Une famille de tradition socialiste et laïque
Héléna Antoinette Louise Pellault naît le 23 décembre 1904 à Cussay (Indre-et-Loire – 37), fille de Constant François Perrault, 27 ans, maréchal-ferrant, d’Héléna Saivres, 23 ans, son épouse. Sur plusieurs documents d’état civil, son prénom est orthographié (comme celui de sa mère) « Héléna » ; Charlotte Delbo, dans l’écriture de son livre éponyme sur Le convoi du 24 janvier, et la presse locale d’après-guerre utiliseront « Hélène »…
La jeune fille va à l’école communale de Cussay. Héléna – surnommée « Léna » par ses proches – est l’aînée de deux frères, Constant (lui aussi), né en 1910, Maxime, né le 23 mai 1912, et de deux sœurs, Germaine, née le 14 janvier 1915, et Rolande, née le 26 août 1920.
Leur père, socialiste, libre-penseur, a une grande influence sur Héléna : probe, intransigeant, pur, il est de toutes les batailles laïques ; il stipule par testament vouloir être enterré civilement avec son cercueil recouvert d’un drap rouge.
En 1911, patron artisan, il héberge un ouvrier de 16 ans ; son épouse est alors devenue épicière.
Le 27 octobre 1923, à Cussay, Héléna Pellault – âgée de 18 ans – se marie avec Raphaël Raymond Fournier, né le 5 octobre 1899 dans ce village, d’abord cultivateur, puis chauffeur.
Leur fille Liliane naît le 15 février 1926 à Tours.
En février 1926, ils habitent au 40, rue Jules Charpentier à Tours ; Raphaël est ouvrier boulanger chez Casse (?), elle est couturière. Fin octobre 1930, ils ont emménagé au 98, rue Febvotte à Tours, dans le quartier des Casernes. En 1936, ils tiennent ensemble un petit commerce d’épicerie à cette adresse. Estimés, ils voient et connaissent beaucoup de monde.
Le 24 février 1940, Raphaël Fournier est rappelé à l’activité militaire au dépôt du train n° 9.
La Résistance
Sous l’occupation, Héléna Fournier n’appartient à aucun parti, mais veut agir et cherche à s’agréger à un groupe de résistance.
Elle en parle à des amis, des socialistes, qui, au début 1942, ont constitué en Touraine le mouvement Libération-Nord (“Libé-Nord”), dirigé par Jean Meunier, ex-député SFIO d’Indre-et-Loire et imprimeur. Héléna Fournier s’y engage par l’intermédiaire de l’épouse de celui-ci, Raymonde Meunier.
Héléna et Raphaël Fournier profitent des possibilités qu’offre leur boutique pour propager les mots d’ordre de la résistance et dresser l’opinion contre l’occupant. Ils recueillent des fonds et des vivres pour aider les familles de fusillés, les emprisonnés. Ils donnent asile à des prisonniers évadés (la ligne de démarcation est proche).
L’arrestation
Le 29 octobre 1942, Héléna Fournier est arrêtée par deux agents de la Gestapo en civil ; Raphaël n’étant pas à la boutique, il n’est pas arrêté.
Elle a été dénoncée par la fille d’une cliente qui s’approvisionnait chez elle pour faire des colis à son fils prisonnier de guerre [1]
Pendant le trajet en voiture de chez elle à la prison de Tours, rue Henri Martin, où elle sera placée à l’isolement, elle est battue.
Le 6 novembre, Héléna Fournier est conduite à la gare de Tours dans un groupe de 18 “Tourangelles” extraites de la prison. Sur le quai, elle aperçoit un employé SNCF de sa connaissance qui pourra prévenir son mari de son départ. Dans le compartiment dans lequel elle doit voyager, elle est avec Raymonde Sergent, Francisca Goutayer, Marcelle Laurillou et Germaine Maurice.
Elles sont transférées au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122 ; Héléna Fournier y est enregistrée sous le matricule 1183.
Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22,1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »).
Le lendemain, Héléna Fournier fait partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié concernant les deux nuits et la journée passées à Royallieu, et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation… Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.
Le lendemain matin, après avoir été brutalement descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
Héléna Fournier y est enregistrée sous le matricule n° 31793.
Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rang de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie de la police allemande : vues de trois quarts avec un couvre-chef (un foulard), de face et de profil ; la photo d’immatriculation d’Héléna Fournier a été retrouvée, puis identifiée par des rescapées à l’été 1947.
Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.
À Birkenau, Héléna Fournier est affectée successivement dans de nombreux Kommandos du dehors : les champs, les marais, les démolitions, les wagonnets, les briques, l’abattage des arbres, avec deux interruptions (typhus, pour lequel elle entre au Revier [1] le 28 avril 1943).
En mai 1943, elle reste la seule Française dans ces Kommandos, les autres femmes du convoi étant soit à Raïsko, soit malades, soit infirmières au Revier. Elle est alors à bout de forces.
En juin suivant, grâce à l’appui de Marie-Claude Vaillant-Couturier, elle peut entrer au Revier comme nettoyeuse, où elle n’a plus a subir les appels épuisants. Mais s’il n’y avait pas eu la quarantaine, le 3 août 1943, elle n’aurait pas tenu.
