© Archives de l’Institut d’histoire sociale CGT de Seine-Maritime.

© Archives de l’Institut d’histoire sociale CGT de Seine-Maritime.

Eugène Thépot naît le 26 mai 1895 à Lambezellec, alors commune limitrophe de Brest (Finistère), chez ses parents, Édouard Marie Thépôt, 43 ans (19 septembre 1851), quartier-maître mécanicien retraité, et Anne Marie Rousseau, 26 ans, son épouse, domiciliés au 76, rue de Paris. Parmi les deux témoins pour la présentation du nouveau-né à l’état civil, signe Eugène Rousseau, 22 ans, matelot timonier, cousin de la mariée, domicilié à Saint-Pierre-Quilbignon (commune fusionnée avec celle de Brest le 28 avril 1945).
Pendant un temps, Eugène Thépot habite au 1, rue du Moulin-à-Poudre, à Brest, travaillant peut-être comme marin.
Peu avant ses vingt ans, le 17 mai 1913, il s’engage volontairement à la mairie de Brest pour cinq ans comme apprenti-marin aux équipages de la Flotte (matr. 106791). Le 1er avril 1914, il passe matelot de 2e classe, infirmier. Le 2 août suivant, à la déclaration de guerre, il est affecté au 5e dépôt des équipages à Toulon. Du 2 août au 17 décembre 1915, il embarque sur le Ceylan, un paquebot mixte réquisitionné et armé comme navire-hôpital navigant entre Salonique/Moudros et Toulon avec escales à Bizerte. Après un passage au 5e dépôt, Eugène Thépot est de nouveau en mer sur le Bretagne, premier cuirassier de type Dreadnought de la Marine Nationale, du 27 février au 4 juin 1916. Il revient au 5e dépôt jusqu’au 15 juillet suivant, puis passe au 2e dépôt, à Brest. En lien probable avec une condamnation avec sursis par le conseil de guerre maritime, il est réduit à l’emploi d’apprenti-marin le 9 janvier 1918. Le 28 janvier, il embarque sur la Foudre, ancien contre-torpilleur transformé en porte-hydravions, puis devenu bâtiment de commandement. Le 10 juillet 1919, Eugène Thépot rejoint le 2e dépôt des équipages – se rapprochant de chez lui -, jusqu’au 26 août suivant. Le lendemain, il est renvoyé dans ses foyers et se retire chez Madame Marc au Moulin-à-Poudre. En juin 1926, la commission de réforme du Havre lui reconnaîtra un taux d’invalidité inférieur à 10 % pour« sclérose légère du sommet droit et bronchite (imputable) » au service.
Le 7 octobre 1919, à Brest-Recouvrance, Eugène Thépot, devenu ouvrier-mécanicien, se marie avec Caroline Marie Cleirec, 20 ans, née le 14 janvier 1899 dans ce quartier, fille d’un ouvrier à l’Arsenal. Le 26 septembre 1920, met au monde leur première enfant, Caroline, Anne Alexandrine, enregistrée à la mairie annexe de Recouvrance.
En juin 1921, la famille habite au 146, boulevard d’Harfleur au Havre (Seine-Inférieure / Seine-Maritime [1] – 76). En mars 1924, ils demeurent au 26, rue d’Arcole dans la même ville.Le 7 juin 1925, leur deuxième enfant, Eugène Édouard, naît au Havre.
À partir de 1926 et jusqu’à l’arrestation du chef de famille, celle-ci habite au 33, rue Berthelot, au Havre.
Eugène Thépot est ouvrier métallurgiste (ajusteur) aux chantiers navals Augustin Normand, quartier du Perrey [2].
Délégué syndical particulièrement actif d’octobre 1935 à septembre 1938, Eugène Thépot devient membre de la commission exécutive du Syndicat des Métaux du Havre, dirigée par Louis Eudier.
La police française ne lui connaît pas d’engagement politique.Le 24 février 1939, à la mairie du Havre, sa fille Caroline contracte le premier de ses trois mariages successifs.
Eugène Thépot tente de reconstituer le syndicat après sa dissolution en 1940 et entre, dès l’occupation, dans la résistance communiste : combattant de l’Organisation Spéciale qui sera à l’origine des FTP [3], il prend part à des actions contre l’occupant.
À la veille de son arrestation, il est ajusteur à l’usine Lesauvage, Fenestre et Compagnie, 63, rue François-Mazeline, au Havre, petite entreprise fabricant des treuils et des cabestans (qui traitera 40 % d’affaires allemandes en 1943 et 1944).Le 23 février 1942, les autorités allemandes l’arrêtent à son domicile, sur dénonciation anonyme selon son épouse. Il est écroué à la prison Bonne-Nouvelle, à Rouen.

