Mauthausen où elle meurt le 8 avril 1945. Ses enfants seront élevés par l’orphelinat de la CGT, L’Avenir Social.
[5] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Concernant Constant Le Maître, c’est le 31 janvier 1943 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.
[6] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN”, jusqu’à son changement d’appellation le 1er juin 2018).
[7] O.S. : organisation spéciale armée du Parti communiste clandestin créée à partir de septembre 1940, à l’origine pour protéger les militant(e)s prenant la parole en public, les distributeurs de tracts et les colleurs d’affiches, elle est devenue le premier cadre de la résistance armée.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 381 et 410.
Archives départementales de Loire-Atlantique (AD 44), site internet du Conseil général, archives en ligne : registre des naissance de Montoir-de-Bretagne, année 1901, acte n° 296 (vue 51/60) ; recensement de population de Montoir-de-Bretagne, année 1906, pages 72-73, n° 2190-2197 (vues 121-122/173) ; registre matricule du recrutement militaire, année 1921, bureau de Nantes, matricule 2557.
Bulletin municipal de Boulogne-Billancourt, supplément au n° 335, avril 2005, page 26, Liste des déportés des usines Renault, document cité dans un fichier pdf d’Annie Lacroix-Riz et Michel Certano (juin 2011).
Daniel Grason, Jean-Pierre Ravery, site du Maitron en ligne, dictionnaire biographique, Mouvement ouvrier, Mouvement social, notice de Le Maître Constant, fils ; Jean-Pierre Besse, notice de Marie Dubois.
Comité du souvenir du camp de Voves, liste établie à partir des registres du camp conservés aux Archives départementales d’Eure-et-Loir.
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “Occupation allemande” (BA … ?) ; dossiers individuels des Renseignements généraux (77 W 50-100.267).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 761 (27068/1942, « Maitre Le »).
Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, Caen : dossiers de Constant Le Maitre (21 P 475 698 et 21 P 262 454), recherches de Ginette Petiot (message 06-2015).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 23-06-2015)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.re, c’est le 31 janvier 1943 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.