- Portrait extrait de la photo
de famille ci-dessous.
Droits réservés.
Émile, Moïse, Degobertière naît le 6 septembre 1896 à Azérables (Creuse), fils de Lucien Degobertière, 37 ans, maçonet cultivateur, et de Mélanie Gorgeon, son épouse, 32 ans, domiciliés à Mondolant, lieu-dit de la commune. Émile a une sœur plus âgée, Lucie, et – au moins – deux frères plus jeunes, Baptiste et Moïse. En 1901, ses grands-parents paternels habitent le domicile familial.
Pendant un temps, Émile Degobertière travaille comme cultivateur. Pour l’époque, c’est un homme assez grand : 1 m 77.
Le 26 août 1916, il est incorporé au 63e régiment d’infanterie. Il part « aux armées » le 17 octobre 1917. Le 11 mars 1918, désigné pour l’Armée française d’Orient, il rentre au dépôt à Toulon (Var) et passe au 8e régiment d’infanterie coloniale. Le 21 mai, il part dans l’Armée d’Orient. Le 10 octobre 1918, il passe au 37e RIC. Le 1er janvier 1919, il est nommé caporal. Le 27 mai 1919, il passe au 10e tirailleurs. Le 23 août, il quitte l’Armée d’Orient. Il y a contracté le paludisme, mais sans séquelles graves.
Le 7 février 1920, à Azérables, Émile Degobertière épouse Marie Charron, née le 6 septembre 1896 dans cette commune. Ils auront cinq enfants : Maurice né le 3 mars 1921, Madeleine née le 23 août 1922, tous deux nés à Azérables, Suzanne, née le 1er juin 1924 à La Souterraine (23), André, né en 1925, et Paulette, née le 21 juillet 1927 à Azérables.
En mars 1931, la famille habite au 78, avenue de Fontainebleau au Kremlin-Bicêtre [1] (Seine / Val-de-Marne – 94). Émile est employé de l’Assistance publique à l’hospice des vieillards de Bicêtre.
En janvier 1932, la famille est domiciliée impasse Thiberville (voie aujourd’hui disparue, quartier Frileuse) à Gentilly (94) ; Émile est alors désigné comme infirmier. Puis, en avril 1933, ils obtiennent un logement dans le groupe d’habitations à bon marché (HBM) de la Cité des Anciens Combattants, 2 rue Aristide-Briant, récemment construits.
- Le « groupe » des Combattants. Carte postale non datée.
- La famille Degobertière devant un immeuble
de la cité des Combattants. Droits réservés.
Émile Degobertière milite à la section du Parti communiste de Gentilly.
Le 12 mai 1935, il est élu conseiller municipal de Gentilly sur la liste dirigée par Georges Beaugrand.
Le 18 septembre suivant, la police rédige un première note le concernant.
Le 4 octobre 1939, le Président de la République – Albert Lebrun -, par décret et « sur la proposition du ministre de l’intérieur, suspend jusqu’à cessation des hostilités les Conseils municipaux » de 27 communes de la banlieue parisienne à majorité communiste, dont celui de Gentilly, et les remplace par des Délégations spéciales composées de notables désignés.
Le 15 février 1940, le conseil de préfecture de la Seine le déchoit de son mandat municipal pour ne pas avoir « répudié catégoriquement toute adhésion au Parti communiste ».
Émile Degobertière est considéré par les Renseignements généraux comme un « meneur particulièrement actif ».
Le soir du 26 juin 1941, il est arrêté sur son lieu de travail au Kremlin-Bicêtre – pendant son service – dans des baraquements annexes construits dans l’enceinte de l’hôpital, par les services du commissariat de police de la circonscription de Gentilly, dans le cadre d’une vague d’arrestations visant 92 militants ouvriers : le préfet de police de Paris a signé les arrêtés ordonnant leur internement administratif en application des décrets des 18 novembre 1939 et 3 septembre 1940. Ces opérations sont menées en concertation avec l’occupant. En effet, les hommes appréhendés sont conduits le jour même dans la cour de l’hôtel Matignon, au 47, rue de Varenne (7e), pour y être « mis à la disposition des autorités allemandes » qui les rassemblent ensuite, avec d’autres, au Fort de Romainville (HL 122), sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), sans les y enregistrer.
