Jean, Alfred, Désiré, Mahon naît le 9 mai 1905 à Bar-sur-Aube (Aube – 10), de Raoul Mahon, 25 ans, maréchal-ferrant, et de son épouse Blanche Blavoyer, 26 ans, ouvrière en robes, domiciliés au 2, rue Gambetta. Le 8 octobre 1908, naît Marthe Marie Joséphine, sœur cadette de Jean.
Mobilisé dans l’artillerie en août 1914, leur père est détaché le 26 juillet 1917 (sans doute comme “affecté spécial” dans sa profession) à la Maison Thuillier-Lefrant à Nogent-en-Bassigny (Haute-Marne), entreprise de taillanderie, coutellerie et cisèlerie, spécialisée dans la fabrication de sécateurs et de cisailles. Il décède de maladie dans cette commune le 4 novembre 1918 . Il est déclaré « mort pour la France ».
Le 7 juillet 1919, les enfants Jean et Marthe sont adoptés en qualité de pupilles de la Nation en vertu d’un jugement du Tribunal civil de Dijon (Côte-d’Or – 21).Dès qu’il le peut, il travaille pour aider sa mère, laquelle a également sa jeune sœur à charge.
Le 27 octobre 1919, âgé de 14 ans, il entre comme ajusteur à la compagnie de chemin de fer Paris-Lyon-Méditerranée (PLM) qui fusionnera avec d’autres au sein de la SNCF début 1938 [1]. Il est affecté comme apprenti au dépôt de Dijon-Perrigny (21).
Au printemps 1921, la petite famille habite rue Berthelot à Longvic, commune limitrophe au sud-est de Dijon.
Le 5 février 1927, à Dijon, Jean Mahon se marie avec Henriette Marie Louise Belin, née le 25 septembre 1905 dans cette ville, employée de bureau.
Début 1931, ils habitent au 5 rue de l’Espérance à Dijon.
Le 27 février 1931, leur fils, Pierre Raoul François, naît à leur domicile.
Il est alors sous-chef de brigade d’ouvriers au dépôt SNCF de Dijon-Perrigny.Militant communiste, il est membre de la cellule communiste du dépôt et également membre du bureau régional du PCF (Côte-d’Or et Yonne), aux côtés de Jean Bouscand (45292). Il publie de nombreux articles dans « Le Travailleur ».À l’automne 1939, plusieurs cadres communistes de la région dijonnaise étant mobilisés, un bureau est formé avec les cheminots (qui restent en poste), dont Jean Bouscand et Jean Mahon.
Le 11 décembre 1940, les premiers groupes de l’O.S. [2] dirigés par Jean Mahon, Chalon et Grillot, font dérailler un train de marchandise entre le poste 2 de Perrigny et le poste 2 de Longvic, détruisant quatre citernes de vin destiné aux Allemands et coupant la voie pendant 14 heures. Dans « Les bataillons de la jeunesse, les jeunes dans la résistance », Albert Ouzoulias mentionne encore deux autres déraillements, les 3 et 13 janvier 1941, puis, « de janvier à juin 1941, ces mêmes groupes (réalisent) des récupérations d’armes et d’explosifs, la remise en état des armes et la fabrication d’engins dans les ateliers du dépôt ».
La police militaire allemande soupçonne Jean Mahon, Jean Bouscand et Gabriel Lejard (45772) de coordonner les opérations de sabotage au dépôt de Perrigny, mais n’en possède pas de preuves.
À la fin juin 1941, tous les responsables communistes Côte-d’Oriens connus sont arrêtés.
Le 22 ou 26 juin, Jean Mahon est arrêté à Dijon par les Autorités allemandes, puis finalement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag122 – Polizeihaftlager).
Le 24 janvier 1942, suite à une requête de son épouse auprès du Préfet de la Côte d’Or, un rapport du service des renseignements généraux (R.G.) indique qu’il est connu comme militant communiste, qu’il était « collecteur, propagandiste pour le parti », que « depuis la dissolution du parti communiste, cet agent n’a fait preuve d’aucune activité politique », mais l’ inspecteur principal de police émet toutefois un « avis très réservé à une intervention en sa faveur », « vu l’ancienne activité politique du sieur Mahon ».
Le 22 mars, Mme Mahon écrit au Maréchal Pétain. Elle lui fait part de ses demandes de libération de son mari auprès des autorités allemandes et françaises et précise qu’elle a demandé un soutien financier pour lequel elle n’a pas obtenu de réponse.
Entre fin avril et fin juin 1942, Jean Mahon est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. Les 14 déportés de la Côte-d’Or ont pu se sont regrouper dans le même wagon.
Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet, Jean Mahon est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45813 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Jean Mahon est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.
Pendant un temps, il est assigné au Block 4, avec Gustave Martin, Charles Mary, Emmanuel Michel etRaymond Monnot.
Le 21 juillet, Jean Mahon est admis à l’hôpital des détenus du camp (Krakenbau, KB).
