Gabrielle Richoux naît le 19 décembre 1894 à Bourges (Cher -18), – peut-être à la maternité de l’Hôtel-Dieu -, fille de Marie Richoux, 26 ans, domestique, demeurant à Vignoux-sur-Barangeon (18), et de père inconnu. Le nouveau-né est présenté à l’état civil par une sage-femme ; un des deux témoins est un homme de 78 ans, « baigneur » à l’Hôtel-Dieu.
Sitôt quitté l’école, Gabrielle Richoux entre en place, comme domestique.
Le 28 mars 1914, à Vierzon, âgée de 19 ans, elle se marie avec Louis Bergin et s’installe dans cette ville. Ils n’auront pas d’enfant.
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, Gabrielle Bergin tient un café à l’enseigne du Bois d’Yèvre, situé près du Cher, dans le quartier de Vierzon qui est en zone occupée, la rivière dessinant la ligne de démarcation. Depuis le début de l’occupation, elle aide des prisonniers évadés, des juifs, des résistants poursuivis par la Gestapo à passer en zone non occupée, probablement en liaison avec Yvonne Courtillat, demeurant rue Grelon, située le long du Cher, dans la partie non occupée de la ville.
Selon Charlotte Delbo : « C’est l’époque où les envieux, les malfaisants, ceux qui ont des dettes, celles qui ont une rivale, ceux qui guignent un héritage et ceux qui sont trop lâches pour régler leurs comptes eux-mêmes sont investis d’un pouvoir redoutable. Gabrielle Bergin a été dénoncée par une femme qui était la maîtresse de son mari. »
Le 15 septembre 1942, elle est arrêtée par la Gestapo de Vierzon, probablement dans la même période qu’Yvonne Courtillat. Laquelle est prise au moment où, franchissant la rivière à gué pour aller chercher des gens qui l’attendent de l’autre côté, elle met le pied en territoire occupé. Elles sont probablement emprisonnées ensemble à Vierzon, puis à Orléans.
Le 13 novembre, elles sont toutes deux transférées au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas [1] (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122, où Gabrielle Bergin est enregistrée sous le matricule n° 1207.
Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camion au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »). Le lendemain, Gabrielle Bergin et Yvonne Courtillat font partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police, à Paris). Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille.
Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen [2], tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
Gabrielle Bergin a peut-être été enregistrée dans le camp sous le matricule 31798, selon une correspondance possible avec ceux reçus au fort de Romainville, mais la photo d’identification de la détenue portant ce numéro n’a pas été formellement identifiée (l’âge apparent pourrait correspondre).
Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois quarts, de face et de profil (la photo d’immatriculation de Gabrielle Bergin n’a pas été retrouvée ou identifiée).
Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.
Gabrielle Bergin meurt au camp de femmes de Birkenau le 23 mars 1943, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp.
Aucune rescapée n’a pu témoigner de son sort. Comme une date exacte a été rapidement fournie aux services d’état civil en France, il est probable que son mari a reçu directement un avis d’Auschwitz.
La mention « Mort en déportation » est apposée sur l’acte de décès de Gabrielle Bergin (JORF du 6 août 1987, arrêté du 2 juin).
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), page 36.
Archives départementales du Cher (AD 18), site internet du conseil départemental, archives en ligne, registre des naissances de Bourges, année 1894 (3E 4902), acte n° 758 (vue 380/425).
Marion Queny, Un cas d’exception : (…) le convoi du 24 janvier, mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Lille 3-Charles de Gaulle, juin 2004, notamment une liste réalisée à partir du registre de Romainville (copie transmise par Thomas Fontaine), pp. 197-204, et p. 114.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué) ; 120 actes retrouvés pour les « 31000 » ; tome 2, page 76 (16456/1943).
MÉMOIRE VIVE
(dernière modification, le 15-12-2015)
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Notes :
[1] Les Lilas : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne” (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilise l’abréviation “KZ”.