Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz avant l’évacuation du camp en janvier 1945. Réalisé le 3 février 1943, le portrait d’immatriculation de cette détenue a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz avant l’évacuation du camp en janvier 1945.
Réalisé le 3 février 1943, le portrait d’immatriculation de cette détenue a disparu.

Fernande Liéval naît le 31 décembre 1902 à Nantes (Loire-Inférieure / Loire-Atlantique), fille de Joseph Marie Liéval, 40 ans, alors ajusteur mécanicien à l’usine des Batignolles, et de Marie Le Lièvre, 29 ans, son épouse, domiciliés au 7 rue de La Tour d’Auvergne. La famille compte dix-huit enfants, dont plusieurs nés dans le Morbihan. En 1905, ils ont déménagé à Felletin (Creuse), village rural où existe un diamanterie. En 1906, le père a emmené sa famille à Échassières (Allier), habitant au lieu-dit Les Colettes, où il a trouvé un emploi ; peut-être auprès de la carrière de kaolin de Beauvoir. En 1911, ils habitent de nouveau à Nantes, où naissent deux autres enfants. Selon Charlotte Delbo, ayant été victime d’un accident du travail, leur père est réformé avec une pension et travaille ensuite dans une scierie.

À force de travail, Fernande acquiert un métier : mécanicienne sur chaussures.

Pendant un temps, elle habite chez ses parents, alors domiciliés au 15 rue du Port Guichard, à Nantes.

Le 21 novembre 1919 – âgée de 17 ans – elle épouse Jean Baptiste Albert Laurent, né le 27 juillet 1897 à Entre-Deux-Eaux (Vosges). Alors cultivateur (lui-même fils de cultivateurs), avant de devenir ouvrier du bâtiment (manœuvre).

Le couple a trois enfants : Fernande, née en 1920 à Entre-Deux-Eaux, Paul, né le 13 octobre 1921 à l’Hôtel Dieu de Nantes, et Raymond, né en 1924 à Nantes.

En 1923, la famille habite au Grand Blottereau (58G), quartier de Nantes, section de Doulon, au Nord-Est de la ville. En 1926, le père de famille est galochier, “patron”. Il héberge son frère Albert, 20 ans, chauffeur chez Geslin (?).

En 1936, ils s’installent dans la ruelle des Forges à Rezé, commune limitrophe à l’ouest du quartier Saint-Jacques de Nantes. Jean Laurent est toujours galochier. Sa fille Fernande est alors bonnetière au chômage.

Sous l’Occupation, la famille est domiciliée au 16, rue Saint-Jacques à Nantes, dans le quartier créé en face de l’Hospice général et de l’église Saint-Jacques sur la rive gauche (sud) de la Loire, au débouché du pont de Pirmil.

Carte postale, collection Mémoire Vive.

Carte postale, collection Mémoire Vive.

Un matin, le 11 juin 1942, Fernande Laurent, qui habite au premier étage, descend chercher de l’eau à la fontaine qui se trouve au rez-de-chaussée dans le couloir de l’immeuble.

Arrivée au bas de l’escalier, elle volt un soldat allemand qui tient un revolver devant lui. Le soldat dit, en français, sans une pointe d’accent : « Je suis touché. Aidez-moi. » « Baissez votre arme, dit-elle. Et ne restez pas là. Allez-vous en. Il y a un commissariat un peu plus loin. »

L’homme s’en va. En fait, c’est le neveu de la voisine, engagé dans la Légion des volontaires français (LVF), il vient d’être blessé par un résistant en sortant de chez sa tante.

Le lendemain matin, 12 juin 1942, six hommes de la Gestapo perquisitionnent chez Fernande Laurent – ne trouvent rien, et emmènent Fernande à la Kommandantur, puis à la prison La Fayette, “maison d’arrêt, de justice et de correction”, située en retrait de la place du même nom.

Nantes. En haut à gauche, la prison La Fayette, entre le Palais de Justice à droite et la gendarmerie, en dessous. Carte postale d’après guerre (extrait). Collection Mémoire Vive.

Nantes. En haut à gauche, la prison La Fayette, entre le Palais de Justice à droite et la gendarmerie, en dessous.
Carte postale d’après guerre (extrait). Collection Mémoire Vive.

Par deux fois, les policiers de la “Gestapo” la confrontent avec le blessé, à l’hôpital militaire Broussais.

À la suite de ce fait, la “Gestapo” arrête comme otages trente-neuf personnes désignées par la même voisine.

Neuf sont relâchés : enfants et mères de jeunes enfants.

Les trente autres otages, hommes et femmes, seront tous déporté.es, dirigé.es sur différents camps. De ces trente otages, huit seulement reviendront.

Le 17 octobre 1942, Fernande Laurent est transférée (seule ?) au camp allemand du Fort de Romainville (Frontstalag 122), sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), où elle est enregistrée sous le matricule n° 1012.

Le bâtiment A de la caserne du fort, avec sa façade tournée vers l’extérieur, par-dessus le rempart. Les escaliers et chambrées des femmes internées étaient à l’extrémité de cette perspective. Photo Mémoire Vive.

