- Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Georgette Réau naît le 20 août 1910 à Bordeaux (Gironde – 33), fille d’un chaudronnier sur fer. Elle grandit à Bordeaux et fréquente l’école Cazemajor jusqu’au certificat d’études.
Confectionneuse en couture, elle épouse Monsieur Lacabanne (prénom ?), ouvrier tuyauteur. Ils ont une fille et un garçon qui ont respectivement neuf ans et dix-huit mois à l’arrestation de leur mère. La famille est domiciliée à Bègles (33).
Sous l’occupation, Georgette Lacabanne héberge des résistants.
Le 7 ou 8 juillet 1942, elle est arrêtée à son domicile. En même temps, les policiers français prennent Jean Dancla, militant girondin interné au camp français de Mérignac en septembre 1941, qui s’en est évadé le 20 juin et qui vient de se réfugier chez elle après s’être sauvé de chez Yvonne Noutari jusqu’où il a été “filé”. Jean Dancla sera fusillé à Souge le 21 septembre 1942, avec Robert Noutari, le mari d’Yvonne, également ancien évadé [1].
Yvonne Noutari et Marcelle Bastien [2] sont également arrêtées. Dans quelles conditions pour cette dernière ?
Georgette Lacabanne est emprisonnée au Fort du Hâ, prison de Bordeaux.
- Le fort du Hâ en 1903.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.
Le mari de Georgette s’engage comme travailleur volontaire en Allemagne dans l’espoir que sa femme sera libérée. Leurs enfants sont recueillis par la grand-mère paternelle d’abord, puis séparés : la fille allant chez un oncle, le garçon chez la grand-mère maternelle.
Le 14 octobre 1942, Georgette Lacabanne est parmi les 70 hommes et femmes – dont 33 futures “31000” (les “Bordelaises” et les Charentaises) – transférés depuis le Fort du Hâ et la caserne Boudet de Bordeaux au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas [3] (Seine-Saint-Denis – 93), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122. Le 16 octobre, Georgette y est enregistrée sous le matricule n° 939. Selon Annette Épaud, les nouveaux arrivants sont isolés pendant trois semaines, sans avoir le droit d’écrire, puis ils rejoignent les autres internés ; hommes et femmes étant séparés mais trouvant le moyen de communiquer. Dans un courrier daté du 19 novembre (posté le 24), Yvonne Noutari indique « nous sommes neuf qui nous entendons bien » (groupe de partage de colis), puis précise qu’elle est « avec la grand-mère à Casera et Mme Lacabanne ».
Le 22 janvier 1943, Georgette Lacabanne fait partie des cent premières femmes otages transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquant « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »). Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié concernant les deux nuits et la journée passées à Royallieu, et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation… Mais Betty Jégouzo confirme ce départ en deux convois séparés, partis un jour après l’autre du Fort de Romainville. Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise. Georgette Lacabanne y est enregistrée sous le matricule 31717. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois-quart, de face et de profil (la photo d’immatriculation de Georgette Lacabanne a été retrouvée, mais n’a pas été identifiée par des rescapées à l’été 1947).
Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où se trouvent quelques compagnes prises à la “course” (un sélection punitive) du 10 février. Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.
Georgette Lacabanne meurt à Birkenau le 8 mars 1943, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).
Son mari est avisé de sa mort par la mairie de Bègles.
Notes :
[1] Le 21 septembre 1942, soixante-dix otages sont fusillés au camp militaire de Souge, commune de Martignas-sur-Jalle. Ces représailles massives touchent des détenus placés sous l’autorité de la Feldkommandantur 529 de Bordeaux bien que les actions de la résistance armée qui les déclenchent aient essentiellement été menées à Paris ; comme la dernière, frappant le grand cinéma Rex réservé aux troupes d’occupation (Deutsches Soldatenkino) le 17 septembre à 21h55 et faisant deux morts et dix-neuf blessés.
