- Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Jean, François, Marie, Éven naît le 22 août 1919 à Quéven (Morbihan), fils de Jean Louis Even, 28 ans, cultivateur, et de Jeanne Marie Hellou, 28 ans, son épouse. Son père, incorporé dans les équipages de la Flotte en octobre 1912 – et ayant navigué du 2 août 1914 au 26 novembre 1917 sur le torpilleur Chasseur puis sur le croiseur Marseillaise, jusqu’à devenir quartier maître chauffeur, affecté au 3e dépôt de Lorient – vient d’être envoyé en “congé illimité de démobilisation”.
Fin février 1920, Jean Louis Even habite au 2, rue des Cordeliers à Bressuire (Deux-Sèvres). Le 5 décembre suivant, l’armée le classe “affecté spécial” aux Chemins de fer de l’État comme homme d’équipe à Bressuire.
Le 12 octobre 1925 à Ferrières-en-Bray (Seine-Inférieure / Seine-Maritime – 76), Jean Louis Even épouse en secondes noces Marthe Perré, née le 16 septembre 1904 à Ménonval (76), Marthe Perré, née le 16 septembre 1904 à Ménonval (76), laquelle a déjà un fils, André Perré, né le 14 juillet 1923 à Gournay (76). Jean Louis et Marthe Éven ont ensemble trois autres enfants : René, né le 16 juillet 1926, Yves, né le 7 juillet 1928, tous deux à Ferrières-en-Bray, et Yvette, née le 23 août 1930 à Gisors (Eure – 27).
À la mi-novembre 1928, le père avait emménagé dans cette dernière ville avec sa famille.
Le 15 juillet 1931, l’armée classe Jean Louis Even “affecté spécial” comme wagonnier.
Au moment de son arrestation, Jean Éven est domicilié chez ses parents, rue de Flavacourt à Gisors, près de la gare de marchandises (devenue rue Pierre-Sémard après-guerre ? une cité de cheminots ?). Il est célibataire.
Jean Éven travaille d’abord comme typographe à L’Avenir du Vexin à Gisors.
Avant-guerre, il est secrétaire des Jeunesses communistes de Gisors.
De la classe 1939, Jean Éven est mobilisé au cours de la “drôle de guerre”. N’ayant pas été fait prisonnier, il retourne dans ses foyers. C’est probablement alors qu’il est embauché comme manœuvre à l’usine de la Société Carbone-Lorraine, dite “Carbone” (plus tard, Compagnie Industrielle des Piles Électriques, CIPEL) à Gisors.
Le 23 octobre 1941, des Feldgendarmes encadrant son père viennent en voiture arrêter Jean Even sur son lieu de travail. Une liste d’otages établie mentionne son arrestation pour « activité communiste » et sa détention à la Maison d’arrêt d’Évreux (27), ainsi que celle de Maurice Élet, d’Ézy-sur-Eure (27), et de Roger Gaudeau, du Petit-Andelys (27). Selon la rumeur, des tracts auraient été trouvés au domicile du jeune ouvrier.
À une date restant à préciser, Jean Éven est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) ; il s’y trouve le 31 décembre 1941, inscrit sur la liste des “jeunes communistes” sous le n° 2005.
Son père peut lui rendre une seule visite : le 10 juin 1942.
Entre fin avril et fin juin 1942, Jean Éven fils est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. Deux jours après, une valise contenant ses vêtements et sa carte d’identité parvient à ses parents : c’est la dernière “nouvelle” qu’ils ont de lui avec un carte-formulaire envoyée par l’administration militaire du camp : « Le prisonnier [nommé] ci-dessus a été transféré sur ordre de notre service supérieur dans un camp afin d’y travailler. Sa destination n’est pas encore connue, de sorte que vous devez attendre de nouvelles indications du prisonnier. »
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Jean Even est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45524 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée et identifiée [1]).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Jean Even.
Il meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS, (Sterbebücher), alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à l’intérieur du camp au cours de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés [2]). Sous la signature du médecin SS Kremer est inscrite une cause mensongère : « phlegmon avec faiblesse corporelle » (Phlegmone bei Körperschwäche).
Le 18 novembre 1944, après la Libération du pays, son père écrit à la Croix-Rouge afin d’essayer d’obtenir de ses nouvelles, pensant « qu’il est en Haute-Silésie d’après les nouvelles qui avaient été données par la radio de Londres… »
Le 29 novembre, le service des cas individuels du ministère des Prisonniers, déportés et réfugiés lui répond qu’il ne dispose d’aucune information, n’ayant jusque-là connaissance « que d’un train de déportés qui a quitté Compiègne le 3 mars 1942 en direction du camp d’Orianenburg ».
Le 19 novembre 1946, le service d’état civil français du ministère des Anciens combattants et victimes de guerre, qui possède une copie de l’acte de décès établi par l’administration SS d’Auschwitz, fait apposer la date exacte de sa mort en marge de son acte de naissance, avec la mention “Mort pour la France”.
Le 17 novembre 1952, le ministère attribue à Jean Elet le statut de déporté politique. La carte (n° 1103.03067) est reçue par son père, en qualité d’ascendant. Il s’est alors retiré à Sérifontaine (Oise).
Une plaque de marbre au nom de Jean Even est apposée sur le mur de l’usine où il a travaillé en dernier lieu, puis est installée sur une stèle. Quand l’usine est rasée après avoir fermé, son frère Yves se voit proposer de recueillir la pierre.
- La stèle déposée au cimetière de Sérifontaine, à 8 km de Gisors.
Photo : Serge Moisy.
En 1989, le Conseil municipal de Gisors donne le nom de Jean Even à une rue de la commune desservant un nouveau lotissement ; elle est inaugurée le 29 mai.
- Photo : Serge Moisy.
Son nom est également inscrit sur le monument aux morts, place de la Mairie.
- Deuxième parmi les déportés… Photo : Serge Moisy.
Dans les années 1990, une cousine qui a des parents en Pologne obtient une copie de son acte de décès au camp en se rendant au Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 8-08-1989).
Notes :
[1] Sa photographie d’immatriculation à Auschwitz a été reconnue (“identification incertaine”) par des rescapés lors de la séance d’identification organisée à l’Amicale d’Auschwitz le 10 avril 1948 (bulletin Après Auschwitz, n°21 de mai-juin 1948).
[2] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 150 et 153, 363 et 403.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Basse-Normandie (2000), citant : listes des archives du Musée d’Auschwitz (V, n° 31910, S, n°104, I et M).
Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste d’otage XLIII-72, doc. IV-198.
Témoignage de son frère Yves et de son épouse (05-2007).
Site réalisé par les élèves de 3e D du collège Pablo Picasso de Gisors, année scolaire 2000/2001 : http://resistances.en.vexin.free.fr… (page 47)
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 271 (31910/1942).
Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen : dossier de Jean Even (21 P 448 108), recherches de Ginette Petiot (message 11-2012).
Erick Pichot et Gérard Garçon, Les rues de Gisors et leurs secrets, page 48 (message de Gérard Garçon, 12-2013).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 5-2-2021)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.