La dirigeante des Jeunesses Communistes

Vincentella Perini naît le 9 janvier 1909 à Ajaccio, fille d’Olivier Perini et de Jacinthe Versini, son épouse, instituteurs. Elle vient au monde dans une famille “Républicaine” qui devint par la suite sympathisante du PCF. Elle poursuit ses études secondaires à Ajaccio, puis au collège du Luc (Var) où elle suit l’une de ses professeurs.

Après un bref passage en classe préparatoire, elle s’inscrit à l’école dentaire de Paris. Elle y découvre l’Union fédérale des étudiants, organisation étudiante de gauche à laquelle elle adhère avant d’en devenir responsable. En octobre 1928, Victor Michaut reçoit son adhésion aux Jeunesses communistes (JC).

Vincentella se fait alors appeler “Danielle” et devient très vite secrétaire du groupe de la faculté de médecine. Tout en poursuivant ses études, elle devient, en 1931, membre du bureau régional de la région parisienne de la JC, puis elle rejoint le Comité central du mouvement au VIIe congrès en juin 1932. Elle est élue au bureau du mouvement, lors du congrès extraordinaire d’Ivry-sur-Seine, en février 1934 : elle y est la seule femme.

Elle fait la connaissance dans les cercles d’étudiants corses, d’un étudiant en droit, Laurent Casanova, né le 9 octobre 1906 à Souk-Ahras (Algérie), qu’elle entraîne au Parti Communiste.

Ils se marient en décembre 1933.

En octobre 1935, tout en restant rattachée au bureau de la Fédération des JC, Danielle Casanova est chargée du travail colonial à la section spécialisée du parti et elle participe à la rubrique coloniale de l’Avant-Garde.

En septembre-octobre 1935, elle fait partie de la délégation française au VIe congrès de l’Internationale communiste des jeunes (ICJ) à Moscou et entre au Comité exécutif de l’ICJ.

Face à la très rapide augmentation des effectifs de la JC, le VIIIe congrès réuni à Marseille en 1936, la désigne comme secrétaire des jeunes filles et la charge de fonder l’Union des jeunes filles de France (UJFF). Cette organisation, bien que proche de la JC, a vocation à créer un mouvement de jeunes filles pacifiste et antifasciste.

Le premier congrès de l’UJFF a lieu en décembre 1936, Danielle y est élue secrétaire générale et Claudine Chomat Secrétaire à l’organisation.

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Danielle Casanova,
dirigeante des JC et de l’UJFF.

À la fin de 1936, elle organise une action de collecte de lait concentré pour les enfants d’Espagne victimes de la guerre et accompagne le convoi en Espagne.

Lors de l’interdiction du PCF en septembre 1939, Danielle passe dans la clandestinité. Elle fait partie de la direction clandestine du parti. Avec un groupe de femmes de l’UJFF qu’elle anime, elle assure la liaison entre le secrétariat et la Direction, éparpillée dans les régions suite à la mobilisation et à la répression qui porte de rudes coups à l’organisation du parti.

À partir d’octobre 1940, elle participe à la mise en place des Comités féminins en région parisienne et en zone Nord. Elle contribue à la presse clandestine, notamment au Trait d’Union et à la Pensée libre (avec Georges Politzer, Jacques Decour et Jacques Solomon). Elle fonde La Voix des femmes.

De plus, elle participe à l’organisation des manifestations des 8 et 11 novembre 1940, contre l’arrestation du professeur Paul Langevin, puis à celle du 14 juillet 1941. Elle joue un rôle important dans le Front national universitaire et à la Direction des Jeunesses.

Du dépôt à Romainville

Le 15 février 1942 à Paris, elle est arrêtée par la police française alors qu’elle ravitaille dans leur planque Georges Politzer et sa femme Maï ; elle se retrouve en présence des inspecteurs des Brigades spéciales qui viennent d’arrêter ceux-ci.

Elle est bientôt identifiée aux Renseignements généraux, d’où elle est envoyée au dépôt.

Photo anthropométrique prise par le service de l’identité judiciaire le lendemain de son arrestation, 16 février 1942. Le cliché indique son pseudonyme dans la clandestinité : Garnier. © Archives de la Préfecture de Police. Paris.

Photo anthropométrique prise par le service de l’identité judiciaire
le lendemain de son arrestation, 16 février 1942.
Le cliché indique son pseudonyme dans la clandestinité : Garnier.
© Archives de la Préfecture de Police. Paris.

Le 23 mars 1942, elle est remise aux Allemands avec tous les camarades de son affaire et incarcérée à la Santé où elle est maintenue au secret dans une cellule qu’elle partage avec deux de ses camarades. Elle transmet les nouvelles et communique avec les hommes par le vasistas, notamment avec Politzer qui est dans une aile située en face ; elle est punie et envoyée au cachot.

Danielle Casanova est transférée au fort de Romainville le 24 août 1942.

L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122), surplombée par un mirador. © Musée de la résistance nationale (MRN), Champigny-sur-Marne (94).

