- Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.
Jean, Antoine, Cazorla naît le 8 novembre 1912 à Maalifs, près de Saïda, région d’Oran (Algérie), fils d’Indalecio Cazorla (décédé avant 1939) et de Maria Ruiz, son épouse. En plus du français, Jean Cazorla parle espagnol et arabe.
De 1923 à 1926, il effectue trois années d’apprentissage à Oran.
Plus tard, il se déclarera comme ouvrier peintre et également avoir développé une certaine activité dans les Jeunesses communistes en 1930.
En 1931, il devance l’appel et effectue 18 mois de service militaire au 2e régiment de hussards à Tarbes (Hautes-Pyrénées). Ayant accédé au rang de caporal-chef, il est sergent dans la réserve.
À Oran, Jean Cazorla est embauché par la maison Guillermina construction (4000 employés). Il adhère à la CGTU. En 1933, il est secrétaire du syndicat CGT des ouvriers peintres. En 1934, il participe à un mouvement revendicatif et reste au chômage pendant cinq mois. En 1935, à Oran, il adhère à la FST (?). Il est arrêté à plusieurs reprises pour propagande révolutionnaire, restant détenu quelques jours sans comparaître devant un tribunal. Pendant un temps, il est représentant de commerce en teintures.
Le 30 mai 1936, à Aubervilliers [1] (Seine-Saint-Denis – 93), il se marie avec Célestine Cafferini, née le 23 septembre 1909 dans cette commune. Ils auront un fils. À partir du mois d’août de cette année, ils habitent au 16, rue des Postes.
Jean Cazorla est alors employé par la maison Maggi Kub, quai de la Loire à Paris 9e. Syndiqué à la CGT réunifiée, il est délégué de fabrique de juin 1936 jusqu’au 3 octobre suivant. Il habite alors au 16, rue des Postes à Aubervilliers.
Pendant la guerre civile Espagnole, il s’engage dans les Brigades internationales, comme sympathisant du PCF, pour défendre la République contre la rébellion du général Franco soutenue militairement par Hitler et Mussolini. Après s’être adressé rue Mathurin-Moreau à Paris, il arrive en Espagne le 10 octobre 1936, ayant franchit la frontière illégalement. Il est affecté au deuxième bataillon, Commune de Paris, dans la 11e brigade. Le 23 novembre 1936, au cours de la bataille de Madrid, il est nommé lieutenant. Il participe également aux batailles du Jarama (fév.-mars 1937), de Guadalajara (mars à août 1937) et de Guadarama.
Le 13 juillet, il est nommé sous-directeur de l’intendance de la 11e brigade.
Le 14 mars 1938 à Albacete, Jean Cazorla remplit, en espagnol, une biographie de militant (65 questions) à en-tête du Parti communiste d’Espagne, dans laquelle il déclare pouvoir s’appuyer sur les témoignages du major Dupré (probablement l’espion Henri Dupré), du lieutenant Diancof, du sergent Mario Agazzi, du commissaire Marcel Prunier, du capitaine Trable (?), et de Marc Sauvau (?), commissaire de guerre du 13e bataillon de la 14e brigade. Le 7 mai, il répond de nouveau au même questionnaire. Le 15 mai, le Parti communiste espagnol, qui envisage de le faire adhérer, demande au PCF d’effectuer une enquête politique à son sujet.
Une puissante offensive des troupes “nationalistes”, lancée le 9 mars et reprise le 21 mars, et traversant l’Aragon en direction de la Méditerranée contraint à évacuer la base des brigades d’Albacete pour l’établir à Olot, puis à Barcelone.
Le 21 septembre 1938, le gouvernement républicain de Juan Negrín se soumet à la décision de la Société des Nations et dissout les Brigades internationales. Deux jours plus tard, les brigadistes livrent leur dernier combat. Ils sont ensuite progressivement regroupés : le 27 octobre 1938, les volontaires des armées du Centre et du Levant sont rassemblés à Valence, tandis que ceux qui sont engagés en Catalogne sont réunis à Barcelone. Cependant, le nom de Jean Cazorla figure sur une liste de volontaires intitulée « Convoi du 5.10.38 » ; peut-être a-t-il été rapatrié dès cette date.
- Insigne de l’Association
des volontaires pour
l’Espagne républicaine, ayant
appartenu à Christophe Le Meur.
Produit entre la mi-1938 et la mi-1939.
Coll. André Le Breton.
Le 2 septembre 1939, il est mobilisé et peut-être affecté à Mascara, en Algérie. Son épouse travaillerait alors comme soudeuse dans une usine de la région parisienne. En mai 1940, il est signalé au service des affaires de la Sûreté générale comme « propagandiste communiste ».
