- Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Gustave, Pierre, Raballand naît le 24 août 1907 à Saint-Jean-de-Monts (Vendée), chez ses parents, Pierre Auguste Raballand, 26 ans, et Marie Louise Viaud, 25 ans, son épouse, cultivateurs « près la Faucherie » lieu dit où plusieurs familles Raballand sont installées. En 1923, la famille comptera deux autres enfants.
Le 21 août 1914, rappelé à l’activité militaire par le décret de mobilisation générale, leur père rejoint le 3e régiment d’infanterie à La Roche-sur-Yon, comme soldat de 2e classe. Le 7 septembre suivant, il part en renfort au 93e R.I. Le 3 octobre, devant Albert, il est blessé au pied droit et évacué. Il revient au dépôt le 16 novembre. Le 7 juin 1915 à Hébuterne (Pas-de-Calais), au début d’une offensive contre la ferme fortifiée de Toutvent [1], il est blessé à la main gauche (auriculaire). Le 1er juin 1916 dans le secteur de Verdun, Il est encore blessé. Le 23 avril 1917 à Reims, il subit une blessure à l’oreille avec conjonctivite de l’œil gauche. Le 16 décembre, il est cité à l’ordre de sa division (?) : « Bon soldat, ayant toujours accompli son devoir… ». Le 4 février 1919, il est mis en congé illimité de démobilisation.
Le 16 août 1930 à La Barre-de-Monts (85), Gustave Raballand (22 ans) – alors charron et domicilié à Rezé (Charente-Inférieure / Loire-Atlantique [1] – 44) chez ses parents – se marie avec Reine Émilie Marie Guillaume, née le 12 septembre 1910 (19 ans) à Jans (44), couturière. Ils auront deux enfants.
Au moment de son arrestation, Gustave Raballand est domicilié au 9, place Moreau à la Haute-Ile, Pont-Rousseau à Rezé, agglomération de Nantes (44).
Gustave Raballand adhère au parti communiste en 1933. En 1936, il est le secrétaire adjoint du Comité de Front populaire de Rezé. Il est aussi responsable de la propagande au Parti communiste et des Comités de défense de L’Humanité (CDH) pour le sud de la Loire à Nantes et à Rezé.
Il travaille comme ajusteur à la SNCAO (Société nationale de construction aéronautique de l’Ouest), une usine d’aviation crée par Louis Breguet et inaugurée en 1937 à Bouguenais (proche de Rezé) pour construire des avions de guerre (bombardiers Bloch MB-210 et chasseurs Morane-Saulnier MS-406).
Lors de la mobilisation, Gustave Raballand est “affecté spécial” – utile à la défense nationale – dans son usine, puis est rappelé à la base militaire de Chartres le 24 janvier 1940. Il est ensuite envoyé en Algérie, à Blida puis à Ouargla, où les 180 hommes de la Compagnie, considérés comme de “fortes têtes” doivent – en pleine guerre – pelleter du sable et casser des cailloux dans la chaleur torride du Sahara. Il est démobilisé le 3 septembre 1940.
Gustave Raballand retrouve son travail et reprend clandestinement ses activités politiques et syndicales.
Le 7 décembre 1940, des policiers de la police judiciaire d’Angers l’arrêtent à 2 heures du matin, à son domicile, et le conduisent à la prison de Nantes en application du décret du 4 décembre 1940. Mêlés aux prisonniers de droit commun, les communistes protestent et réclament le régime politique.
Le 28 décembre 1940, Gustave Raballand est placé au centre de résidence surveillée du Croisic (44), surveillé par des gardes mobiles français.
Le 16 avril 1941, il est libéré après avoir signé une déclaration selon laquelle il s’engage à « ne pas faire de politique qui pourrait nuire au gouvernement ».
Embauché aux Chantiers de la Loire, qui effectuent des réparations sur les navires allemands, il y organise le sabotage des compresseurs et de l’outillage. Il recrute pour l’O.S. (organisation spéciale : premiers groupes armés du Parti communiste), récupère des armes jetées dans la Sèvre Nantaise lors de la retraite, et des explosifs dans une carrière de pierre. Les armes sont remises en état par un ancien armurier, Henri Adam, qui sera fusillé par les Allemands. Gustave Raballand distribue également tracts et journaux clandestins dénonçant la collaboration pratiquée par le régime de Vichy.
Le 23 juin 1941, il est de nouveau arrêté sur son lieu de travail par des Allemands [2]. Il figure en vingt-neuvième place sur une liste de trente « Funktionaere » (“permanents” ou “cadres”) communistes établie par la police allemande. Avec une vingtaine d’hommes arrêtés dans l’agglomération de Nantes, il est conduit au « camp du Champ de Mars » (s’agit-il de la salle des fêtes, également dénommée « Palais du Champ de Mars » ? à vérifier…) ; lui-même parle de « prison ».
Le 12 juillet, Gustave Raballand est parmi les vingt-quatre communistes (dont les dix futurs “45000” de Loire-Atlantique) transférés, avec sept Russes (juifs), au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Pendant le transport, Gustave Raballand tente en vain de s’évader. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Gustave Raballand est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46029 (ce matricule sera tatoué sur son bras gauche quelques mois plus tard).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Gustave Raballand est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.
