Francine Rondeaux naît le 27 décembre 1901 à La Turbie (Alpes-Maritimes – 06).

Son père, Charles Alexandre Rondeaux, 39 ans, journaliste (“publiciste”) est rédacteur à Paris-Courses, journal du sport hippique ; sa mère, Madeleine Bry a 25 ans.

L’enfance de Francine, dite “France”, se déroule entre le château de Montbray (Manche) – berceau de la famille depuis 1753, date à laquelle les Rondeaux, bourgeois de Rouen, acquièrent la terre de Montbray et la particule -, l’appartement du boulevard Malesherbes (Paris 8e ou 17e) et le Cap d’Ail (06), commune du littoral près de La Turbie et de Monaco, où ses parents ont une propriété. C’est une enfance de la belle époque : nourrice, institutrice particulière, puis internat chez les Dames de l’Assomption (une congrégation religieuse catholique).

Francine a une sœur cadette, Colette, née le 5 octobre 1903 chez leur parents, alors domiciliés au 17 rue de Lisbonne à Paris 8e.

Le 19 novembre 1921, âgée de 19 ans, France Rondeaux donne naissance à Anette, Renée, née à la Villa Molière, une clinique alors installée au 57 boulevard de Montmorency (Paris 16e), reconnue d’elle seule, mais pouvant être issue de sa relation avec un chanteur baryton de l’Opéra de Paris.

Au printemps 1922, la famille Rondeaux est domiciliée au 17 rue de Trétaigne (Paris 18e).

Le 27 mai 1922, à Paris 9e, France se marie avec René S., 29 ans, négociant en automobiles. Mais le couple divorcera trois ans plus tard.

France Rondeaux fréquente les artistes, le “monde” – elle est cousine d’André Gide, dont la mère était née Rondeaux et qui avait épousé une Rondeaux, sa cousine Madeleine -, écrit des poèmes, des nouvelles, a une passion malheureuse pour un aviateur… (?) Après la belle époque, les années folles.

En 1926, sa sœur Colette, devenue chanteuse, habite toujours rue Trétaigne. Elle héberge sa nièce Anette. Le 12 septembre 1931, à Saint-Jean-Cap-Ferrat (06), Colette de marie avec Jean Brondy.

De son côté, France Rondeaux habite successivement au 82 rue Marcadet, au 43 boulevard Montparnasse (20 décembre 1934), au 4 rue de Cels (14 février 1935) et au 135 rue Marcadet (Paris 18e). La police française indique qu’elle a été expulsée à plusieurs reprises par « ministère d’huissier » pour manquement à l’égard des propriétaires.

Vers 1937, elle habite au 131 boulevard Ney (Paris 18e), chez une amie, Madeleine B.

France Rondeaux est connue de la justice française et de la brigade mondaine depuis au moins le printemps 1928 pour de petits délits de droit commun. Mais, surtout, elle fait l’objet d’une surveillance renouvelée par la police française. Un rapport des Renseignements généraux rédigé début juillet 1942 récapitulera : « Comme sa vie privée, sa vie sociale a toujours été mouvementée et sujette à critique. On l’a en effet connue figurante de cinéma puis ouvrière d’usine, et plus tard vendeuse en magasin, couturière et mannequin dans la couture. En dernier lieu, elle se disait marchande ambulante nantie d’une patente foraine. On ne peut actuellement définir sa profession exacte. »

En décembre 1940, France Rondeaux s’installe comme locataire dans un hôtel particulier du 89 boulevard Bessières (Paris 17e).

Charlotte Delbo rend compte de son engagement dans l’action clandestine sous l’Occupation. En 1940, les Allemands sont à Paris. France Rondeaux ne trouve pas tout de suite à s’affilier à un réseau organisé : elle aide ici et là, puis est intégrée au réseau Shelburn des Forces françaises combattantes (filière d’évasion d’aviateurs anglais). Elle transforme le sous-sol de son domicile en infirmerie où l’on soigne des aviateurs blessés, ou bien prend sa voiture et va en Normandie chercher de la viande et du beurre chez les anciens fermiers de son père, en vend une partie au marché noir, distribue le reste aux amis et aux Orphelins d’Auteuil.

Elle s’occupe aussi de faire passer des Juifs en zone libre par un chemin que sa sœur  lui indique à Droux, en Saône-et-Loire (? selon Ch. Delbo).

