Jean, François, Henri, Creignou naît le 13 juillet 1908 à Grosley-sur-Risle (Eure – 27), fils de François Creignou, 25 ans, marchand de quatre saisons puis ouvrier briquetier, et d’Angèle Collandière, son épouse, 23 ans, demeurant au hameau de la Rivière ou du Moulin de l’Orme, chez Aimé Delaporte « beau-père de la mère de l’enfant ». Jean aura deux frères : Louis, François, né le 8 décembre 1909 à Grosley, et Valère, né le 13 juin 1912 à Bernay (27). Lors du recensement de 1911, Jean vit toujours avec sa famille de Grosley, alors que ses parents et son frère sont domiciliés rue Lobrot, à Bernay.
Le 12 août 1914, au début de la Première guerre mondiale, son père – de la classe 1901 et du bureau de recrutement de Bernay – est rappelé et mobilisé comme soldat de 2e classe au 24e régiment d’infanterie. Le 23 décembre suivant, il est porté disparu, « tué à l’ennemi », à Loivre (Marne), situé sur le canal de l’Aisne à la Marne, à l’Est du massif de Saint-Thierry. Leur père étant « Mort pour la France », Jean Creignou et ses frères sont « adoptés par la Nation » (pupilles) le 3 octobre 1919, par jugement du tribunal civil de Rouen.
Le 4 mai 1931, à Rouen (Seine-Inférieure / Seine-Maritime [1] – 76), Jean Creignou se marie avec Christiane Chavoutier, née le 5 mars 1908 à Mont-Saint-Aignan (76). Ils auront un fils, Christian, né le 18 août 1935 à Rouen, mais leur mariage sera dissous par un jugement de divorce rendu le 21 février 1940.
Au début des années 1930, alors qu’il est ouvrier du bois, Jean Creignou milite comme syndicaliste à la Fédération CGTU du Bois de Seine-Inférieure.
Plus tard, il est employé par la Compagnie du Gaz dans le quartier Saint-Sever, à Rouen. Il devient secrétaire du syndicat du Gaz de Rouen et des environs. Après la fusion syndicale 1936, il est désigné comme secrétaire de l’Union locale CGT de Rouen.
Également membre du Parti communiste, Jean Creignou est candidat du PC aux élections au conseil d’arrondissement dans le 4e canton de Rouen et aux cantonales de 1937. Il est possible qu’il habite alors au 16 ou au 21, rue des Tilleuls, à Rouen.
À Rouen, Jean Creignou dirige le Groupe d’Études du cinéma soviétique, qui projette des films auxquels l’adhésion aux Amis de l’Union soviétique donne accès.
Son frère Valère, ayant adhéré aux Jeunesses communistes en 1927, devient secrétaire fédéral du Parti communiste de Seine-Inférieure, prenant la parole dans les assemblées, congrès et meetings sous le pseudonyme de « Jacques Lepetit ».
Le 31 août 1939, « Creignou sous le pseudonyme de J. Le Petit » est empêché de prendre la parole au nom du PCF à Amfreville-la-Mivoie, le maire ayant pris un arrêté d’interdiction de cette réunion, transmis au “chef de cellule”.
Au cours de la drôle de guerre, Jean Creignou est affecté au camp disciplinaire de Bellevue à Meuvaines (Calvados), ouvert par l’autorité militaire début mars 1940 et où sont internés quarante-cinq militants syndicaux et politiques, dont André Pican. Jean Creignou s’en évade au moment de la capitulation (circonstances à préciser…).
Le 7 octobre 1940, son frère Louis, dit « Duval », domicilié sous l’occupation au 16, rue du Carrefour, à Rouen, chez sa belle-mère, est arrêté par les autorités françaises ; au cours de la perquisition sont trouvés des exemplaires de L’Humanité et des tracts. Le 25 ou 26 novembre suivant, le tribunal correctionnel de Rouen le condamnera à un an d’emprisonnement, en même temps que Charles Godot et Eugène Prout.
Le 9 octobre 1940, à Lormont (Gironde), Jean Creignou se marie en secondes noces avec Christiane Taillis, née le 9 avril 1922 à Mont-Saint-Aignan, sténo dactylographe, qui avait été évacuée dans la région de Bordeaux ; ils sont alors domiciliés au lieu-dit Lissandre. Ils ont une fille, Françoise, née le 14 août précédent.
Revenu dans le secteur de Rouen, Jean Creignou est actif dans la clandestinité au sein d’un groupe auquel participe Marcel Denis, de Belbeuf (76).
Le 21 décembre 1940, il est arrêté pour « propagande politique extrémiste ». Cinq jours plus tard, le 26 décembre, le tribunal correctionnel de Rouen le condamne à huit mois de prison et 200 francs d’amende. Mais la Cour d’Appel le relaxe le 3 avril 1941.
Au moment de son arrestation, Jean Creignou habite au 116, rue des Charrettes, à Rouen.
