- Auschwitz-I, Block 16, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.
Georges, Guy, Henri, Louis, Dudal, dit “Jojo”, naît le 11 décembre 1922 à Binic (Côtes-du-Nord / Côtes d’Armor [1]), fils de Georges, Jean-Baptiste, Dudal et de Geneviève Bruvot (ou Pruvost).
Célibataire, Georges Dudal habite chez son père, au 45, rue de l’Espérance à Paris 13e, dans un immeuble qui fait l’angle avec la rue Guyton de Morveau.
Il travaille comme apprenti cuisinier-pâtissier.
À dix-sept ans, choqué par l’invasion allemande, il veut « se battre pour la France » et prend contact avec un ami de son père, André Tollet, secrétaire avant-guerre de l’Union des syndicats CGT de la Seine. En août 1940, il a pour mission de participer à l’impression de La Vie Ouvrière, journal de la CGT clandestine, et d’en apporter les exemplaires dans un local de l’avenue Daumesnil (12e) où des militants viennent les chercher pour leur diffusion dans les usines.
Le 2 octobre 1940, il est arrêté lors d’une livraison du journal, en même temps qu’Adèle et André Mijoin. Huit autres militants sont pris dans la même affaire, dont Adèle Némirowsky et Félicien Alonso. Amené au commissariat des Affaires spéciales, à Boulogne-Billancourt, Georges Dudal est “passé à tabac” pendant trois jours. Il passe par le dépôt de la préfecture de police de Paris. Toutes les personnes arrêtées sont inculpées pour infraction au décret du 26 septembre 1939.
Le 6 octobre, Georges Dudal est écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e), puis à transféré au quartier des mineurs de l’établissement pénitentiaire de Fresnes (Seine / Val-de-Marne) le 20 octobre.
- La maison d’arrêt de Fresnes après guerre.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.
- Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er.
Tribunal correctionnel, un des porches du 1er étage.
(montage photographique)
Le 9 janvier 1941, tous les inculpés comparaissent devant la chambre des mineurs (15e) du tribunal correctionnel de la Seine ; le père de Georges Dudal a été convoqué à l’audience comme civilement responsable. Le 11 janvier, Georges Dudal est condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis pour avoir agit « sans discernement ». Mais il n’est pas libéré, alors que son père l’attend devant la prison : la veille, le préfet de police de Paris a signé l’arrêté ordonnant son internement administratif. Deux policiers le ramènent en voiture au dépôt de la préfecture, au sous-sol de la Conciergerie, île de la Cité.
Le 17 janvier, Georges Dudal fait partie d’un groupe de 24 militants communistes conduits au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé en octobre 1940 dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt.
- Le sanatorium de la Bucaille à Aincourt dans les années 1930.
Le centre de séjour surveillé a été installé dans la longue bâtisse située au premier plan à gauche. Afin de pouvoir y entasser les détenus, il a fallu y transporter le mobilier des autres bâtiments.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.
Là, il fait la connaissance de Fernand Devaux : ils sont assignés au réfectoire, transformé en “dortoir des jeunes” pour pallier à la surpopulation des détenus.
- Sanatorium de la Bucaille à Aincourt.
Une salle de réfectoire. Peut-être celle du bâtiment
où se trouvent les communistes internés et qui
– vidé de ses tables – deviendra le dortoir des jeunes.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.
Le 15 mars 1941, son père écrit au Préfet de Seine-et-Oise pour solliciter une autorisation de visite [la suite donnée à cette requête n’est pas connue…].
Le 14 avril, Georges Dudal fils, sollicite une permission de sortie afin d’aller voir son père hospitalisé à l’hôpital Cochin. Le commandant du camp transmet cette demande à sa hiérarchie en l’accompagnant d’un avis favorable. Le 8 mai, le préfet de Seine-et-Oise répond qu’il ne lui est « pas possible d’accorder » la permission sollicitée (peut-ête suite à un refus de la Préfecture de police de Paris, qu’il a probablement consultée).
Le 26 avril, Georges Dudal est transféré au camp de Voves (Eure-et-Loir). Enregistré sous le matricule n° 205, il est affecté à la baraque 6.
- Musée de la Résistance Nationale, Champigny.
Fonds de l’Amicale Voves-Rouillé-Châteaubriant.
Droits réservés.
Le 10 mai 1942, il fait partie d’un groupe de 81 internés remis aux “autorités d’occupation” à la demande de celles-ci et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
- Un angle du camp de Royallieu vu depuis le mirador central
dont l’ombre se profile sur le sol. Le renfoncement à droite
dans la palissade correspond à l’entrée du Frontstalag 122.
Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler). Averti du départ, Georges Dudal passe la dernière nuit au camp à confectionner, à l’usage de ses camarades de chambrée, une sorte de pudding fait de nouilles et de chocolat qui sera bienvenu durant le transport.
