Jean Hernando naît le 27 janvier 1921 à Thourotte, à 10 km au nord de Compiègne (Oise), dans une famille d’ouvriers espagnols venus travailler en France sur les grand chantiers ; il est le fils de Louis Hernando, 32 ans (né le 4 septembre 1888 à Fresno de Cautespino), maçon puis cimentier, et de Herménéjilda des Castello, 27 ans, son épouse (les témoins pour l’inscription du nouveau-né à l’état civil sont deux autres maçons espagnols). Jean Hernando a une sœur ainée, Maria-Louisa (dite “Carmen” ?), née le 23 juin 1916 en Espagne et naturalisée française en même temps que ses parents ; un frère plus âgé, Louis, né le 8 juillet 1919 à Nantes (Loire-Atlantique), une autre sœur, Émilia, née à Thourotte le 18 septembre 1922, et un frère plus jeune Edmond, né le 29 novembre 1924 à Noyelles-sous-Lens (Pas-de-Calais).
De 1935 à 1945, le père de famille est domicilié au 11, impasse des Vauloyers à Vitry-sur-Seine [1] (Seine / Val-de-Marne – 94), à la limite de la commune, près du fort d’Ivry.
Célibataire, Jean Hernando est d’abord manœuvre dans le bâtiment, puis polisseur sur métaux à Vitry.
Lors de la guerre d’Espagne, son frère Louis – 17 ans ! – part combattre pour défendre la République espagnole contre la rébellion du général Franco soutenue militairement par Hitler et Mussolini ; son nom figure sur une liste de volontaires français rapatriés le 19 novembre 1938.
Au moment de son arrestation, Jean Hernando est domicilié « dans un passage à hauteur du » 40, rue du Fort, « deuxième maison à droite », peut-être chez son frère Louis, manœuvre, ou chez sa sœur Marie, devenue épouse Beunon, alors ouvrière sur machine.
Sous l’occupation, Jean Hernando est actif au sein des Jeunesses communistes clandestines.
Le 1er mai 1941, il est interpellé par des agents du commissariat de la circonscription d’Ivry-sur-Seine, comme Julien Massé, pour « propagande, tracts » à la suite de l’arrestation de Maurice Coulin fils (17 ans) et de deux camarades pris la nuit précédente en train de peindre des « inscriptions sur les murs des immeubles de la localité » (un registre du camp de Voves évoque un « flagrant délit de collage de papillons »). Son frère Louis aurait du être arrêté en même temps, mais leur sœur Marie est allée le prévenir de ne pas rentrer car la police était chez eux.
Le 3 mai, inculpé d’infraction au décret-loi du 26 septembre 1939, Jean Hernando est écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e). Le 23 janvier 1942, la Section spéciale de la Cour d’appel de Paris, où il comparaît avec dix camarades, le condamne à treize mois de prison et cent francs d’amende. Son frère cadet, Edmond, arrêté le même jour « pour détention de tracts dans sa chambre », est relaxé.
Jean Hernando est détenu pendant un temps à la Santé. Avec Julien Massé, il passe rapidement à l’établissement pénitentiaire de Fresnes (94) pour sa libération le 26 février 1942. Mais il est « consigné PP pour AA », c’est-à-dire interné au dépôt de la préfecture de police (Conciergerie, sous-sol du Palais de Justice, île de la Cité), à disposition des autorités allemandes.
Le 26 mars 1942, le préfet de police de Paris signe l’arrêté ordonnant son internement administratif, en même temps que celui de Julien Massé. Pendant un temps, les deux jeunes gens restent détenus au Dépôt.
Le 16 avril, ils sont transférés au “centre de séjour surveillé” de Voves (Eure-et-Loir) ; Jean Hernando y est enregistré sous le matricule 54.
Le 10 mai, ils font partie des 81 internés remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, Jean Hernando est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet, Jean Hernando est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45659 (retrouvée, sa photo d’immatriculation a été reconnue par José Martin et Ginette Germa).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Jean Hernando se déclare alors comme non-croyant (« glaubenslos »). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage actuellement connu ne permet de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Jean Hernando.Il meurt à Auschwitz le 5 décembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [2]. Il a 21 ans.
(aucun des treize “45000” de Vitry n’est revenu).
Le 26 janvier 1943, la police effectue encore une perquisition à son domicile, découvrant « trois livres des E.S.I. et du Carrefour, L’Espagne ensanglantée, Diderot (…), ainsi qu’une photo de manifestation où se trouve le ménage Beunon-Hernando… ».
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 16-07-1994).
Son nom est inscrit sur le monument « À la mémoire de Vitriotes et des Vitriots exterminés dans les camps nazis » situé place des Martyrs de la Déportation à Vitry.
Notes :
[1] Vitry-sur-Seine : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ.
Concernant Jean Hernando, c’est « le 11 juillet 1942 à Auschwitz (Pologne) et non le 6 juillet 1942 à Compiègne(Oise) » qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.
Sources :
Informations collectées par José Martin (frère d’Angel Martin) pour Roger Arnould (FNDIRP), 1973.
1939-1945, La Résistance à Vitry, Ville de Vitry-sur-Seine, 1992, page 19.
Message de Delphine Lemoine, petit-fille de Jean Hernando (03-2007).
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 390 et 407.
Archives municipales de Thourotte ; acte de naissance du 27 janvier 1921 (n° 5), message de Laurent Fournier (03-2018).
Archives communales de Vitry-sur-Seine ; listes électorales 1935, 1936, 1937, 1945.
Concernant Louis Hernando : Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC), campus de l’Université de Paris X-Nanterre, microfilms du Centre russe pour la conservation des archives en histoire politique et sociale (RGASPI), acquisition BDIC/AVER-ACER, bobines Mfm 880/48 (545.2.290).
Comité du souvenir du camp de Voves, liste établie à partir des registres du camp conservés aux Archives départementales d’Eure-et-Loir.
Archives départementales du Val-de-Marne, Créteil ; Maison d’arrêt de Fresnes, détenus libérés du 21 au 31 janvier 1942 (511w 30).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 443 (43110/1942).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 25-01-2024)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.