Photo anthropométrique prise le 15 juillet 1942 par le service de l’identité judiciaire. © Archives de la Préfecture de Police (APP), Paris.

Photo anthropométrique prise le 15 juillet 1942
par le service de l’identité judiciaire.
© Archives de la Préfecture de Police (APP), Paris.

Marguerite, Joséphine, Hudelaine naît le 3 avril 1904 à Verdun (Meuse), fille d’Auguste Édouard Hudelaine, 29 ans, employé de chemin de fer, et de Marie-Louise Launette, 19 ans. La famille comptera deux autres enfants.

Rappelé à l’activité militaire par le décret de mobilisation générale, et passé à la 6e section de C.O.A. en février 1915, son père est admis à l’hôpital auxiliaire n° 3 à Montpellier le 2 octobre 1918 pour une plaie ulcéreuse au petit orteil gauche survenue en service commandé. Il finira par subir une « amputation de la cuisse gauche au tiers supérieur, nécessité par de la gangrène sèche suite d’écrasement du 5e orteil en service commandé ». En 1924, il est constaté que « l’appareil de prothèse ne peut être toléré en raison d’une hernie inguinale gauche volumineuse incomplètement irréductible et impossible à maintenir réduite par un bandage. Le blessé marche avec des béquilles. »

Très jeune, Marguerite a été confiée à sa tante maternelle Joséphine Launette, née le 12 février 1881 à Verdun, épouse de Baptiste Michot, tailleur, domiciliés au 132, chemin du Bas-du-Rôle (et/ou rue du Rôle), quartier de Champrosay, à Draveil (Seine-et-Oise / Essonne) ; c’est là qu’elle va à l’école communale jusqu’au certificat d’études.

Elle apprend le métier de papetière.

À une date restant à préciser, Marguerite Hudelaine épouse Georges Jean Louis Tupinier, mais le couple divorcera. Elle a une fille, Monique, née en 1927, qu’elle-même confie à son tour à ses oncle et tante de Draveil.

Le 20 décembre 1930, à la mairie du 11e arrondissement de Paris, Marguerite Hudelaine épouse Eugène, Robert, Houdart, né le 18 janvier 1905 à Paris 1er, imprimeur. Le couple habite déjà au 1, impasse Saint-Sébastien, ouvrant sur la rue Alphonse Baudin, à Paris 11e. Dans un local loué au n° 4 de la même impasse, Robert exploite une petite imprimerie où tous deux réalisent surtout des travaux publicitaires. En 1936, Eugène Houdart adhère au Parti social français du colonel de La Rocque, d’idéologie chrétienne, conservatrice et patriotique, mais il semble qu’il y soit peu actif.

L’Occupation venue, l’imprimerie marche au ralenti ; il n’y a guère besoin de publicité quand tout est rare et trouve aisément acquéreur.

Charlotte Delbo rapporte qu’en janvier 1942, Marguerite Houdart a l’occasion de vendre avantageusement – c’est l’époque du marché noir – un stock de papier dont ils n’ont pas l’emploi. Mise en goût par cette affaire, elle entraîne son mari à en réaliser de semblables, car, en tant qu’imprimeurs, ils ont droit à des attributions de papier.

En mai, Eugène Houdart en achète une grande quantité à la maison Claudel. Dans le lot se trouvent des ramettes de papier de couleurs dont il n’a pas immédiatement l’usage et qu’il envisage de revendre afin d’amortir ses frais. Alors qu’il fait part de ce projet à des amis retrouvés au café Gaxieu, au 32, rue Saint-Sébastien, il y est abordé par un nommé Maurice qui se propose comme acquéreur.

Mais la brigade spéciale n° 1 (anticommuniste) de la préfecture de police a pris en filature certains acheteurs de papier, des communistes qui alimentent les imprimeries clandestines. Le 26 mai 1942, à 11 heures, Maurice Grandcoin est suivi jusqu’à l’imprimerie des Houdart, où il prend livraison de « 30 ramettes de papier de couleurs différentes » qu’il paie immédiatement ; il s’agit de papier vélin dont la vente est libre et non soumise à une déclaration préalable au commissariat, comme c’est le cas du papier pour duplicateur. Grandcoin fait charger les paquets de papier dans la remorque cycliste d’Henri Bouchot, ancien conseiller communiste de Clamart, qui va déposer le tout dans une remise au 81bis, rue de Clignancourt (Paris 18e).

Lors du coup de filet, le 20 juin, Marguerite Houdart et son mari sont arrêtés tôt le matin chez eux, par trois inspecteurs de la BS1 qui apposent les scellés sur l’appartement et sur l’atelier.

Le 23 juin, le couple est interrogé dans les locaux des Renseignements généraux à la préfecture de police. Ils se défendent d’avoir agi pour des mobiles politiques ; de fait, ce sont des gens sans opinion.

Le 25 juin, mari et femme rejoignent au dépôt de la préfecture de police avec d’autres “imprimeurs” arrêtés lors du coup de filet de l’“affaire Tintelin” [1].

Le 10 août, toutes les personnes prises dans cette affaire, dont Marguerite et Robert Houdart, sont transférées par la Feldgendarmerie au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122. Marguerite Houdart y est enregistrée sous le matricule n° 609 (entre Renée Pitiot, 608, et Jeanne Guyot, 610).

L’entrée du fort de Romainville dans les années 1920. Sous l’occupation, un mirador surplombait le  portail depuis l’intérieur. l’administration militaire allemande était installée dans le bâtiment visible à droite. Carte postale, collection Mémoire Vive.

