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(D.R.)

Laure, Constance, Pierrette, Gatet naît le 19 juillet 1913, à la Maison-Dieu, commune de Boussac-Bourg (Creuse), dans une famille d’enseignants.

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Le 23 juin 1923, avec sa tante, sa mère et son père.
Site du lycée Laure Gatet, de Périgeux.

Elle passe son certificat d’études primaire à Boussac, reçue première du canton. Dispensée de sixième, elle suit sa cinquième et sa quatrième au lycée d’Aurillac (Cantal), puis la troisième, la seconde et la terminale au collège de jeunes filles de Périgueux (Dordogne) ; son père y est alors directeur de l’École normale d’Instituteurs.

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Périgueux. Le collège de jeunes filles, les nouveaux bâtiments.
Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.
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Classe de 3e A le 26 mai 1928,
Laure Gatet est debout au milieu, en noir.
Site dordogne-perigord.com (voir sources)

Laure Gatet obtient le baccalauréat de Philosophie en 1931, puis poursuit des études universitaires à Bordeaux (Gironde).

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Bordeaux. La faculté de Médecine et de Pharmacie.
Carte postale des années 1900. Coll. Mémoire Vive.

D’abord docteur en pharmacie (1937), elle se tourne vers la recherche en biochimie et devient l’assistante du professeur Louis Genevois à Bordeaux, auprès duquel elle obtient le doctorat ès-sciences en janvier 1940 (thèse sur la maturité des raisins).

La Résistance

Laure Gatet est une catholique sincère, croyant à la justice, une patriote.

Dès l’automne 1940, elle prêche la résistance à l’occupant nazi. En janvier 1941, par l’intermédiaire des frères Cayrol – Pierre mourra en déportation, Jean deviendra écrivain – elle s’engage dans le réseau Confrérie Notre-Dame (devenu CND-Castille en 1944), fondé par le colonel Rémy. Agent de liaison sous les ordres du colonel Fleuret, secrétaire du port autonome de Bordeaux, elle porte des messages, soit vers la frontière espagnole, soit en zone “libre” : pour aller voir sa mère, elle bénéficie d’un Ausweiss l’autorisant à faire le trajet Bordeaux-Périgueux toutes les semaines. Traversant la ligne de démarcation à Montpon-sur-l’Isle [1], elle subit à chaque passage une fouille l’obligeant à se déshabiller. Elle agit avec tant de discrétion que sa tante – avec qui elle vit à Bordeaux – et que ses collègues du laboratoire de biologie ignorent tout de son activité.

L’arrestation

Après avoir été arrêté, l’opérateur radio de son groupe lâche des informations au cours des interrogatoires qu’il subit.

Le 10 juin 1942, à 5 heures du matin, trois policiers (un français et deux allemands) viennent arrêter Laure Gatet chez sa tante, au 3 rue du Teich. Fouillant la maison, ils n’y trouvent rien.

D’abord conduite à la caserne Boudet à Bordeaux, elle est ensuite emprisonnée au fort du Hâ où elle reste quelques jours, résistant aux interrogatoires.

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Bordeaux. La rue du Palais-de-Justice et le Fort du Hâ.
Carte postale des années 1900. Collection Mémoire Vive.

Le 15 juin, elle transférée à la Maison d’arrêt de la Santé, à Paris 14e, dans le “quartier allemand”, au rez-de-chaussée.

Généralement, les prisonniers politiques (Résistants) y sont incarcérés en cellule individuelle : ils ne se voient pas les uns les autres et ne se connaissent que par la parole ou par des signaux codés frappés sur les canalisations.

Laure Gatet se trouve à proximité de la cellule de Marie-Claude Vaillant-Couturier. Quand des Résistants sont extraits de la prison pour être fusillés, celle-ci prononce à haute voix quelques mots les concernant. Quand elle est transférée au fort de Romainville, fin août 1942, Laure Gatet, poursuit cet hommage. Selon Charlotte Delbo, ceux et celles qui – dans cette prison – entendent la voix de Laure quand elle dit la prière des morts pour les hommes qui partent à la fusillade, voient son visage : « le visage de sa voix, clair et ardent ».

Le 15 octobre, Laure Gatet est conduite à la Maison d’arrêt de Fresnes [2] (Val-de-Marne), là encore dans le “quartier allemand”. Elle ne parvient plus à faire sortir de message.

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La maison d’arrêt de Fresnes après guerre.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 14 janvier 1943, une semaine avant le départ du convoi, elle arrive seule au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas [1] (Seine-Saint-Denis – 93), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122. Elle y est enregistrée sous le matricule n° 1439. Elle y retrouve celles dont elle n’a fait qu’entendre les voix à la prison de la Santé.

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L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).

Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »).

Le lendemain, Laure Gatet fait partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la Maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié concernant les deux nuits et la journée passées à Royallieu, et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation… Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

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Les deux wagons à bestiaux
du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. Cliché M.V.

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL [3] Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.

Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

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Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises
et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Laure Gatet y est enregistrée sous le matricule 31833. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes d’anthropométrie de la police allemande : vues de trois-quart avec un couvre-chef, de face et de profil (la photo d’immatriculation de Laure Gatet a été retrouvée, puis identifiée ultérieurement, ce qui a permis à Charlotte Delbo d’indiquer son numéro matricule).

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Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Le 12 février également, la chef du bureau du travail du camp de femmes de Birkenau inscrit son nom – mal orthographié (« Gatel Laura ») – sur une liste de quatorze biologistes se trouvant dans le camp, avec Madeleine Dechavassine et Marie-Élisa Nordmann, certainement dans la perspective de travailler au laboratoire agronomique de Raïsko. Avec sa photo d’immatriculation, c’est le seul document concernant Laure Gatet retrouvé à Auschwitz.