Rouen, la prison Bonne-Nouvelle. Carte postale des années 1900.

Rouen, la prison Bonne-Nouvelle. Carte postale des années 1900.

Eugène Thépot est rapidement transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne [4] (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le camp vu depuis le mirador central.  Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”)  Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Le camp vu depuis le mirador central.
Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”)
Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Le 8 juillet 1942, Eugène Thépot est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46136 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée, faisant probablement partie des innombrables documents qui ont été détruit sous la surveillance des gardiens SS lors de l’évacuation générale du camp à la mi-janvier 1945).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Eugène Thépot meurt au Revier d’Auschwitz (témoignage ? quel sous-camp ?), le 8 août 1942, selon le registre d’appel quotidien (Stärkebuch) et l’acte de décès individuel établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), ainsi qu’une copie du registre de la morgue (Leichenhalle) relevée clandestinement par la résistance polonaise interne du camp, sur laquelle est “listé” le matricule n° 46136 (ce local de regroupement temporaire des cadavres avant inhumation ou incinération est situé au sous-sol du Block 28).

Eugène Thépot est déclaré “Mort pour la France”.

Le 9 juillet 1956, le Conseil Municipal du Havre donne son nom à une rue de la ville.

Son nom est également parmi ceux des 218 militant.e.s inscrit.e.s sur plusieurs plaques apposées dans la cour du siège de la fédération du PCF, 33 place du Général-de-Gaulle à Rouen, avec un extrait d’un poème de Paul Éluard (Enterrar y callar) : « Frères, nous tenons à vous. Nous voulons éterniser cette aurore qui partage votre tombe blanche et noire, l’espoir et le désespoir. » et sous une statue en haut-relief dont l’auteur reste à préciser.

Monument dédié aux militant.e.s mort.e.s au cours de la guerre dans la cour du siège de la Fédération du PCF de Seine-Maritime à Rouen. © Claudine Ducastel pour Mémoire Vive (2014).

Monument dédié aux militant.e.s mort.e.s au cours de la guerre dans la cour du siège de la Fédération du PCF de Seine-Maritime à Rouen. © Claudine Ducastel pour Mémoire Vive (2014).

    Une des six plaques dédiées aux militant.e.s mort.e.s au cours de la guerre, au siège de la Fédération du PCF de Seine-Maritime à Rouen. © Claudine Ducastel pour Mémoire Vive.

Une des six plaques dédiées aux militant.e.s mort.e.s au cours de la guerre, au siège de la Fédération du PCF de Seine-Maritime à Rouen. © Claudine Ducastel pour Mémoire Vive.

Son épouse Caroline Marie décède au Havre le 12 novembre 1965. Leur fils Eugène Édouard décède au Havre le 14 octobre 2002. Leur fille Caroline décède à Montivilliers (76) le 7 mars 2015.

Notes :

[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.

[2] Chantiers navals Augustin Normand : les plus anciens du Havre (fondés en 1816), spécialisés pour l’essentiel dans la fabrication de navires militaires : torpilleurs, contre-torpilleurs, sous-marins (fermés en 1963 ; la Résidence de France a été édifiée depuis à leur emplacement).

[3] FTP : Francs Tireurs et Partisans, appellation des groupes de combat du PCF, ouverts à tous les volontaires, après une réorganisation en avril 1942 (aussi désignés FTPF : … “de France”).

[4] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller.

À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp “C” est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transférés au camp de Drancy (Seine / Seine-Saint-Denis).

 

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 376 et 421.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Haute-Normandie, réalisée à Rouen 2000, citant : Livre de Louis Eudier (45523), Notre combat de classe et de patriotes, 1934-1945, Le Havre, 1977, p. 70 et 82 – Liste établie par la CGT, p. 10 – Archives municipales du Havre (Madame S. Barot, Conservateur) : état-civil, listes électorales – Note biographique d’Eugène Kerbaul.
- Archives municipales de Brest, site internet, archives en ligne : registre des naissances de Lambézellec pour l’année 1895 (1E/L103), acte n°289 (vue 74/179).
- Archives départementales de Seine-Maritime, Rouen, site de l’Hôtel du Département : cabinet du préfet 1940-1946, individus arrêtés par les autorités de Vichy ou par les autorités d’occupation, dossiers individuels de Rob à Z (51 W 421), recherches conduites avec Catherine Voranger.
- Claude Malon, Occupation, épuration, reconstruction : Le monde de l’entreprise au Havre, 1940-1950, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2013, page 105.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 : relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 1245 (18792/1942).
- Message avec complément d’informations familiales reçu de Frédéric Michel ; résultat des ses recherches dans les archives en ligne (12-2024).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 24-12-2024)

Cette notice biographique doit- être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.