L’entrée du fort de Romainville dans les années 1920.
Sous l’occupation, un mirador surplombait le portail depuis l’intérieur.
l’administration militaire allemande était installée dans le bâtiment visible à droite.
Carte postale, collection Mémoire Vive.

Le lendemain, 11 août 1942, Robert Houdart, 37 ans, est fusillé au Mont-Valérien parmi 88 otages – dont 39 hommes liés au réseau Tintelin – en représailles d’une action armée de la résistance communiste menée le 5 août contre des soldats de la Wehrmacht dans l’enceinte du stade Jean-Bouin (huit morts, treize blessés).

Le 3 septembre 1942 – sans doute parce que la preuve est établie que les Houdart n’étaient pas membres d’une organisation de résistance -, Marguerite Houdart est appelée à la Kommandantur du fort de Romainville : elle est libérée. Mais là, elle proteste : « Comment voulez-vous que je rentre chez moi ? Il y a des scellés sur ma porte. Faites enlever les scellés. » Trop compliqué pour un militaire. Le commandant la renvoie dans sa chambrée, et c’est ainsi qu’elle part pour Auschwitz avec les autres.

Le 22 janvier 1943, Marguerite Houdart fait partie des cent premières femmes otages transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquant « 22,1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »). Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police).  Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

TransportAquarelle

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.

Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000” (accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…). © Gilbert Lazaroo, février 2005.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Le numéro matricule attribué à Marguerite Houdart à Auschwitz est probablement le 31630, selon une correspondance établie avec le registre des internés du Fort de Romainville (entre Renée Pitiot, 31629, et Jeanne Guyot, 31631). Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, les “31000” sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.

Le 3 février, la plupart d’entre elles sont amenées à pied, par rang de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois quarts, de face et de profil (la photo de la détenue portant le matricule 31630 n’a pas été retrouvée…).

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Le Block 26, en briques, dans le sous-camp B-Ia ; perspective entre les châlits. © Mémoire Vive.

Le Block 26, en briques, dans le sous-camp B-Ia ; perspective entre les châlits.
© Mémoire Vive.

Le 30 avril, Marguerite Houdart succombe au camp de femmes de Birkenau, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher). Selon Charlotte Delbo, dans son livre éponyme Le convoi du 24 janvier, Madeleine Doiret – une rescapée – l’aurait vue au Block des typhiques du Revier [2], lors de la désinfection du 1er mai ; elle n’était pas d’une maigreur effrayante. Puis on l’a vue, morte, sur le tas de cadavres, tout un côté mangé par les rats. Elle estimait que Marguerite Houdart était morte vers le 10 mai 1943. 

Début 1944, un membre de la famille tente auprès des autorités françaises une démarche qui amène les services de la Délégation générale du gouvernement français dans les territoires occupés (de Brinon) à interroger la direction des Renseignements généraux sur les motifs d’arrestation de Marguerite Houdart.

Sa fille, alors âgée de 18 ans, n’apprend la mort de sa mère qu’au retour des rescapées.

Dans le livre de Charlotte Delbo, son numéro n’avait pas été identifié.

Notes :

[1] « Affaire Tintelin et autres » : à la suite des arrestations de l’affaire Pican-Cadras, les Renseignements généraux commencent, le 15 mars 1942, la filature d’un résistant que les policiers désignent d’abord comme « Ambroise » – du nom de la rue Saint-Ambroise où il a été repéré – avant son identification. Sans le savoir, Arthur Tintelin met les inspecteurs sur la piste de l’appareil technique de propagande du Parti communiste clandestin, le réseau des imprimeurs qu’il coordonne. Elle aussi filée, l’agent de liaison de ce groupe, Renée Pitiot, conduit les policiers vers ses nombreux contacts. Dans la nuit du 17 au 18 juin, le coup de filet de la police entraîne l’arrestation d’une soixantaine de personnes, dont Angèle Girard, Alice Boulet… Le 11 août , 88 hommes sont fusillés comme otages au Mont-Valérien, dont des membres du réseau des imprimeurs, Arthur Tintelin, Henri Daubeuf, Pierre Galesloot, Pierre Hardenberg, Eugène Houdart, Gustave Pitiot, Henri Maillard, et d’autres maris de futures “31000” : Marcel Éthis, Alphonse L’Huillier,…

[2] Revier. Selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation KB.

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), page 147.
- Marion Queny, Un cas d’exception : (…) le convoi du 24 janvier, mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Lille 3-Charles de Gaulle, juin 2004, notamment une liste réalisée à partir du registre de Romainville (copie transmise par Thomas Fontaine), pp. 197-204, et p. 114.
- Thomas Fontaine, Les oubliés de Romainville, un camp allemand en France (1940-1944), avec le concours du Conseil général de Seine-Saint-Denis, éditions Tallandier, 2005, pages 74 à 86.
- Serge Klarsfeld, Le livre des otages, Les éditeurs français réunis, Paris 1979, pages 72 à 79, et 171 à 174, fiche allemande, page 135.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : dossiers de la BS1 (G B 36, affaire Tintelin Arthur Henri) ; exécutions par les autorités d’occupation, carton de Le à N (B A 2298), dossier de Houdart Eugène.
- Les fusillés (1940-1944), Dictionnaire biographique des fusillés et exécutés par condamnation et comme otage ou guillotinés pendant l’Occupation, sous la direction de Claude Pennetier, Jean-Pierre Besse, Thomas Pouty et Delphine Leneveu, Éditions de l’Atelier, 2015, pages 920 et 921.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2 (noms de A à L), page 476 (19276/1943).

MÉMOIRE VIVE

(dernière modification, le 21-07-2024)

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