Le bâtiment A de la caserne du fort, avec sa façade tournée vers l’extérieur, par-dessus le rempart.
Les escaliers et chambrées des femmes internées étaient à l’extrémité de cette perspective.
Photo Mémoire Vive.

Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne ; leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » (transférée à Compiègne le 22.1). Le lendemain, Fernande Laurent fait partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention : sept de la prison pour femmes de l’établissement pénitentiaire de Fresnes (Seine / Val-de-Marne) et une du dépôt de la préfecture de police.

Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le lendemain matin, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille.

TransportAquarelle

Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.

Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000” (accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…). © Gilbert Lazaroo, février 2005.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Fernande Laurent y est enregistrée sous le matricule 31748. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois-quart, de face et de profil (la photo d’immatriculation de Fernande Laurent n’a pas été retrouvée).

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où se trouvent des compagnes prises à la “course” du 10 février. Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Le Block 26, en briques, dans le sous-camp B-Ia ; perspective entre les châlits. La partie inférieure, au ras du sol, est aussi une “couchette” où doivent s’entasser huit détenues. Les plus jeunes montent à l’étage supérieur, où il est possible de s’assoir. Photo © Mémoire Vive.

Le Block 26, en briques, dans le sous-camp B-Ia ; perspective entre les châlits.
La partie inférieure, au ras du sol, est aussi une “couchette” où doivent s’entasser huit détenues.
Les plus jeunes montent à l’étage supérieur, où il est possible de s’assoir.
Photo © Mémoire Vive.

Le 3 août, Fernande Laurent est parmi les survivantes placées en quarantaine dans une baraque en bois située en face de l’entrée du camp des femmes (celles qui ont précédemment été envoyées travailler au Kommando agricole de Raïsko étant considérées comme bénéficiant déjà d’une situation protégée). Charlotte Delbo précise : « La quarantaine, c’était le salut. Plus d’appel, plus de travail, plus de marche, un quart de litre de lait par jour, la possibilité de se laver, d’écrire une fois par mois, de recevoir des colis et des lettres. » Néanmoins, cinq Françaises, trop épuisées, succombent encore à Birkenau. Pour les “31000”, cette période dure dix mois.

Au même moment, les détenus politiques français d’Auschwitz et Birkenau obtiennent le droit d’écrire.

En juin 1944, les “31000” de la quarantaine sont renvoyées au travail, mais affectées dans un atelier de couture moins épuisant où elles ravaudent les vêtements laissés par les Juifs « à l’entrée de la douche ». Des fenêtres de cet atelier, elles assistent à l’arrivée des convois de Juifs de Hongrie, débarqués sur une dérivation de la voie de chemin de fer qui se prolonge désormais à l’intérieur du camp.

Après le débarquement allié en France, un nouveau front s’est créé que le courrier ne franchit plus.

Le 2 août 1944, Fernande Laurent fait partie des trente-cinq “31000” transférées au KL Ravensbrück où elles arrivent deux jours après ; la plupart étant enregistrée comme détenues “NN” (pas de travail hors du camp, pas de transfert dans un Kommando) et assignées à un Block réservé.

Le 2 mars 1945, Fernande Laurent est parmi les trente-trois “31000” transférées au KL Mauthausen, en Haute-Autriche (annexée au IIIe Reich) à environ 22 km de Linz, où elles arrivent le 5 mars après un voyage très pénible.

Ensuite, en les transportant de nuit, on conduit la plupart d’entre elles à la gare de triage d’Amstetten pour boucher les trous d’obus et déblayer les voies quotidiennement bombardées par l’aviation américaine (trois “31000” seront tuées sous les bombes).

Le 22 avril 1945, Fernande Laurent fait partie des trente “31000” prises en charge par la Croix-Rouge internationale et acheminées en camion à Saint-Gall (Sankt Gallen), au sud du lac de Constance, en Suisse alémanique. De là, elles gagnent Paris par le train où elles arrivent le 30 avril. C’est le groupe le plus important de “31000” libérées ensemble, c’est le “parcours” le plus partagé.

Saint-Gall, avec, incrusté au fond par photomontage, la barrière calcaire du Säntis (2502 m). On distingue la voie ferrée qui traverse la ville. Carte postale des années 1940, collection Mémoire Vive.

Saint-Gall, avec, incrusté au fond par photomontage, la barrière calcaire du Säntis (2502 m). On distingue la voie ferrée qui traverse la ville.
Carte postale des années 1940, collection Mémoire Vive.

Au retour, Fernande Laurent trouve la maison où elle habitait détruite, soufflée le 12 août 1944 par l’explosion du pont de Pirmil, sur la Loire, saboté par les troupes allemandes en retraite vers le Sud. Son mari loge chez des amis, leurs enfants ailleurs.
En rentrant, elle fait successivement sept hémoptysies (crachements de sang provenant de l’appareil respiratoire) et passe deux ans en Suisse dans un sanatorium du “Don suisse” où il y a quelques places pour les déportées les plus atteintes.

Fernande Laurent décède le 23 novembre 1965 à l’hôpital de Nancy (Meurthe-et-Moselle), âgée de 63 ans.

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 170-171.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 25-05-2024)

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