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Léon, Ernest, Lecomte naît le 23 avril 1912 à Saint-Ouen-l’Aumone (Seine-et-Oise / Val-d’Oise – 95), fils d’Henri Lecomte et de Reine Mathieu, son épouse.
Pendant un temps, il vit avec sa mère – devenue veuve – allée Fointiat à Eaubonne (95), travaillant comme employé de bureau.
Le 1er septembre 1934, à la mairie du 19e arrondissement, il se marie avec Raymonde Ségalen, née le 16 février 1913 à Paris 19e, employée, domiciliée chez ses parents au 11, rue de Joinville. Françoise, la sœur de celle-ci, couturière, est témoin au mariage. Léon et Raymonde n’auront pas d’enfant.
Sportif, Léon Lecomte est pendant un temps champion de course à pied, sélectionné en demi-fond (1500 m) pour les Jeux olympiques de 1936… à Berlin.
Au moment de son arrestation, il est domicilié au 32, rue de Joinville à Paris 19e, vers l’avenue de Flandre.
Léon Lecomte est commis principal au Ministère des Finances, rue de Rivoli à Paris 1er (alors installé dans l’aile nord du Palais du Louvre).
Militant communiste, ses camarades le surnomment “le percepteur”. Il reprend ses activités dans la clandestinité après sa démobilisation.
Le 25 octobre 1940, à 21 h 30, à l’angle du boulevard de la Villette et de la rue de Kabylie, à proximité de la station Aubervilliers (future Stalingrad) du métro aérien, Léon Lecomte est appréhendé – « arrestation mouvementée » [1] – par des agents du commissariat de la circonscription de Saint-Ouen alors qu’il appose « sur les murs de sa localité, avec un tampon en caoutchouc » le mot d’ordre « Vive l’URSS ». Il est trouvé porteur d’un autre tampon, « Libérez les communistes » et d’une vingtaine de papillons intitulés « Vive l’Armée rouge », « Vive Staline ». Il est d’abord gardé à vue au poste de police Villette. La perquisition effectuée ensuite à son domicile amène la découverte de divers opuscules, dont trente-sept exemplaires de Correspondance internationale, sept Jeunesse du Monde, quatre Correspondant parlementaire, un exemplaire de La Voix du peuple et un tampon « Thorez au pouvoir ».
Le 27 octobre, inculpé d’infraction au décret du 26-9-1939 (dissolution et interdiction du Parti communiste), il est écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e).
Le lendemain, 28 octobre, la 12e chambre du tribunal correctionnel de la Seine le condamne à quinze mois d’emprisonnement. Le 9 novembre, il est conduit à l’établissement pénitentiaire de Fresnes (Seine / Val-de-Marne). Le 15 novembre, il fait appel du jugement. Le 23 décembre, la Cour d’appel de Paris ramène la peine à un an.
Le 30 décembre, Léon Lecomte est ramené à Fresnes avant son transfert à la Maison centrale de Poissy (Seine-et-Oise / Yvelines).
Le 12 juillet 1941, en « exécution de la note préfectorale » du 14 novembre 1940, le directeur de la prison transmet au bureau politique du cabinet du préfet de Seine-et-Oise 21 notices de détenus de la Seine devant être libérés à l’expiration de leur peine au cours du mois suivant. Le 26 juillet, le préfet de Seine-et-Oise transmet le dossier au préfet de police de Paris, direction des services des Renseignements généraux.
Le 17 août, à l’expiration de sa peine, Léon Lecomte est relaxé. Cependant, la police française le considère toujours comme un « agent particulièrement actif de la propagande communiste clandestine ».
Le 19 septembre, le préfet de police de Paris signe l’arrêté ordonnant son internement administratif en application du décret du 18 novembre 1940 ; en même temps qu’André Amarot et Camille Delattre, également libérés de Poissy au mois d’août précédent. Pendant un temps, Léon Lecomte est détenu au dépôt de la préfecture de police de Paris (au sous-sol de la Conciergerie, île de la Cité), en attendant son transfert dans un camp.
Le 9 octobre, il fait partie des 60 militants communistes (40 détenus venant du dépôt, 20 venant de la caserne des Tourelles) transférés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne) ; départ gare d’Austerlitz à 8 h 25, arrivée à Rouillé à 18 h 56.