Au moment de son arrestation, Jean Cazorla est domicilié, au 33, rue Solférino à Aubervilliers, anciennement passage Solférino dans la cité Demars, secteur de la “petite Prusse », quartier des Quatre Chemins. Il héberge (ou est hébergé par) sa mère (déclarée marchande foraine en 1946).
Le 24 décembre 1941, peu après 6 heures du matin, dans le cadre d’une vague d’arrestations organisées par la police française contre 33 anciens membres des brigades internationales (dont Voltaire Cossart, Maurice Fontès…), Jean Cazorla est arrêté à son domicile par des agents du commissariat d’Aubervilliers pour « activités politiques » (infraction au décret du 18 novembre 1939) et interné administrativement à la caserne désaffectée des Tourelles, boulevard Mortier, Paris 20e, “centre surveillé” dépendant de la préfecture de police de Paris.
- La caserne des Tourelles, vers la Porte des Lilas,
entre l’avenue Gambetta, à gauche, et le boulevard Mortier.
Carte postale d’après guerre.
Le 5 mai 1942, Jean Cazorla fait partie des 24 internés des Tourelles, pour moitié anciens Brigadistes, que vient chercher une escorte de Feldgendarmes afin de les conduire à la gare du Nord, où ils rejoignent 13 communistes extraits du dépôt et 14 « internés administratifs de la police judiciaire ». Un train amène tous les détenus au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, Jean Cazorla est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet, Jean Cazorla est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45345 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée et identifiée [2]).
Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20.
Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.
Le 13 juillet – après les cinq premiers jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Jean Cazorla est dans la moitié du convoi qui est ramenée à Auschwitz-I après l’appel du soir.
- Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ».
« Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »
Carte postale. Collection mémoire Vive.
Jean Cazorla meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942, d’après les registres du camp [3] : il est tué pour avoir voulu défendre un homme fatigué que frappait un kapo, selon le témoignage de Henri Gorgue au procès de Rudolf Hoess, commandant du camp d’Auschwitz.
Le nom de Jean Cazorla est inscrit sur le Monument aux morts d’Aubervilliers, situé dans le cimetière communal, 52 bis rue Charles Tillon (ex rue du Pont blanc), dédié “À ceux qui sont morts pour que vive la France, « Les morts sont des vivants présents dans nos combats ».
Il est déclaré “Mort pour la France” (23-02-1948). La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 15-11-1987).
Au début des années 1950, sa veuve, alors confectionneuse, est arrêtée à deux reprises pour sa participation à des manifestations organisées par le PCF.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 196, 354, 384 et 398.
Cl. Cardon-Hamet, notice in 60e anniversaire du départ du convoi des 45000, brochure répertoriant les “45000” de Seine-Saint-Denis, éditée par la Ville de Montreuil et le Musée d’Histoire vivante, 2002, page 10.
Dossiers des brigades internationales dans les archives du Komintern, fonds du Centre russe pour la conservation des archives en histoire politique et sociale (RGASPI), Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC), campus de l’Université de Paris X-Nanterre, microfilms acquis par la BDIC et l’AVER-ACER, bobines cotes Mfm 880/9 (545.6.114), 880/48 (545.2.290).
Musée de la Résistance nationale (MRN) Champigny-sur-Marne (94), carton “Association nationale des familles de fusillés et massacrés”, fichier des victimes.
Archives communales d’Aubervilliers : recensement de population de 1946, acte de décès.
Aubermensuel, bulletin municipal d’Aubervilliers, articles de Brigitte Thévenot, novembre 1990, pages 48-49, et de Catherine Kernoa, septembre 1995, p. 28-29.
Archives de la préfecture de police (de la Seine), site du Pré-Saint-Gervais ; cartons “Occupation allemande”, internés dans différents camps… (BA 1837), « Journalier des détenus administratifs de la caserne des Tourelles » ; cartons “Parti communiste” (BA 2447), chemise « 1941, perquisitions particuliers » ; dossier individuel des RG (77w1512), n° 30571).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 159 (31812/1942).
Site Mémorial GenWeb, 93-Aubervilliers, relevé d’Alain Claudeville (2000-2002).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 8-07-2015)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.
[1] Aubervilliers : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] Sa photographie d’immatriculation à Auschwitz a été reconnue par des rescapés lors de la séance d’identification organisée à l’Amicale d’Auschwitz le 10 avril 1948 (bulletin “Après Auschwitz”, n°21 de mai-juin 1948).
[3] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ.
Concernant Jean Cazorla, c’est le 5 août 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.