Collection ARMREL (voir sources).  Droits réservés.

Collection ARMREL (voir sources).
Droits réservés.

Eugène, Ernest, GILLES, naît le 26 août 1896 à Arrou (Eure-et-Loir), fils de Valentin Gilles, 33 ans, patron pâtissier, et d’Ernestine Landier, 31 ans, son épouse. Eugène a un frère, Albert, né en 1891.

À la fin de sa scolarité, Eugène Gilles devient garçon-coiffeur. Il est alors domicilié au 2, place Félix-Faure à Rambouillet (Seine-et-Oise).

Début août 1914, la Première Guerre mondiale est enclenchée. Mobilisé le 8 avril 1915, Eugène Gilles rejoint le 31e régiment d’infanterie. Il monte au front le 4 décembre suivant, dans le secteur de la butte de Vauquois, 25 km à l’ouest de Verdun (?). Le 28 avril 1916, il est affecté à la Compagnie de mitrailleurs 2/31.

La compagnie de mitrailleurs de Joseph Gilles, probablement le premier soldat à droite. Collection Laurent Francin. D.R.

La compagnie de mitrailleurs de Joseph Gilles, premier soldat à droite.
Collection Serge Francin. D.R.

Le 20 septembre suivant, dans le secteur du bois de Saint-Pierre-Vaast au cours de la Bataille de la somme (?), Eugène Gilles « contribue à repousser une puissante contre-attaque ennemie par la précision de son tir ». Un mois plus tard, il est cité à l’ordre de son régiment : « mitrailleur remarquable, pendant la période de combats du 14 au 21 septembre 1916, a assuré les services de sa pièce avec un sang-froid et une audace digne d’éloge ». Il est décoré de la Croix de guerre avec étoile de bronze.

La Croix de guerre 1914-1918 avec étoile de bronze. © MV

La Croix de guerre 1914-1918
avec étoile de bronze.
© MV

Le 31 décembre, il est promu soldat de première classe. Le 27 mars 1917, il est évacué malade vers des services d’ambulance pour « courbature, phlébite », jusqu’au 19 mai. Bénéficiant d’un congé de convalescence de trente jours, il rejoint son unité au front le 24 juin suivant. Mis en congé illimité de démobilisation le 24 septembre 1919, il se retire à Arrou, titulaire d’un certificat de bonne conduite.

Le 9 septembre 1919 à Arrou, encore soldat, Eugène Gilles se marie avec Aline, Valentine, Legendre, née à Arrou le 1er octobre 1895.

Eugène porte sa Croix de guerre…  Collection Laurent Francin. Droits réservés.

Eugène porte sa Croix de guerre… Collection Serge Francin. Droits réservés.

Ils auront deux filles : Solange, née le 3 juillet 1920, et Gisèle, née le 17 janvier 1922.

Le 10 décembre 1920, à la gare de Chartres, Eugène Gilles entre comme homme d’équipe à la Compagnie des chemins de fer de l’État qui fusionnera avec d’autres au sein de la SNCF début 1938 [1].

En août 1920 et jusqu’au moment de l’arrestation du chef de famille, celle-ci est domiciliée au 8, rue Muret à Chartres (28).

Le 1er novembre 1923, Eugène Gilles est nommé conducteur.

Le 29 juillet 1936, il est nommé chef de train, toujours en gare de Chartres.

Chartres. Intérieur de la gare dans les années 1900. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Chartres. Intérieur de la gare dans les années 1900. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

En 1936, Eugène Gilles n’hésite pas à investir dans un poste de TSF (télégraphie sans fil, cf. radio), très onéreux pour le budget familial, afin de pouvoir suivre les résultats des élections du Front populaire.

Militant syndical, Eugène Gilles est délégué des agents de trains CGTN, secrétaire de l’union locale et secrétaire de l’Union départementale CGT de 1937 à 1939.

Carte syndicale CGT, Fédération des chemins de fer.  Collection Mémoire Vive.

Carte syndicale CGT, Fédération des chemins de fer.
Collection Mémoire Vive.

À partir de septembre 1939, suite à la déclaration de guerre et à l’interdiction du Parti communiste, Eugènes Gilles est chargé de la réorganisation du PCF et de la constitution de syndicats clandestins, et également des liaisons entre l’Eure-et-Loir et le Comité central du PC, sous le pseudonyme de « Lucien ». Sa profession, qui lui permet de se rendre aisément à Paris et dans d’autres villes du Réseau SNCF Ouest, lui permet certainement de jouer un rôle important dans les activités clandestines en Eure-et-Loir.