La police française sait que France Rondeaux s’est faite inscrire le 26 mai 1942, sous la fausse identité de « Claude Franck », sur le livre de police d’un meublé au 12 rue Chartran à Neuilly-sur-Seine, où elle loue un appartement dans lequel elle héberge Marguerite Speed, ordinairement domiciliée au 26 rue d’Eylau. Celle-ci, née Aubertin le 3 juillet 1901 à Paris 16e, est veuve de Ralph Speed, dont elle a acquis la nationalité britannique par mariage [1] ; à ce titre, elle doit émarger quotidiennement au commissariat du quartier de la Porte Dauphine, ce qui la place sous une surveillance très suivie. Ainsi, il est rendu compte qu’elle a obtenu une autorisation de séjour à Cintray (Eure) du 25 juin au 25 juillet 1942.

France Rondeaux fait « usage de la voiture automobile “1659 QJI” immatriculée dans la Sarthe, non autorisée à circuler et sur laquelle elle a fait apposer un “S.P.” délivré pour un autre véhicule. »

Début juillet 1942, la 4e section des R.G. ne préconise à son encontre que « l’application de mesures administratives rigoureuses », bien que soit évoquée une “activité antinationale”, « ce qui n’a pu être établi en raison du caractère particulier de cette information » (une dénonciation ?).

Un jour cet été, France Rondeaux et Maggie Speed ont un accrochage au volant de leur auto avec une voiture de la Wehrmacht sur le boulevard Saint-Michel. France – que son activité parallèle devrait rendre prudente – insulte l’officier allemand, lui fait un croc-en-jambe. Papiers, vérification d’identité.

Une semaine plus tard, elle et son amie reçoivent une convocation à se présenter à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e). Leur entourage conseille de n’y pas aller. Mais France n’entend rien : « Avoir peur d’eux ? Jamais de la vie ! Nous y allons ! » En arrivant à la Santé, un Feldwebel la bouscule : elle le gifle.

Fin août, le commissaire de police du quartier de la Porte Dauphine rend compte que, depuis le 27 août, « la britannique » Marguerite Speed n’est pas venue émarger sur le livre de son service : « D’après sa famille, elle aurait été arrêtée et serait actuellement détenue par les Autorités allemandes. »

Pendant la quinzaine de jours qu’elles passent à la Santé, la “Gestapo” établit le lien entre elles et une chaîne constituée pour l’évasion des Juifs.

Le 8 octobre 1942, elles sont transférées au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122. France y est enregistrée sous le matricule n° 886, Maggie Speed sous le n° 887.

Le fort de Romainville, vue du côté nord. À l’intérieur de l’enceinte, on distingue le haut du bâtiment de caserne. Carte postale oblitérée en 1915. Collection Mémoire Vive.

Le fort de Romainville, vue du côté nord.
À l’intérieur de l’enceinte, on distingue le haut du bâtiment de caserne.
Carte postale oblitérée en 1915. Collection Mémoire Vive.

Le 21 février 1943, Maggie Speed sera dirigée par la Feldgendarmerie vers le camp de Vittel (Vosges) où sont internés les citoyens britanniques.

Un mois plus tôt, le 22 janvier 1943, France Rondeaux fait partie des cent premières femmes otages transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne ; leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquant « 22,1 Nach Compiègne uberstellt » (transférée à Compiègne le 22.1). Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié concernant les deux nuits et la journée passées à Royallieu, et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation…

Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites en camions à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

TransportAquarelle

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.

Le lendemain matin, après avoir été brutalement descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000” (accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…). © Gilbert Lazaroo, février 2005.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Aucun document ni témoignage ne permet à ce jour de préciser quel matricule du camp a été attribué à France Rondeaux. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rang de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois quarts avec un couvre-chef (foulard), de face et de profil (la photo d’immatriculation de France Rondeaux n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz avant l’évacuation du camp en janvier 1945. Réalisé le 3 février 1943, le portrait d’immatriculation de cette détenue a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz avant l’évacuation du camp en janvier 1945.
Réalisé le 3 février 1943, le portrait d’immatriculation de cette détenue a disparu.

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Le Block 26, en briques, dans le sous-camp B-Ia de Birkenau ; perspective entre les châlits. La partie inférieure, au ras du sol, est aussi une “couchette” où doivent s’entasser huit détenues. Les plus jeunes montent à l’étage supérieur, où il est possible de s’assoir. Photo © Mémoire Vive.

Le Block 26, en briques, dans le sous-camp B-Ia de Birkenau ; perspective entre les châlits.
La partie inférieure, au ras du sol, est aussi une “couchette” où doivent s’entasser huit détenues.
Les plus jeunes montent à l’étage supérieur, où il est possible de s’assoir.
Photo © Mémoire Vive.