Le 23 juin 1941, il est arrêté à son domicile par la Feldgendarmerie et conduit en détention au Palais de Justice de Rouen (comme Louis Briand et Hilaire Castelli) ; les gendarmes allemands s’étaient d’abord rendus chez sa belle-mère, Madame Taillis, domiciliée au 4, rue Herbière.
Le 27 juillet, il est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne [2] (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager), où il est enregistré sous le matricule 1398.
Le 9 octobre, libéré de la Maison d’arrêt de Rouen, son frère Louis est remis aux autorités allemandes et transféré à Royallieu ; il sera ensuite conduit à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce à Paris pour des soins oculaires.
Le 22 octobre, lors d’une vague d’arrestations, sa belle-sœur Fernande, épouse de son frère Valère, est arrêtée à Amfreville-la-Mivoie, où elle habite. Internée ensuite au camp allemand du fort de Romainville, sur la commune des Lilas (Hauts-de-Seine), elle en sera libérée le 1er avril 1942.
Le 29 octobre, la Feldkommandantur 517 de Rouen écrit au chef du district militaire A à Saint-Germain-en-Laye, en réponse à son décret du 14 octobre et à celui du 28 septembre émis par le Militärbefehlshaber in Frankreich, pour lui transmettre deux listes d’otages pouvant être fusillés : des communistes internés à Compiègne et des gaullistes détenus à la « prison du Gross-Paris » (probablement celle du Cherche-Midi). Parmi les vingt-neuf otages désignés figurent huit futurs “45000”, dont Jean Creignou.
Le 9 février 1942, la Feldkommandantur 517 écrit de nouveau au chef du district militaire A pour lui proposer une liste renouvelée d’otages « communistes et Juifs » de Rouen à fusiller en représailles d’attentats récents à Elbeuf et à Rouen, au cas où leurs auteurs ne seraient pas arrêtés avant le 14 février suivant. Treize futurs “45000” y sont alors inscrits, dont Jean Creignou.
Le 22 février, son épouse écrit à Fernand de Brinon, ambassadeur de France, délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés, pour solliciter sa libération. La police rend un avis défavorable.
Entre fin avril et fin juin 1942, Jean Creignou est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. Dans une lettre lancée du train, Jean Creignou détaille l’itinéraire suivi et date : « Bar-le-Duc, 15 heures ».
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Jean Creignou est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46229 (aucune photo de détenu de ce convoi n’a été retrouvée après le matricule 46172).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Jean Creignou se déclare comme menuisier (Tischler). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.
Le 13 juillet, après l’appel du soir – l’ensemble des “45000” ayant passé cinq jours à Birkenau – Jean Creignou est dans la moitié des membres du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.
En 1945, Valère Creignou lui-même est exclu du parti communiste, sans avoir eu la possibilité de s’expliquer, en raison de ses sympathies pour Georges Déziré, résistant exécuté comme “traitre” par l’appareil clandestin du PC puis réhabilité par la suite.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès de Jean Creignou (J.O. du 29-01-1988).
Notes :
[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.
[2] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller. À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp “C” est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transférés au camp de Drancy (Seine / Seine-Saint-Denis).
[3] L’hôpital d’Auschwitz : en allemand Krakenbau (KB) ou Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus. Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”. Mais les “31000” et Charlotte Delbo – qui ont connu l’hôpital de Birkenau – ont utilisé le terme “Revier” : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. », Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24.
[4] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 377 et 400.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Haute-Normandie réalisée en 2000 à Rouen, citant : Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), Paris ; liste d’otages – Renseignements donnés par son frère, Valère, lui-même interné à Compiègne (correspondance de 1983) – Témoignages de Auguste Monjauvis (45887), de Robert Gaillard (45565) et de Louis Jouvin (45697).
Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français, dirigé par Jean Maitron : tome 23, p. 328, et site Le Maitron en ligne : notices de Jean Creignou et de Valère Creignou.
Gilles Pichavant, Les années « nuit et courage », la CGT dans la Résistance en Seine-Maritime, sur le site Le Fil Rouge, revue départementale de l’Institut CGT d’Histoire Sociale de Seine-Maritime.
Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen.
Archives départementales de l’Eure (AD 27), site du conseil général, archives en ligne : registre d’état-civil de Grosley-sur-Risle 1903-1910 (E 5720), année 1908, acte n° 9 (vues 93-94-130).
Ministère de la Défense, site internet Mémoires des hommes, archives en ligne : base des Morts pour la France de la Première Guerre mondiale, François Marie Creignou.
Arnaud Boulligny, chercheur à la Fondation pour la Mémoire de la Déportation : extrait de la base du Mémorial de la déportation de répression, message (03-2018).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 187 (36348/1942).
Mémorial GenWeb, site internet : Rouen, Monument commémoratif 1939-1945 (n° 62393), relevé initial effectué par Thierry Prunier, mis en ligne le 15 juin 2012.
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 17-12-2020)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.