Son dossier d’agent SNCF fait état d’un signalement comme communiste : « signalé par le préfet d’Eure-et-Loir comme susceptible en certaines circonstances de prendre la tête d’un mouvement. Faire procéder à enquête ».

Le 11 mai 1940, sa fille aînée, Solange, se marie avec Louis Francin.

Le 27 janvier 1941, Eugène Gilles est convoqué au tribunal de Chartres pour se voir notifier un jugement modifiant le séquestre des biens de l’ancienne section du Parti communiste.

Le mercredi 2 juillet 1941, il est arrêté à son domicile [2]. La police allemande vient à 9 heures, accompagnée de policiers français. Mais, comme il est absent, ils reviennent à 15 heures pour l’emmener. Il est écroué à la Maison d’arrêt de Chartres, avec Germain Houard et Gérard Gillot (notamment) .

Le 21 juillet, ils sont transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) ; Eugène Gilles y est enregistré sous le matricule n° 1352. Pendant un temps, il est peut-être assigné au bâtiment “C9”.

Le camp vu depuis le mirador central. Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”) Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Droits réservés.

Le camp vu depuis le mirador central.
Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué
par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”)
Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Droits réservés.

Entre fin avril et fin juin 1942, Eugène Gilles est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Eugène Gilles est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45599 (sa photo a été identifiée par comparaison avec un portrait civil).

Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.  Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,  Oswiecim, Pologne.  Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Eugène Gilles déclare alors son ancien métier : coiffeur. Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Eugène Gilles.

Il meurt à Auschwitz le 21 août 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher). La cause indiquée pour sa mort est « septicémie suite à pneumonie » [sic !].

Le 10 mai 1946, son camarade Germain Houard, rescapé, délivre une attestation à son épouse : « Je, soussigné Houard Germain, demeurant 31 bis rue des Grandes-Filles-Dieu à Chartres, certifie que le nommé GILLES Eugène est mort au camp d’Auschwitz au mois de septembre 1942 ».

Sa fille cadette, Gisèle, travaillera toute sa vie à la SNCF, comme employée de bureau à la gare Saint-Lazare, comme son mari, habitants à la Garenne-Colombes (Seine / Hauts-de-Seine).

Aline Gilles, restée veuve pendant 38 ans, décède le 12 juillet 1980 à Dampierre-sur-Salon.

À une date restant à préciser, la salle des contrôleurs de la gare Montparnasse à Paris a été baptisée « Salle Eugène Gilles », à la demande et sur proposition de l’association Rail et Mémoire.

Gisèle Gilles, épouse Lorin, deuxième fille d’Eugène Gilles, décède le 16 janvier 2014, à presque 92 ans.

Notes :

[1] La SNCF : Société nationale des chemins de fer français. À sa création, suite à une convention validée par le décret-loi du 31 août 1937, c’est une société anonyme d’économie mixte, créée pour une durée de 45 ans, dont l’État possède 51 % du capital.

[2] L’ “Aktion Theoderich : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – arrestations et perquisitions à leur domicile – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré par la Wehrmacht, réservé à la détention des “ennemis actifs du Reich” et qui ouvre en tant que camp de police. Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 382 et 405.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” des Hauts-de-Seine nord (2005), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (fichier national).
- Archives départementales d’Eure-et-Loir (AD 28), site internet du conseil général, archives en ligne : recensement de population d’Arrou 1896-1901 ; registre des matricules militaires, bureau de Chartres, classe 1916 (cote 1 R 542), matricule 601.
- ARMREL-Sentinelles de la mémoire, portrait civil d’Eugène Gilles, archives dép., fonds FNDIRP 28, 27J2 à 27J8, avec l’autorisation de Roger Pinot (message 15-11-08).
- Site Rail et Mémoire, Hervé Barthélémy.
- Laurent Francin, son arrière-petit-fils (petit-fils de Solange), message 03-2012, résultats de ses recherches dans différents services d’archives : archives de la SNCF au Mans ; dossier de demande d’inscription de la mention “Mort pour la France”, BAVCC, correspondance avec le Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau à Oswiecim, Pologne.
- Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; listes XLI-42, E.-et-L. n° 5, et XLIV, FK 589.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 348 (23369/1942).
- Site Rail et Mémoire, Hervé Barthélémy.
- Base de données des archives historiques SNCF ; service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne (en 1947), de A à Q (0110LM0108).
- Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, pages 678-679.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 13-10-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.