Dans les jours qui suivent (le 27 juin, le 1er juillet…), les hommes ainsi regroupés à Romainville sont conduits à la gare du Bourget où des trains les transportent à Compiègne (Oise), d’où ils rejoignent le camp allemand de Royallieu, administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) ; Émile Degobertière fait partie des militants qui inaugurent ce camp de police [2].
Son fils Maurice lui rend plusieurs visites le dimanche en effectuant le trajet à vélo.
Entre fin avril et fin juin 1942, Émile Degobertière est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le 8 juillet, Émile Degobertière est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45433, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Émile Degobertière.
Il meurt à Auschwitz le 3 octobre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [3].
À la fin de l’Occupation, en juin 1944, sa fille Paulette (17 ans), titulaire du certificat d’études primaires et du brevet industriel, est embauchée aux PTT, après avoir travaillé pendant six mois dans la couture, Maison Bourgeois, 12 rue du 4 septembre à Paris 2e. En juillet suivant, son épouse est employée comme auxiliaire au service du ravitaillement à la mairie de 13e arrondissement et sa fille Suzanne (20 ans), elle aussi titulaire du certificat d’études primaires et du brevet industriel, travaille depuis deux ans comme ouvrière sur machine à la Maison Krieg et Zivy à Montrouge.
Le nom d’Émile Degobertière est inscrit sur le monument de la Déportation situé dans le carré militaire du cimetière de Gentilly.
L’hebdomadaire communiste du canton La Vie Nouvelle lui rend hommage dans un article paru le 13 octobre 1945 dans le n° 49 [4].
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 10-03-1988).
Au début des années 1950, sa veuve est domiciliée à Jeux, par Azérables.
Notes :
[1] Gentilly : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] L’ “Aktion Theoderich” : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht. Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. 131 d’entre eux, arrêtés entre le 21 et le 30 juin, font partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.
[3] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – s’appuyant sur le ministère des Anciens combattants qui avait collecté le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Concernant Émile Degobertière, c’est le 15 décembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès (10-1946). Leur publication au J.O. rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.
[4] « NOTRE AMI DEGOBERTIÈRE EST MORT AU CAMP D’AUSCHWITZ
Par deux rescapés des camps de la mort, nous avons appris avec douleur la mort survenue au camp d’Auschwitz en septembre 1942, de notre cher camarade Degobertière, conseiller municipal de Gentilly.
Depuis longtemps sans nouvelles, l’annonce de la fin de notre camarade n’a fait que confirmer nos appréhensions. Combien sont-ils, hélas ! ceux dont on ne sait rien et qui ne reviendront pas.
Originaire de la Creuse, Degobertière appartenait à la section de Gentilly du Parti Communiste Français dont il était un ardent militant. Il fut arrêté pour son activité de patriote et déporté.
Nos martyrs sont morts dans la lutte contre le fascisme allié des Trusts. L’impérieux devoir de tous les Français est de poursuivre implacablement cette lutte contre les survivances et le renouvellement de l’esprit fasciste, pour rester fidèle à l’idéal de nos morts. »
Sources :
Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, p. 204 (citant : Arch. Dép. Seine, DM3, versement 10451/76/1, versement 10441/64/2 n°24 – Arch. Com. Gentilly).
Témoignage (24/02/2002) de Marie-Jeanne Degobertière, épouse de son fils Maurice, décédé.
L’exaltante histoire des fusillés de Gentilly, section de Gentilly du PCF, éditions de La Vie Nouvelle, mars 1945.
Archives communales de Gentilly, recherches menées par Chantal Rannou (2007).
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 73, 354, 355, 388 et 397.
Archives départementales de la Creuse (AD 23), site internet du Conseil départemental, archives en ligne : registre des naissances d’Azérables (4E15/24), acte n° 32 (vue 60/125) : registres matricules du recrutement militaire, classe 1916, n° 1041 (vue 239/532).
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, liste des internés communistes (BA 2397).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 218 (34125/1942).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 26-03-2024)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes (FNDIRP) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.