- Photographiée en studio.
D.R.
Jacqueline Quatremaire naît le 17 octobre 1918 à Igé (Orne), fille unique d’Henri Quatremaire, 21 ans, peintre en bâtiment, et de Germaine Bruhce, qui se marieront en février 1924. “Jacquy” va à l’école à Igé jusqu’au brevet élémentaire
En 1934, ses parents s’installent dans la région parisienne.
Henri Quatremaire adhère à la CGTU en juin 1935 et au Parti communiste en septembre. En 1937, il devient secrétaire de la section communiste de Noisy-le-Sec [1] (Seine-Saint-Denis) et l’année suivante membre du comité régional, comme responsable de la commission des cadres de la jeunesse (confondant avec les mandats exercés après la Libération, Charlotte Delbo, écrit qu’il est élu maire de Noisy-le-Sec en 1936).
Une militante syndicale et de l’UJFF
En 1936, Jacqueline Quatremaire est sténodactylo au Syndicat des produits pharmaceutiques, à la Bourse du travail à Paris. Elle y travaille jusqu’à la dissolution des syndicats, en 1939.
À partir de 1937, elle a aussi une activité politique : elle dirige le foyer de l’Union des jeunes filles de France à Noisy-le-Sec.
Mobilisé le 27 août 1939 comme sergent, démobilisé le 19 août 1940 dans le Lot-et-Garonne, son père revient à Noisy. Mais, trop connu, il lui est difficile de reprendre son activité militante clandestine. Le 24 juin 1941, quand la police vient l’arrêter, il se cache et, avec sa femme Germaine, se met au service du PC. À partir de février 1942, il est permanent clandestin. On lui demande de reconstituer la section touchée par la dissidence de Gitton et de faire des liaisons entre la zone occupée et la zone libre.
Le 20 avril 1942, il est arrêté à Vierzon (Cher), près de la ligne de démarcation, puis interné au camp de Saint-Sulpice-la Pointe. Il s’en évade le 11 juillet 1943 et revient à Paris le 17. Ensuite, il participe à la Résistance en zone nord notamment comme « responsable des camps (aide aux évasions) »…
La Résistance
Restée seule à Paris, Jacqueline s’engage au Front national [2] et entre en clandestinité.
Vivre dans la clandestinité, pour des jeunes filles de vingt ans, c’est se trouver seules dans un petit logement à peine meublé, passer leurs soirées dans une solitude totale, ne voyant personne, ne parlant à personne, n’ayant pour tout échange que des conversations de travail avec ceux qu’elles rencontrent pour quelques minutes, le temps de se passer les papiers, les consignes.
C’est vivre avec peu d’argent, être mal ravitaillés… les heures d’attente angoissée, les rendez-vous auxquels le camarade ne vient pas : a-t-il été arrêté ?
Sous la fausse identité de Michèle Dambreville, Jacquy assure la transmission des textes et des plaques de tirage dans le groupe d’Arthur Tintelin (appareil technique de la propagande du PC clandestin en région parisienne, « les imprimeurs »).
L’arrestation
Le 17 juin 1942, Jacqueline est arrêtée dans le 15e arrondissement par les inspecteurs des brigades spéciales qui la suivent depuis trois mois : toujours habillée de couleurs voyantes, elle semblait tout défier, mais, très myope, elle ne s’est pas rendue compte qu’elle était filée (Arthur Tintelin lui-même avait été repéré début mars 1942). Madeleine Dechavassine a été arrêtée en même temps qu’elle.
- Photomaton probablement saisi
à l’occasion d’une perquisition.
© Archives de la Préfecture de Police (APP), Paris.
- Photo anthropométrique sans ses lunettes,
prise 15 juillet 1942 au service de l’identité judiciaire.
© Archives de la Préfecture de Police (APP), Paris.
Après les bureaux de la préfecture de police, Jacqueline Quatremaire est conduite au dépôt de la Conciergerie, sous le Palais de Justice, île de la Cité.
Le 10 août 1942, elle fait partie d’un groupe de détenues – dont dix-neuf seront déportées avec elle – transférées au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas [1] (Seine-Saint-Denis – 93), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122, gardé par la Wehrmacht.
- L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).
Jacqueline Quatremaire y est enregistrée sous le matricule n° 626.
Le 22 janvier 1943, elle fait partie des cent premières femmes otages qui sont transférées en camion au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »).
Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites en camion à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille.
Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies. Le mot de Jacquy est parvenu à ses destinataires :
« Dans 1 heure nous partons presque certainement pour l’Allemagne. Ne vous inquiétez pas le moral est excellent. Nous reviendrons bientôt. Ne vous inquiétez donc pas si vous n’avez pas de nouvelles pendant un moment. Tenez-vous en rapport avec les parents de Biche.
Maman, Papa, Gd-père chéris au revoir.
Ayez du courage. Mes chers amis je vous embrasse tous, tous. Et vous trois croyez à mon amour profond et recevez mes gros baisers. Jacquy
Petite Mère prend soin de ma poupée, je voudrais la trouver belle à mon retour. »
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL [3] Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.
Le lendemain matin, après avoir été extraites de wagons et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
- Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises
et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.
Jacqueline Quatremaire y est enregistrée sous le matricule 31641. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois-quart, de face et de profil.
- Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive).
- Les châlits du Block n° 26. La partie inférieure, au ras du sol,
est aussi une “couchette” où doivent s’entasser huit détenues.
Les plus jeunes montent à l’étage supérieur, où il est possible
de s’assoir. Photo Mémoire Vive.
Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.
Le 24 février, Jacqueline Quatremaire est affectée comme infirmière au Revier [4] de Birkenau.
Mais elle y contracte une tuberculose pulmonaire : « Un énorme abcès, sous l’omoplate gauche, semblait ronger sa maigreur. Mourante, elle était couverte, absolument couverte, de poux », rapporte Betty (Madeleine Jégouzo alias Lucienne Langlois).
Un bulletin de décès établi par la mairie de Noisy-le-Sec en date du 24 mai 1948, donne pour date de sa mort le 15 juin 1943, ce qui, d’après les témoignages, semble exact.
Ses parents n’apprennent sa mort qu’au retour des rescapées.
Son père, Henri Quatremaire, est élu maire de Noisy-le-Sec le 16 octobre 1944, réélu le 13 mai 1945. Après avoir été battu en 1947, il reprend son écharpe le 15 mars 1959 et le 14 mars 1965. De la Libération à 1959, il est également élu Conseiller général du canton.
À une date restant à préciser, une plaque est apposée à Noisy-le-Sec sur l’immeuble où Jacqueline Quatremaire a vécu.
En 1950, sa poupée, un porte-serviette confectionné au fort de Romainville et son dernier message sont offerts par ses parents à Maurice Thorez, secrétaire général du Parti communiste, pour ses cinquante ans.
Ses parents font également éditer une carte poste dédiée à sa mémoire.
- Dédicace au verso (non datée) :
« En souvenir de notre fille chérie assassinée par les nazis au camp d’Auschwitz en 1943 à 23 ans. Elle aimait la vie, mais pour que “Vive la France” elle a donné ses 20 ans.
Les parents de Jacqueline Quatremaire.
Henri et Germaine Quatremaire. »
Collection Mémoire Vive.
Jacqueline Quatremaire est titulaire de la Médaille militaire, de la Croix de guerre avec palme et de la Médaille de la Résistance, attribuées à titre posthume en 1960 avec la mention : « Quatremaire Jacqueline, sergent. Magnifique patriote, membre de la résistance intérieure française. Arrêtée pour faits de résistance le 17 juin 1942, a été internée jusqu’au 21 janvier 1943. Déportée le 23 janvier 1943 dans un camp de concentration, est morte glorieusement pour la France le 15 juin 1943. »
Henri Quatremaire, son père, décède le 1er juillet 1982 à Noisy-le-Sec.
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), page 242.
Archives communales d’Ivry-sur-Seine, fonds Thorez-Vermeersch, cadeaux offerts à Maurice Thorez en 1950 pour son cinquantième anniversaire.
Marion Queny, Un cas d’exception : (…) le convoi du 24 janvier, mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Lille 3-Charles de Gaulle, juin 2004, notamment une liste réalisée à partir du registre de Romainville (copie transmise par Thomas Fontaine), pp. 197-204, et p. 114.
Claude Pennetier, notice d’Henri Quatremaire sur le site du Maitron en ligne, dictionnaire biographique de mouvement ouvrier.
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 28-10-2013)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
[1] Noisy-le-Sec : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN” et toujours existante).
[3] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.
[4] Revier , selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus, ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”.