L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).

Elle ne cesse jamais de militer, organisant publications et manifestations clandestines au dépôt, puis au fort de Romainville.

De Romainville à Auschwitz

Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »). Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié concernant les deux nuits et la journée passées à Royallieu, et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation… Mais Betty Jégouzo confirme ce départ en deux convois séparés, partis un jour après l’autre du Fort de Romainville. Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille.

TransportAquarelle

Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL [1] Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.

Auschwitz

Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise, à l’instigation de Danielle Casanova, selon plusieurs témoignages.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000” (accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…). © Gilbert Lazaroo, février 2005.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Danielle Casanova y est enregistrée sous le matricule 31655. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

À Birkenau, pendant qu’avec ses camarades du convoi, Danielle attend pour être déshabillée, tondue et tatouée, un SS demande s’il y a une dentiste parmi les nouvelles arrivées et elle se désigne. On l’installe au « cabinet dentaire », une baraque située dans l’enceinte du Revier [2]. Par sa position exceptionnelle, elle apporte dans la mesure du possible une solidarité indéfectible à ses compagnes.

Charlotte Delbo note dans son livre sur le convoi du 24 janvier : « Danielle est reconnue presque tout de suite par les communistes allemands qui, selon la tactique adoptée dès le début du système concentrationnaire, occupent des postes dans l’administration du camp, jouissent d’une certaine marge d’initiative. Sa place offre à Danielle des possibilités dont elle tire profit : par les kapos des différents commandos, par celle qui est chargée de l’administration du Revier, elle cherche à placer dans des conditions moins atroces les camarades de son convoi. Elle réussit à faire admettre comme médecin, tout au début, Maï Politzer, puis comme infirmières une douzaine d’entre nous, comme couturières Alida Delasalle et Marilou Colombain. »

Charlotte rajoute : « Souvent le soir, après l’appel, elle vient nous voir au Block 26 et distribue à tour de rôle ce qu’elle a pu se procurer par ses relations : du pain, un lainage, quelques cachets de charbon pour les dysentériques, trop peu, mais c’est sans prix. »

En avril, l’épidémie de typhus, endémique à Birkenau, prend une tournure effrayante, Charlotte Delbo indique que la mortalité journalière passe d’un rythme de trois cents par jour à cinq cents. Les SS avaient une grande peur du typhus pour eux-mêmes et essayaient de s’en préserver en se vaccinant, le médecin SS qui a perdu la précédente dentiste, propose de vacciner Danielle qui accepte mais c’est trop tard et l’incubation a certainement commencé. Danielle tombe malade le 1er mai 1943 et est transférée dans une petite infirmerie du Revier. Avec Madeleine (Madeleine Jégouzo alias Lucienne Langlois), elle-même atteinte du typhus, elles y sont les deux seules du convoi des “31000”, couchées l’une à côté de l’autre.

Danielle meurt dans les bras de Madeleine le 9 mai 1943 ; l’administration SS inscrit le 10 mai sur l’acte de décès du camp. C’était le printemps, quelqu’un a apporté un petit brin de lilas.

Madame Périni, restée en Corse a su le décès de sa fille en novembre 1943, suite à une lettre de juillet 1943 écrite par Marie-Claude Vaillant-Couturier à Auschwitz-Birkenau, lors de la quarantaine des survivantes du convoi.

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Célébration de Danielle dans un meeting après-guerre.

Quelques endroits par lesquels elle est passée ont été “marqués” de stèles commémoratives, comme celle apposée 43 rue du Poteau, à Paris 18e.

© Daniel Mougin, 03-2023.

© Daniel Mougin, 03-2023.

De nombreux lieux (voies de circulation, bâtiments publics) ont pris le nom de Danielle Casanova après la guerre.

Parmi les divers monuments qui lui sont consacrés, il est possible de citer la statue de Romainville (Seine-Saint-Denis).

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À Romainville. La statue est posée sur un haut piédestal,
entre la mairie et l’église. La jeune femme semble
avoir brisé ses chaines. Photographiée en 2005,
la statue a été légèrement déplacée en 2011.

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), page 60
- Marion Quény, Un cas d’exception : (…) le convoi du 24 janvier, mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Lille 3-Charles de Gaulle, juin 2004, notamment une liste réalisée à partir du registre de Romainville (copie transmise par Thomas Fontaine), pp. 197-204, et p. 114.
- Komintern : l’histoire et les hommes : dictionnaire biographique de l’Internationale Communiste, Les Éditions de l’Atelier.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 159 (19605/1943).
- Auschwitz 1940-1945, Les problèmes fondamentaux de l’histoire du camp, ouvrage collectif sous la direction de Wacław Długoborski et Franciszek Piper, éd. du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau à Oświęcim, Pologne, version française 2011, volume IV, La Résistance, Henryk Swiebocki, pages 134 à 136.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 25-08-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

[1] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilise l’abréviation “KZ”.

[2] Revier , selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”.