Joseph Llorens naît le 14 septembre 1896 à Cherchell, ville portuaire sur la mer Méditerranée, environ 90 km à l’ouest d’Alger (en Algérie, alors département français), fils de Pierre Llorens, cultivateur, 32 ans, et d’Eulalie, Marie, Antoinette, Mari, son épouse, 25 ans, tous deux d’origine espagnole.
Plus tard, la famille déménage à Birkhadem, dans la proche banlieue sud d’Alger.
Pendant un temps, Joseph Llorens travaille comme ferblantier.
Le 20 septembre 1917, à Alger, il s ’engage volontairement pour quatre ans au 121e régiment d’artillerie lourde (RAL), qu’il rejoint huit jours plus tard. Le 1er mai 1918, il passe à la 51e batterie du 109e RAL, puis, à la fin du mois, au 143e RAL. Le 10 août, il passe au 104e RAL. Le 25 janvier 1919, il passe au 1er groupe de ce régiment. Le 1er juillet suivant, il est nommé brigadier. Le 9 mars 1920, il est nommé maréchal des logis. Le 10 janvier 1921, il est affectée à l’Armée du Levant (dans le secteur de Salonique ?). Le 1er mars, il passe au 274e régiment d’artillerie. Le 29 juillet suivant, il est envoyé en congé de libérable, titulaire d’un certificat de bonne conduite.
Le 4 octobre 1921, à Châteaudun (Eure-et-Loir), Joseph Llorens se marie avec Thérèse Yvonne Hallot, née dans cette ville le 16 août 1897 (24 ans), lingère. À la mi-novembre de cette année, ils habitent au 10 rue Saint-Valérien.
Ils auront trois enfants : Roger, Pierre, né le 20 septembre 1923 à Châteaudun, Odette, Renée, née le 24 mai 1925, et Nicole Raymonde, née le 30 septembre 1933, toutes deux à Orléans.
En avril 1925, ils habitent au 27 bis, quai Neuf (quai de Prague depuis 1940) à Orléans (Loiret), un logement de deux pièces avec cuisine au 1er étage, face à la Loire, sur la rive gauche.
À partir de 1936 et jusqu’au moment de l’arrestation du chef de famille, celle-ci habite un logement de trois pièces avec cuisine au 1er étage, dans une arrière cour privée au 76, rue Saint-Marc à Orléans).
Joseph Llorens est alors ouvrier fumiste chez Terrasse.
Il est adhérent au Parti communiste et peut-être responsable de la section locale du Secours populaire de France et des colonies (ex-Secours rouge international).
Le 5 septembre 1939, il est rappelé à l’activité militaire par le décret de mobilisation générale et est affecté à la section de Caterpillard (?). Le 7 octobre, il est dirigé sur le dépôt d’artillerie n° 25. Mais, dès le 30 octobre, classé “sans affectation”, il est renvoyé dans ses foyers.
Sous l’Occupation, il reste actif en diffusant des tracts.
Le 19 octobre 1941, à 8 heures du matin, il est arrêté à son domicile par la Feldgendarmerie, et conduit à la prison militaire du 14 rue Eugène-Vignat, réquisitionnée par l’armée d’occupation, où sont rassemblés – enfermés en cellule – les nombreux hommes arrêtés ce jour-là et la veille [1], parmi lesquels Louis Breton, Henri Doucet, cheminot de Fleury-les-Aubray, les frères André et Marcel Pinson, Lucien Vannier, d’Orléans, Robert Dubois, Gustave Mesnis (45 ans, employé SNCF qui sera libéré à Compiègne)…
Le vendredi 24 octobre à 8 h 45, Joseph Llorens est parmi les 41 détenus transférés en autocar – via Pithiviers, Fontainebleau, Melun et Crépy-en-Valois – au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Arrivés à 15 h, les internés passent par l’anthropométrie et se voient retirer leurs papiers d’identité.Entre fin avril et fin juin 1942, Joseph Llorens est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Joseph Llorens est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45798 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I). Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Joseph Llorens.
Il meurt à Auschwitz le 17 août 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), qui indique« valvulopathie cardiaque » (Herzklappenfehler) pour cause certainement mensongère de sa mort.