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. Depuis le train, Georges Dudal jette un message qui parviendra à sa fiancée, Germaine.
Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures, puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, G. Dudal est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45494 (ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques semaines plus tard). Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied à Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20.
- Portail du sous-camp de Birkenau, secteur B-Ia, semblable
à celui du secteur B-Ib par lequel sont passés tous les “45000”.
Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, au cours duquel ils déclarent leur profession, ils sont envoyés aux travail dans différents Kommandos.
Le 13 juillet – après les cinq premiers jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Georges Dudal est dans la moitié du convoi qui reste dans ce camp en construction choisi pour mettre en œuvre la “solution finale” (contexte plus meurtrier). Il est le seul politique français affecté dans un Kommando qui entretient des viviers à poissons.
Entré au Revier en septembre 1942, il est un des premiers “45000” à avoir son matricule tatoué sur l’avant-bras.
Le jour de Noël 1942, les SS décident de faire réaliser la route centrale du camp ; c’est une corvée générale qui a des résultats délibérément meurtriers, entraînant des centaines de morts. Georges Dudal y survit.
Le 17 ou 18 mars 1943, Georges Dudal fait partie des dix-sept “45000” rescapés de Birkenau conduits à Auschwitz-I (en tout, 24 sur 600 !). Le jour de son arrivée, un détenu luxembourgeois, Philippe Groos, responsable à la cuisine du camp des travailleurs civils (Gemeinschatslager), le prend sous sa protection. Après un test, Georges Dudal y est lui-même affecté pour faire la cuisine des gardiens SS. Il obtient que Mickey Guilbert, tapissier, puisse travailler auprès de lui comme tailleur. Assignés tous les deux au Block23, M. Guilbert et G. Dudal ont un lit chacun. Le 15 juin 1943, ils célèbrent ensemble la Sainte-Germains, fête de leurs aimées respectives.
Allant porter des déchets de la cuisine jusqu’à la porcherie, G. Dudal sort clandestinement de la nourriture que M. Guilbert redistribue à partir de son propre poste de travail. C’est ainsi qu’ils peuvent faire entrer de la nourriture au Revier pour alimenter Fernand Devaux, épuisé.
Le 4 juillet 1943, comme les autres “politiques” français (essentiellement des “45000” rescapés), il reçoit l’autorisation d’écrire (en allemand et sous la censure) à sa famille et d’annoncer qu’il peut recevoir des colis.
À la mi-août 1943, il est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) et mis en “quarantaine” au premier étage du Block 11. Ceux-ci sont exemptés de travail et d’appel extérieur, mais témoins des exécutions massives de résistants, d’otages et de détenus dans la cour mitoyenne.
- Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 – où se pratiquaient
les expérimentations “médicales” sur les femmes détenues –
et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage
de la “quarantaine”. Au fond, le mur des fusillés.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.
Le 12 décembre 1943, suite à la visite d’inspection du nouveau chef de camp, le SS-ObersturmbannführerArthur Liebehenschel – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de “récupérer”, ils sont renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.
Le 3 août 1944, Jojo Dudal est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine” en préalable à un transfert (selon Cl. Cardon-Hamet).
Le 6 ou 7 septembre 1944 , il est dans le petit groupe de trente “45000” transféré – dans des wagons de voyageurs – au KL [2] Gross-Rosen, dans la région de Wroclaw (matricule 40994). C’est dans ce camp qu’il a ses 22 ans (il évoque ce jour dans une lettre à ses parents, écrite à sa libération). Il est affecté au Kommando Siemens, situé à l’intérieur du camp.
Le 10 février 1945, il est parmi les dix-huit “45000” transférés à Hersbrück, Kommando de Flossenbürg (matr. 84497) dans des conditions inhumaines (trois jours de train dans des wagons découverts) : dans le wagon où il se trouve avec Fernand Devaux, sur soixante-quinze détenus au départ, ils sont quatre survivants à l’arrivée. Là, ils sont d’abord affectés à l’assainissement de marécages. Puis ils sont convoyés en train chaque jour pour aller déblayer la gare de Nuremberg, constamment bombardée.
Le 8 avril, avec les mêmes camarades, “Jojo” se trouve dans une colonne de détenus évacués à marche forcée et qui arrive au camp de Dachau le 24 avril : partis à 2500 détenus, ils ne sont plus qu’environ 200 à l’arrivée ; tous les “45000“ ont survécu. Le 29 avril, Dachau est libéré par les troupes américaines.