Héléna Fournier est parmi les survivantes placées en quarantaine dans une baraque en bois située en face de l’entrée du camp des femmes (celles qui ont été envoyées travailler au Kommando agricole de Raïsko étant considérées comme bénéficiant déjà d’une situation protégée). Charlotte Delbo précise : « La quarantaine, c’était le salut. Plus d’appel, plus de travail, plus de marche, un quart de litre de lait par jour, la possibilité de se laver, d’écrire une fois par mois, de recevoir des colis et des lettres. » Néanmoins, cinq Françaises, trop épuisées, y succombent encore. Pour les “31000”, cette période dure dix mois.
En juin 1944, les “31000” de la quarantaine sont renvoyées au travail, mais affectées dans un atelier de couture moins épuisant où elles ravaudent les vêtements laissés par les Juifs « à l’entrée de la douche ». Des fenêtres de cet atelier, elles assistent à l’arrivée des convois de Juifs de Hongrie, débarqués sur une dérivation de la voie de chemin de fer qui se prolonge désormais à l’intérieur du camp.
Après le débarquement allié en France, un nouveau front s’est créé que le courrier ne franchit plus.
Ravensbrück et Mauthausen
Le 2 août 1944, Héléna Fournier fait partie des trente-cinq “31000” transférées au KL Ravensbrück où elles arrivent deux jours après ; la plupart étant enregistrée comme détenues “NN” (pas de travail hors du camp, pas de transfert dans un Kommando) et assignées à un Block réservé.
Le 2 mars 1945, elle est parmi les trente-trois “31000” transférées au KL Mauthausen, en Haute-Autriche (annexée au IIIe Reich) à environ 22 km de Linz, où elles arrivent le 5 mars après un voyage très pénible.
Ensuite, en les transportant de nuit, on conduit la plupart d’entre elles à la gare de triage d’Amstetten pour boucher les trous d’obus et déblayer les voies quotidiennement bombardées par l’aviation américaine (trois “31000” seront tuées sous les bombes).
Le 22 avril 1945, Héléna Fournier fait partie des trente “31000” prises en charge par la Croix-Rouge internationale et acheminées en camion à Saint-Gall (Sankt Gallen), au sud du lac de Constance, en Suisse alémanique.
De là, elles gagnent Paris par le train où elles arrivent le 30 avril. C’est le groupe le plus important de “31000” libérées ensemble, c’est le “parcours” le plus partagé.
Héléna Fournier rentre à Tours le 1er mai 1945.
Seule survivante parmi les Tourangelles
Attendue par son mari et sa fille, qu’elle avait laissée âgée de quinze ans, elle reprend son commerce après s’être reposée quelque temps.
Seule survivante des vingt “Tourangelles” (dix-sept parties de Tours en même temps qu’elle, deux autres déjà à Romainville), elle a la tâche d’annoncer leur mort aux familles, de raconter leur fin, de raconter Birkenau : « C’est mon devoir. J’ai eu tellement de chance de revenir. »
Dès le 21 juin 1945, lors d’une conférence organisée au théâtre municipal de Tours (?) par le mouvement Libération-Nord et présidée par Jean Meunier, président du Comité départemental de libération, et alors maire de Tours, député SFIO d’Indre-et-Loire, Hélène Fournier est un des témoins racontant la Résistance et la répression nazie. Dans une salle regorgeant de monde, son émouvant exposé sur Auschwitz cause une profonde impression par sa touchante simplicité.
Elle est homologuée caporal dans la Résistance intérieure française (R.I.F.)
Le 2 mai 1966, à la suite d’un banquet réunissant les Combattants volontaires de la Résistance (CVR) d’Indre-et-Loire, Jean Meunier remet la Légion d’honneur à Hélène Fournier au nom du gouvernement de la République, déclarant : « Vous êtes un miracle, une preuve de confiance. Le désir de continuer la lutte vous a soutenue. Nous vous avons retrouvée avec la même foi, la même ardeur, elle ne vous a pas quittée. » Dans un article, La Nouvelle République du Centre-Ouest transcrit l’allocution du fondateur-directeur de ce quotidien (Jean Meunier !), précédée d’une photo de remise de la décoration.
Après avoir pris sa retraite, entourée de l’affection des siens, Héléna sert jusqu’au bout la mémoire de ses camarades, notamment par des conférences en Touraine.
À une date restant à préciser, sur un cahier d’écolier, elle rédige ses mémoires de déportation, « Trente mois dans les camps de concentration nazis », dédiées à ses amies mortes, et à destination exclusive de ses proches.
Raphaël Fournier décède le 16 décembre 1974 à Tours.
Le 23 mars 1985, lors d’une assemblée générale des CVR d’Indre-et-Loire tenue à Manthelan (37), le colonel Jean Imbert, président de la FNDIR, lui remet la croix d’officier de la Légion d’Honneur. La Nouvelle République consacre un article à l’ensemble de la cérémonie.
Héléna Fournier décède le 29 mars 1994.
Sa fille Liliane, devenue épouse Toulousy, décède le 3 juillet 2008 à Tours.
Notes :
[1] Revier. Selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation KB.
[2] À la Libération, la dénonciatrice est arrêtée par Guy Chagnault, époux de sa sœur Germaine, membre des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI) qui, de son propre chef, déniche la cachette de cette femme et la remet entre les mains des autorités. Condamnée à dix ans de travaux forcés, elle sera libérée au bout de cinq ans pour bonne conduite.
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 116-118.
Messages de Jane Valentin, fille de Guy Chagnault et nièce d’Héléna Fournier (08-2021).
Messages de Carole Toulousy-Michel, petite-fille d’Héléna Fournier, fille de Liliane (09-2021).
MÉMOIRE VIVE
(dernière modification, le 23-09-2021)
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