Croyante, France Rondeaux prie pendant les appels. Ses prières finies, elle enchaîne en récitant des recettes de cuisine, ce qui l’aide à tenir.

Selon Charlotte Delbo, Gilberte Tamisé (31715) la voie au Revier le 1er mai, lors d’une “désinfection” : « C’est France, décharnée, longue, longue, car elle était grande, qui est passée la première au bain ».

France Rondeaux meurt à Auschwitz du typhus, le 8 mai 1943 d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), qui indique pour cause mensongère de sa mort « septicémie par phlegmon » (Sepsis bei phlegmone).

Sa fille Anette, danseuse, domiciliée au 24 rue Pierre Fontaine, à Paris 9e (?), meurt « tragiquement » (selon Ch. Delbo ?) le 26 juin 1943, à l’Hôtel Dieu, 1 place du Parvis (Paris 4e).

La sœur de France, Colette Brondy, alors domiciliée au 97 rue Compans, à Paris 19e, append sa mort par l’Amicale d’Auschwitz en 1946.

Francine Rondeaux est homologuée au grade fictif de sous-lieutenant dans la Résistance intérieure française (R.I.F.), comme membre isolé.

Un oncle serait mort à Dachau…

Sa sœur Colette décède le 10 mars 1990 à Evecquemont (Yvelines).

Au 3e trimestre 1945, un poème (une chanson ?) attribué à France Rondeaux est publié dans le bulletin mensuel de l’Amicale des anciens déportés d’Auschwitz, Après Auschwitz.

LA PORTE
———-
Ce soir, je pense à mon jardin
Où s’amassent les feuilles mortes
Ce soir, je pense à mon jardin
J’aurais bien voulu, c’est certain
Faire le tour de mon jardin
Les bonds de mon chien pour escorte
J’aurais bien voulu, c’est certain
Faire le tour de mon jardin
Où s’amassent les feuilles mortes
Mais que le diable les emporte !
Ils ont trop bien fermé la porte.
Ce soir, je pense à mes amis
Ils viennent à moi en cohorte
Ce soir, je pense à mes amis
J’aurais bien voulu, c’est permis
Serrer vos mains, Ô mes Amis
Vos bonnes mains chaudes et fortes
J’aurai bien voulu, c’est permis
Serrer vos mains, Ô mes Amis
Qui venez à moi en cohorte…
Mais que le diable les emporte !
Ils ont trop bien fermé la porte.
Ce soir, je pense à mon Amour !
Quel rêve fou, cela comporte
Ce soir, je pense à mon Amour…
J’aurais bien voulu, rien qu’un jour
Contre ton cœur, Ô mon Amour !
Oublier le mal que je porte
J’aurais bien voulu, rien qu’un jour
N’être qu’à toi, Ô mon Amour
Quel rêve fou, cela comporte !
Mais que le diable les emporte !
Ils ont trop bien fermé la porte.
Ce soir, je pense à tout ceci
Justement devant cette porte
Ce soir, je pense à tout ceci
Ô mon Amour. Ô mes Amis
Je pense à vous et je me dis
Que SEUL le souvenir importe
Ô mon Amour ! Ô mes Amis !
Ce soir, je pense à tout ceci
Justement devant cette porte
Enfin, mon Dieu, pour que je sorte
Quand donc l’ouvriront-ils la Porte.

« France Rondeaux de Mombray »
(dite Claude)
en cellule à la Santé, septembre 1942,
décédée à Auschwitz.

Note :

[1] Marguerite Catherine Aubertin, mariée le 19 avril 1923 à Paris 16e avec Ralph Henry Speed, lequel est décédé à Londres le 16 février 1934. Maggie Speed meurt le 28 avril 1950 à Villejuif (Seine / Val-de-Marne).

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 251-252.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : dossiers individuels de Francine Rondeaux (77 W 353-159127) et de Maggie Speed (77 W 379-163163) au service des Renseignements généraux ; dossiers individuels de Francine Rondeaux (1 W 1015-50626) et de Maggie Speed (1 W 19-49179) au cabinet du préfet de police ; la même note de quatre pages datée de juillet 1942 se retrouve dupliquée dans les quatre dossiers…
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : documents d’Auschwitz, liste de 13 décédés nés en France, extrait du Sterbebuch 1943, acte n° 19568/1943 (26 P 821).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 1014.

MÉMOIRE VIVE

(dernière modification, le 13-06-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).