Vers le 13 mai, afin d’échapper à la quarantaine imposée par les Américains pour contenir l’épidémie de typhus régnant dans ce camp, Fernand Devaux et Georges Dudal en franchissent clandestinement les portes, cachés dans un camion bâché de la 1ère Armée française. Ils sont déposés quelques kilomètres plus loin, à proximité d’un camion de la Croix-Rouge suisse où on leur donne des vivres. Cherchant un endroit où passer la nuit, ils se dirigent vers un couvent ; les religieuses les conduisent à une ferme proche. Le lendemain, ils cherchent une voie ferrée leur permettant de se diriger sur une ville. Après avoir marché quelques kilomètres, ils parviennent à faire stopper un train (une locomotive et un wagon) en restant sur la voie. Celui-ci les dépose à Augsbourg, où ils rejoignent un centre de rapatriement situé dans une école accueillant tous les types de réfugiés (prisonniers de guerre, STO,…). Le lendemain 15 mai, ils sont conduits en camion à la forteresse d’Ulm. Là encore, Fernand Devaux et Georges Dudal décident de quitter l’endroit. Le jour, suivant, ils réussissent à monter dans un camion (ou un car) qui les emmène à Stuttgart. Ils font étape à Karlsruhe, où ils dorment dans une école. Le voyage se poursuit jusqu’à Ludwigshaffen, à la frontière franco-allemande, où il passent la nuit chez l’habitant. Le 18 mai, en pleine nuit, il y a une ruée des personnes à rapatrier dans les rues de la ville pour rejoindre la gare : ils montent dans des wagons à bestiaux qui les amènent jusqu’à un camp de la Croix-Rouge française à Romilly, où ils passent la nuit.
Le lendemain 19 mai, un train de voyageur les conduit jusqu’à la gare de l’Est à Paris. Ils sont emmenés en bus à l’hôtel Lutétia, où ils retrouvent… des camarades qu’ils avaient laissé à Dachau ! La nuit se passe en échanges de nombreux souvenirs des camps.
- L’hôtel Lutetia, à Paris 6e. Siège de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand) sous l’occupation.
Centre d’accueil des déportés au printemps-été 1945.
Carte postale, années 1940-1950. Collection Mémoire Vive.
Le lendemain, André Tollet (qui avait milité clandestinement avec “Jojo”) est prévenu de leur arrivée et vient leur rendre visite. Le jour suivant, il met sa voiture et son chauffeur à leur disposition, et celui-ci les conduit chez Georges Dudal. De là, Fernand Devaux rentre tout seul, à pied, à la maison.
Le 27 janvier 1946, Roger Abada rencontre Jojo Dudal au Palais d’Orsay lors de la commémoration de la libération d’Auschwitz. Ils correspondent.
Dans les récits qu’il a fait publier, André Tollet a décrit le jeune garçon énergique et plein d’humour avec lequel il militait au temps de la Vie Ouvrière (V.O.) clandestine.
Avec Fernand Devaux, Lucien Ducastel, André Montagne et Christiane Borras, Jojo Dudal fonde l’association “Mémoire vive des convois des “45000” et “31000” d’Auschwitz-Birkenau” dont les statuts sont déposés en 1996.
En 2002, grâce à l’association polonaise de mémoire TONO, il revoit Tadeusz Gasior, détenu polonais (matr. 884) qui travaillait avec lui dans les cuisines d’Auschwitz-I. Le 7 juillet, à Auschwitz, il participe à l’inauguration d’une plaque commémorative sur un des bâtiments conservés du camp des travailleurs civil où lui même a travaillé comme cuisinier.
Georges Dudal témoigne par des récits, lettres et cassettes, participant – par son activité et sa présence chaleureuse – à l’œuvre de mémoire.
Jojo reçoit la Croix du Combattant et la médaille du Combattant volontaire de la Résistance. Initialement homologué comme “Déporté politique”, il obtient finalement, en juin 2002, le titre de “Déporté résistant”.
Georges Dudal décède le 11 avril 2003.
Sources :
Association de Sauvegarde d’Auschwitz (TONO), bulletin n° 42-43, édition spéciale pour le 60e anniversaire de l’arrivée du convoi du 6 juillet 1942, Varsovie, décembre 2002.
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 121 et 122, 169, 173, 189, 215, 227 et 228, 250, 311 et 312, 372 et 402.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen.
Archives de Paris : archives du tribunal correctionnel de la Seine, rôle du greffe du 2 décembre 1940 au 25 février 1941 (D1u6-5852) ; jugement du jeudi 16 janvier 1941 (D1u6-3705).
Archives de la préfecture de police de Paris, cartons “Occupation allemande”, liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 2397).
Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt, cotes 1W80 (notice individuelle), 1W110.
Comité du souvenir du camp de Voves, liste établie à partir des registres du camp conservés aux Archives départementales d’Eure-et-Loir.
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 18-09-2018)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.
[1] Côtes-d’Armor : département dénommé “Côtes-du-Nord” jusqu’en février 1990.
[2] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.