La jeune femme a la dysenterie dès l’arrivée : en quelques jours, elle est épuisée. D’abord admise au Revier (“hôpital”) [4] du camp de femmes de Birkenau, elle en est renvoyée parce qu’elle n’a pas de température (la dysenterie ne donne pas de fièvre ; la température est plutôt inférieure à la normale).

Charlotte Delbo note : « Laure Gatet est revenue avec nous un soir. Elle est morte pendant l’appel le lendemain matin » ; elle n’a pas trente ans.

Laure Gatet meurt à Birkenau après la mi-février 1943. L’acte de décès établi par l’administration SS fait partie du nombre des documents détruits au moment de l’évacuation du complexe concentrationnaire d’Auschwitz, en janvier 1945.

À la différence de quelques autres déportées “31000”, aucun avis officiel de décès ne parvient en France. Après son retour des camps, Hélène Solomon annonce la mort de Laure Gatet à Madame Genevois.

En juin ou juillet 1945, Marie-Claude Vaillant-Couturier écrit à la mère de Laure :

« Madame,

Je me permets de vous écrire car je suis une amie de Laure. Nous étions voisines de cellules à la Santé.

Nous nous sommes retrouvées à Romainville et parties ensemble pour Auschwitz. Madame, je comprends que votre douleur doit être immense, votre fille était un être d’élite pour laquelle j’avais la plus grande affection et la plus haute estime. Elle est morte comme elle avait vécu, avec courage, elle s’est éteinte doucement. La veille, elle m’avait encore parlé de son pays et de vous avec un beau sourire d’espoir.

Croyez, Madame, à toute ma sympathie.

Une amie de Laure. »

Laure Gatet est homologuée avec le grade de sous-lieutenant dans la Résistance intérieure française (R.I.F.). Le 10 novembre 1955, elle est nommée chevalier de la Légion d’honneur par décret du président du Conseil, René Coty, avec attribution de la Croix de guerre 1939-1945 avec palme et de la Médaille de la Résistance.

Le 10 juillet 1947, une plaque à sa mémoire est inaugurée dans le hall du lycée de jeunes filles de Périgueux (le collège où elle a achevé ses études secondaires…) ; voir ci-dessous.

À une date restant à préciser, le Conseil municipal de Bordeaux donne le nom de Laure Gatet à une rue de la ville (peut-être à la rue du Teich, qui semble ne plus exister…).

Son nom est également inscrit sur la plaque commémorative apposée dans le hall de l’ancienne Faculté de médecine et de pharmacie de Bordeaux – « A la glorieuse mémoire des élèves, anciens élèves et agents de la Faculté Morts pour la France » – ainsi que sur le monument aux morts de Boussac-Bourg.

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 124-125.
- Dominique Durand, Marie-Claude Vaillant-Couturier (biographie), Balland, Paris novembre 2012, pages 216-217.
- Site internet du lycée Laure Gatet, de Périgueux.
- Site internet créé par une équipe de la Cité Laure Gatet, de Périgueux.
- Daniel Charbonnel, professeur d’Histoire-Géographie au lycée Laure Gatet de Périgueux, professeur en charge du service éducatif des Archives départementales de la Dordogne (messages 01-2013).
- Guy Penaud, sur le site dordogne-perigord.com, communication publiée dans le n°123 du Journal du Périgord.
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Service d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; liste des biologistes (12-2012).
- Site Mémorial GenWeb, Bordeaux, relevé de Pascale Beaudon (2000-2002) ; Boussac-Bourg 23, relevé de David Rameix (2006) ; fiche de Jean-luc Gauthier ( 2010).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, 21-03-2013)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).


Un établissement scolaire porte le nom de Laure Gatet :

Lycée polyvalent régional Laure-Gatet – 25, av. Georges-Pompidou, BP 3085, 24003 Périgueux cedex

Dès 1963 s’affrontent deux propositions : l’Association des Parents d’Élèves du Lycée et l’Amicale des Anciennes élèves souhaitent faire donner à l’établissement le nom de Laure Gatet, ancienne élève du lycée, morte à Auschwitz.

Mais le Conseil municipal de Périgueux, « à la demande de plusieurs organismes », tient à honorer Joseph Joubert, originaire de Montignac, auteur de Pensées rassemblées par son ami Chateaubriand…

Propositions et contre-propositions se succèdent de 1963 à 1966. L’inspecteur d’Académie propose alors de ménager les deux parties en donnant le nom de Joubert à l’établissement et celui de Laure Gatet à une salle de classe.

Mais le Conseil d’administration du lycée tient bon : 1er février 1967

« Le Conseil d’administration du Lycée, sur proposition écrite de Monsieur le Président de l’Association des Parents d’élèves du Lycée, adopte, à l’unanimité, le nom de LAURE GATET, ancienne élève du Lycée, morte en déportation au camp d’Auschwitz. »

Le 11 juin 1969, un arrêté du préfet de la Dordogne autorise le lycée d’État de jeunes filles de Périgueux à porter le nom de lycée Laure Gatet.

[1] Montpon-sur-l’Isle et Ménestérol-Montignac, en Dordogne, fusionnent sous le nom de Montpon-Ménestérol par arrêté préfectoral du 20 mai 1964.

[2] Fresnes et Les Lilas : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[3] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

[4] Revier , selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”.