Le même jour, en France, la lettre que son épouse a adressée au Maréchal Pétain est transmise au Préfet de la Côte-d’Or par Fernand de Brinon [3], Ambassadeur de France, secrétaire général du Gouvernement français dans les territoires occupés.
Le 30 juillet, le Préfet de la Côte-d’Or demande une enquête auprès du service des renseignements généraux.
Le 24 août 1942, Jean Mahon meurt dans le bâtiment de chirurgie (Block 21a) de l’hôpital des détenus, selon plusieurs registres tenus par l’administration SS du camp.
Le 9 octobre, dans sa réponse à M. De Brinon, le Préfet précise que Jean Mahon militait activement avant son arrestation (contrairement à ce qu’indique le rapport des R.G. du 24/01/42), que les Autorités allemandes ne l’ont pas saisi du cas de Jean Mahon en vue d’une éventuelle libération et qu’il juge donc inopportune une intervention en sa faveur, « compte-tenu de ses antécédents politiques ».
Le 22 octobre suivant, dans un courrier à caractère urgent, le Préfet de la Côte- d’Or demande au Commissaire central de Dijon que celui-ci lui fasse connaître si l’intéressé a été libéré et, dans la négative, de lui préciser quelles sont les personnes à charge, leur situation matérielle et son avis sur l’opportunité de leur attribuer une aide financière.
Après guerre, le nom de Jean Mahon est inscrit sur la stèle « À la mémoire de nos camarades de dépôt » située à l’entrée du dépôt SNCF de Dijon-Perrigny, rue Jean-Baptiste Peincédé.
Le 15 janvier 1947, la mention « Mort pour la France » est apposée sur son acte de décès.
Sa sœur Marthe décède à Longvic le 6 novembre 1956, âgée de 48 ans.
Sa veuve, Henriette Mahon, décède à Talant (21) le 25 mai 1972.
Notes :
[1] La SNCF : Société nationale des chemins de fer français. À sa création, suite à une convention validée par le décret-loi du 31 août 1937, c’est une société anonyme d’économie mixte, créée pour une durée de 45 ans, dont l’État possède 51 % du capital.
[2] O.S. : organisation spéciale armée du Parti communiste clandestin créée à partir de septembre 1940, à l’origine pour protéger les militant(e)s prenant la parole en public, les distributeurs de tracts et les colleurs d’affiches, elle est devenue le premier cadre de la résistance armée.
[3] (De) Brinon : ancien journaliste et “ultra” de la collaboration, Fernand (de) Brinon était Délégué général du gouvernement de Vichy auprès des autorités militaires allemandes d’occupation. Quand des requêtes étaient formulées par les familles des détenus auprès de l’administration française, la Délégation générale les transmettait à la Commission d’armistice (bipartite), après enquête de la police ou de la gendarmerie pour s’assurer des conditions d’arrestation et de l’honorabilité du détenu. Une lettre était ensuite adressée aux familles sous couvert de l’organisme qui en avait fait la demande : elle leur annonçait que l’intervention avait eu lieu et leur faisait part de la réponse fournie par les autorités allemandes.
Ainsi, un très grand nombre de fiches de la Délégation générale portent le nom de “45000” ; surtout après le départ du convoi, le 6 juillet 1942, et l’absence de nouvelles résultant de leur statut “NN”.
La plupart de ces fiches se trouvent dans les dossiers d’état civil des déportés conservés au Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (anciennement archives du secrétariat d’État aux Anciens Combattants).
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 11, 363 et 412.
Albert Ouzoulias, Les bataillons de la jeunesse, les jeunes dans la résistance, Editions sociales, Paris 1972, réédition juillet 1990, pages 218 et 219, « De septembre au 15 octobre, avec un effectif de 24 hommes, le groupe O.S. FTPF s’attaque aux locomotives par sablage des boîtes à huile ».
Etat civil de la mairie de Bar-sur-Aube (10).
Les communistes dans la Résistance en Côte-d’Or, édité par le PCF de Côte d’Or, 1996, pages 82 et 111 (« Après la libération – Morts pour la France »).
Fabrice Perron, Les cheminots dans la Résistance en Côte-d’Or pendant la Seconde Guerre mondiale, 1940-1944, mémoire de maîtrise, Dijon, 1991, pages 45 et 58, annexe N° 19 « Le Souvenir ».
Archives départementales de Côte-d’Or, cote 1630 W, articles 244 et 252 « arrestations par les autorités d’occupation en raison de leur passé et activité politique », article 94 : « propagande communiste », et cotes 6J61 à 63 : fiches individuelles des déportés de Côte-d’Or, don de Pierre Gounand, historien.
Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué).
Service d’information sur les anciens détenus, Biuro Informacji o Byłych Więźniach, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne ; page 77 du registre du Block 4.
Base de données des archives historiques SNCF ; service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne (en 1947), de A à Q (0110LM0108).
Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, pages 960-961.
Didier Callabre, site internet Mémorial GenWeb, 2007.
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 23-01-2024)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.