Le 30 juillet 1945, Lucien Vannier, rescapé, signe une attestation par laquelle il déclare avoir connu Joseph Llorens « au camp » où celui-ci serait mort « en 1942 », manque de précision qui semble indiquer qu’il n’a pas été témoin direct de sa mort.
Le 8 juillet 1946, Thérèse Llorens complète et signe un formulaire du ministère des anciens combattants et victimes de la guerre (ACVG) pour demander la régularisation de l’état civil d’un « non-rentré ».
Le 22 octobre suivant, l’officier de l’état civil alors en fonction au ministère des anciens combattants et victimes de guerre (ACVG) dresse l’acte de décès officiel de Joseph Llorens « sur la base des éléments d’information figurant au dossier du de cujus, qui nous a été présenté ce même jour » (probablement le témoignage de Lucien Vannier) et en fixant la date au 15 juin 1942 (le mois de « juillet », précédemment inscrit, étant biffé…). Le même jour, le service central de l’état civil du ministère demande par courrier au maire de Cherchell d’en ajouter mention en marge de |’acte de naissance sur les registres de sa commune et au maire d’Orléans de le transcrire dans le registre des décès.
Le 21 mars 1953, Thérèse Llorens – en qualité de conjointe – complète et signe un formulaire du ministère des ACVG pour demander l’attribution du titre de Déporté politique à son mari à titre posthume. À la rubrique VI, « Renseignements relatifs à l’acte qualifié de résistance à l’ennemi qui a été la cause déterminante de l’exécution de l’internement ou de la déportation », elle inscrit : « Arrêté à cause de ses idées politiques ». Le 29 juillet 1953, le ministère décide de l’attribution de ce titre à Joseph Llorens et envoie la carte de déporté politique n° 1145-0005 à sa veuve.
Notes :
[1] Les arrestations de la deuxième quinzaine d’octobre 1941 : entre le 17 et le 25 octobre, les “autorités d’occupation” organisent des vagues d’arrestations dans plusieurs départements de province de la zone occupée. Les fiches d’otages retrouvées des « 45000 » appréhendés à cette occasion indiquent que leur arrestation a été faite en application de l’ordre du commandant de la région militaire A, daté du 14 octobre 1941, accompagnant l’envoi aux Feldkommandant du “Code des otages”. Les départements concernés n’ayant été que très peu touchés (ou pas du tout) par la vague répressive/préventive de l’été 1941, il est probable que ces nouvelles arrestations aient été ordonnées pour assurer la saisie de communistes destinés à être placés sur les listes d’otages de cette région militaire. Tous les hommes appréhendés sont, en effet, transférés à Compiègne, entre le 19 et le 30 octobre 1941. Dans certains, ces arrestations frappent plusieurs dizaines d’hommes connus de la police française pour avoir été des adhérents ou militants communistes avant-guerre. Sept Orléanais arrêtés dans ces circonstances seront finalement déportés dans le convoi du 6 juillet 1942 : Marcel Boubou, Marcel Couillon, Robert Dubois, Henri Ferchaud, Raymond Gaudry et Lucien Vannier (seul rescapé d’entre eux).
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 365 et 411.
André Chêne, Ceux du groupe Chanzy, Librairie Nouvelle, Orléans 1964 : liste des « Membres des fédérations du Loiret du Parti Communiste Français et des Jeunesses Communistes tombés pour que vive la France », pages 143 à 145.
Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), archives en ligne : registres matricules militaires, moteur de recherche, Algérie.
Archives du Loiret, Centre des archives modernes et contemporaines, cité administrative Coligny, Orléans : Internements administratifs, listes, dossiers individuels et collectifs, correspondance, 1940-1945, liste des internés à Compiègne depuis octobre 1941 (138 W-25856).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 736 (21459/1942).
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Office for information on former prisonniers) : page extraite du registre des décès d’Auschwitz, acte n° 21459/1942.
Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : dossier individuel (21 P 479 352).
Christophe Llorens, son petit-fils (fils de Roger) : message d’information et documents, photos (07-2022).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 11-07-2022)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.