Là, on l’affecte à un Kommando de terrassement, puis dans un atelier de la DAW (Deutsche AusrüstungsWerke, société SS, usine d’armement entre autres), où il travaille à l’affûtage des machines à bois, avec René Aondetto et Maurice Rideau. Il sabote les lames d’affûtage avec la complicité d’un curé polonais chargé de faire le guet.
En juillet 1943, la plupart des détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”) reçoivent l’autorisation d’écrire – en allemand et sous la censure – à leur famille et d’annoncer qu’ils peuvent recevoir des colis (à vérifier le concernant…).
À la mi-août 1943, Gustave Raballand est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block 11 – la prison du camp – pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.
Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel – qui découvre leur présence, et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.
Le 3 août 1944, Gustave Raballand est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine” en préalable à un transfert.
Le 28 août 1944, il est dans le petit groupe de trente-et-un détenus dont vingt-neuf “45000” transférés au KL Flossenbürg (Haut-Palatinat bavarois, proche de la frontière tchèque) et enregistrés dans ce camp le 31 août (matricule 19904) et travaille dans une usine métallurgique où il lui est de nouveau possible d’effectuer des sabotages.
Le 29 octobre, il est parmi les onze “45000” transféré à Wansleben, (Kommando de Buchenwald), une usine de potasse (matricule n° 93418).
Le 12 avril 1945, il est dans une des colonnes de détenus évacués de ce camp à marche forcée (une “marche de la mort” qui dure 36 heures) vers le Nord de Halle.
Gustave Raballand est libéré le 14 ou le 15 avril par les troupes américaines.
Il regagne Paris (Hôtel Lutétia) le 13 mai 1945.
Sur les dix “45000” de Loire-Atlantique, Gustave Raballand est l’un des deux rescapés, avec Eugène Charles, de Nantes.
Sa santé est très affectée par une pleurésie contractée à Auschwitz. Il est homologué comme “Déporté résistant”, et sergent de la Résistance intérieure française (RIF). Il est décoré de la Médaille militaire avec citation à l’ordre de l’Armée (4/12/1975), de la Légion d’Honneur (13/4/1984), reçoit la Médaille de Combattant volontaire de la Résistance.
Gustave Raballand décède à Rezé (44) le 4 janvier 1994.
À une date restant à préciser, son nom a été donné à un rond-point de Nantes.
Notes :
[1] La bataille d’Hébuterne : En parallèle à la deuxième bataille d’Artois (9 mai-19 juin 1915), se déroule la bataille d’Hébuterne (7 au 10 juin 1915), commune située à l’ouest de Bapaume, près du département de la Somme, dans une région où les champs s’étendent à perte de vue.
Le général Foch prépare début juin une relance de l’offensive en Artois. Pour ce faire, il déclenche le 7 juin une attaque de diversion confiée à des unités de la IIe armée française, sur la ferme de Toutvent entre Hébuterne et Serre, où les Allemands ont fortifié un petit saillant. Les deux villages se font face à quelques kilomètres l’un de l’autre, chacun au sommet d’une légère hauteur.
La ferme, située sur un étroit plateau, a été puissamment renforcée par les Allemands au cours de l’hiver 1914-1915. En avant, dans les champs bordés d’une rangée de grands arbres, ils ont créé un immense réseau de tranchées défendues par d’épais réseaux de fils de fer, garnies d’abris creusés à grande profondeur et possédant plusieurs issues, le tout formant un système défensif doté de postes d’écoute et de boyaux de communication sinueux. Certaines parties des tranchées sont minées.
Bilan : La conquête définitive de la ferme de Toutvent par les Français s’achève le 10 juin, ce qui n’empêche pas les combats de se poursuivre dans les environs.
Les pertes humaines enregistrées du 7 au 13 juin s’établissent à 1760 tués et 8590 blessés du côté français, à 927 tués, blessés et prisonniers du côté allemand. Les Français ont progressé de 900 mètres sur une largeur de 2 kilomètres. Lors de l’attaque de la ferme de Toutvent, le 93e régiment d’infanterie a obtenu la Croix de guerre avec palme. Poursuivant un mouvement demandé par les Français, les troupes britanniques étendent leur couverture sur le front et, en août 1915, la IIIe armée britannique s’installe de la Somme à Hébuterne. Le village reste aux mains des Britanniques de l’été 1915 jusqu’à l’Armistice. Source : https://www.archivespasdecalais.fr/Decouvrir/Chroniques-de-la-Grande-Guerre/Histoires-de-la-Grande-Guerre/La-bataille-d-Hebuterne
[2] Charente-Maritime : département dénommé “Charente-Inférieure” jusqu’en septembre 1941.
[3] L’ “Aktion Theoderich” : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht. Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font déjà partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 346 et 347, 359, 365 et 418.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Bretagne (2002), citant : questionnaire biographique et documents remis par Gustave Raballand – Entretien enregistré par Cl. Cardon-Hamet – Témoignages de Maurice Rideau et de René Aondetto.
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 27-06-2022)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.