Le 16 septembre, la Sipo-Sd (Gestapo) – qui a pris en charge de la politique des otages initiée par le haut commandement militaire – décide d’organiser des fusillades massives en représailles de plusieurs attentats organisés par la résistance armée contre les forces d’occupation depuis le 11 août précédent, date des dernières exécutions. Au moment de la décision, le nombre de « victimes expiatoires » (Sühnepersonen) est fixé à quatre-vingt-quatre selon un barême multipliant par deux le nombre des militaires allemands tués ou blessés lors de ces actions. La région parisienne ne disposant pas d’autant d’otages fusillables, il est décidé de prendre des hommes détenus à Bordeaux (deuxième grande ville de la zone occupée) soit pour les conduire au Fort de Romainville, camp d’otages, soit pour les exécuter au camp de Souge ; c’est la deuxième solution qui sera retenue pour des raisons de “sécurité”. Avant même les exécutions, le Docteur Horst Laube, responsable de la section II-Ju de la Sipo-SD en France, considère qu’il « ne serait pas recommandé de fusiller tout de suite tous les otages disponibles à Paris, afin qu’à l’avenir dans les cas imprévus, on puisse trouver à Paris des otages à tout moment »
Dans la mesure où le principe en avait déjà été fixé, la fusillade de Souge n’est pas une conséquence directe de l’attentat du Rex, mais celui-ci augmente le nombre d’otages désignés et c’est surtout à Bordeaux que sera trouvé le complément. Le 18 septembre, Karl Oberg, chef supérieur des SS et de la police allemande en France depuis mai 1942, entérine les propositions : « J’ordonne en représailles l’exécution de 116 Français dont 70 à Bordeaux et 46 à Paris. » L’avis affiché précise : « …lesquels ont été trouvés coupables d’activités antiallemandes ou communistes ».
Fiche allemande :
64. DANCLA Jean, 29.5.1908 Jurançon, Bordeaux, Bègles. D. est un vieux communiste, était interné et a pris la fuite du camp de concentration de Mérignac. Était en liaison avec les terroristes, a été appréhendé dans un quartier illégal de terroristes.
Selon la terminologie allemande, il est évident que « vieux communiste » veut dire « communiste de longue date ».
[2] Marcelle Bastien, née le 25 septembre à 1922 Reims (Marne – 51), est la compagne du jeune résistant communiste Lucien Dupont. Arrêtée le 8 juillet 1942 à Bordeaux, elle est mise au secret au Fort du Hâ, puis transférée au Fort de Romainville. Christiane Dupont Lauthelier, fille de Marcelle et Lucien, a raconté : « De Romainville, où elle était donc internée depuis la fin octobre 1942, Marcelle Bastien, enceinte, devait faire partie du convoi de la fin janvier 1943, en partance pour… Auschwitz ! Sans l’intervention de Danielle Casanova – qui demanda aux femmes rassemblées de ne pas monter dans les camions tant que Marcelle serait dans la colonne – et de Marie-Claude Vaillant-Couturier (qui faisait l’interprète), nous ne serions plus là pour témoigner de leur barbarie… Quel courage, quelle conscience politique, quelle abnégation chez ces femmes communistes engagées dans la Résistance. Devant leur détermination, le commandant retira violemment ma mère enceinte de la colonne ! ». Marcelle Bastien accouche le 16 avril 1943 au Val-de-Grâce. Elle et sa fille Christiane reviennent au fort de Romainville en août 1943. Puis la Croix-Rouge vient chercher le bébé qui est confié à ses grands-parents paternel à côté de Dijon. Marcelle Bastien est déportée dans le transport parti de Paris le 29 août 1943 et arrivé au KL Ravensbrück le 2 septembre (matr. 22337). Après deux années sans aucune nouvelle de sa fille et de Lucien Dupont (fusillé le 26 février 1943 au Mont-Valérien), elle est libérée à Neubrandenburg.
[3] Les Lilas. Jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine (transfert administratif effectif en janvier 1968).
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), page 161.
Marion Queny, Un cas d’exception : (…) le convoi du 24 janvier, mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Lille 3-Charles de Gaulle, juin 2004, notamment une liste réalisée à partir du registre de Romainville (copie transmise par Thomas Fontaine), pp. 197-204, et p. 114.
Serge Klarsfeld, Le livre des otages, Les éditeurs français réunis, Paris 1979, Les otages de Bordeaux (20.9.1942), pages 174 à 179, et 233 à 246, fiche allemande, page 245.
La commission d’Histoire du Comité du Souvenir des Fusillés de Souge.
Liste des photos d’Auschwitz « identifiées de camarades non rentrées », Après Auschwitz, bulletin de l’Amicale, n°17 septembre-octobre 1947, page 3.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 683 (13790/1943).
MÉMOIRE VIVE
(dernière modification, le 7-06-2010)
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