Le 9 février 1942, Lecomte est parmi les 52 « communistes » (dont 36 seront déportés avec lui) remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits par des Feldgendarmes à la gare de Poitiers. Enfermés dans deux wagons à bestiaux, ils sont transférés – via Paris – au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, Léon Lecomte est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Léon Lecomte est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45751, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Léon Lecomte se déclare alors sans religion (« Glaubenslos », sans foi). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.
Le 13 juillet, après l’appel du soir – l’ensemble des “45000” ayant passé cinq jours à Birkenau -, une moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I). Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Léon Lecomte.
Il meurt à Auschwitz le 21 octobre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher). La cause mensongère inscrite sur l’acte de décès est « arrêt du cœur par grippe » (Herzschwäche bei Grippe).
Il est déclaré “Mort pour la France”. La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 23-03-1994).
Notes :
[1] L’arrestation, telle qu’elle est racontée par Roger Arnould : « Léon Lecomte habitait dans le quartier de la Villette, à Paris, un quartier qu’il connaissait bien pour y avoir milité durant les années du Front Populaire. Il était fonctionnaire des contributions indirectes et ses camarades l’appelait familièrement “le percepteur”. Il avait une corde à son arc : champion de course à pied (demi-fond). Il avait été sélectionné à ce titre pour les Jeux Olympiques de 1936, mais il pratiquait surtout son sport favori dans le club local du 19e de la FSGT [Fédération Sportive et Gymnique du Travail]. La guerre de 39, puis l’occupation, avait sans doute réduit son entraînement, il avait cependant gardé du muscle et du souffle, comme on va le voir.
Une nuit de novembre 1940 [en octobre, selon les archives], malgré le couvre-feu, il allait dans les rues de Crimée, de Flandre et avoisinantes, coller des papillons sur les murs, glisser des tracts sous les portes, dénonçant le pillage du pays et la collaboration, les causes des restrictions, enfin, appelant ceux qui refusaient l’occupation et la collaboration à agir, à s’unir. C’était l’aube de la Résistance.
Tout à coup, il fut surpris par une patrouille d’agents de police qui voulut l’appréhender. Le champion n’hésita pas un instant ; son salut n’était-il pas dans ses jambes ? Alors commença une poursuite folle dans le dédale des rues obscures qu’il connaissait bien. Les sifflets à roulettes retentissaient, mais en vain. Les agents ignoraient certes qu’ils avaient affaire à un sélectionné des Jeux Olympiques du quinze cents mètres. Aussi l’homme poursuivi gagnait du terrain. Tant et si bien qu’il parvint aux limites du 19e arrondissement, du côté du boulevard de la Villette, pour entrer sur le territoire du 10e arrondissement. Ses poursuivants, dont on entendait toujours les sifflets, ne pouvaient plus guère espérer l’atteindre.
C’est alors que le drame se produisit. Parvenu vers les rues de l’Aqueduc, rue Chaudron, en haut de la rue du Faubourg-Saint-Martin, il tomba brusquement sur une autre patrouille d’agents qui, alertée par les coups de sifflets, se trouva sur son chemin, en position de le capturer sans coup férir, en le coiffant de leurs pèlerines. Menottes aux mains, il fut conduit, sans ménagement, au commissariat de police du 10e arrondissement le plus proche ; celui dont dépendaient les agents qui venaient de l’arrêter.
Cependant, les agents du 19e, ceux qui avaient engagé la poursuite, arrivèrent à leur tour au dit commissariat, à bout de souffle. Ils prétendaient reprendre le prisonnier. Alors, Lecomte, enchaîné, assista à une bien étrange bagarre entre agents dont il était l’enjeu. On se le disputait. Motif : il y avait une prime d’arrestation, à ce qu’il crut comprendre environ 2000 francs [de l’époque]. Ceux du 10e ne voulant pas céder la prise à ceux du 19e, c’est donc de ce commissariat que Lecomte prit le chemin du dépôt.
Dans les prisons et les camps, le récit de cette arrestation défraya la chronique. À Compiègne, en 1941, on disait : “Eh, Lecomte, raconte un peu comment tu t’es fait cravater”. Le champion racontait et tout le monde éclatait, de rire, mais aussi de dire son mépris envers les chasseurs de prime de Pétain ».
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 374 et 410.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen – Un témoignage adressé à la FNDIRP en 1972, le décrit « grand (1,80 m), sportif », « très bon camarade ».
Roger Arnould, article paru dans le journal de la FNDIRP, Le Patriote Résistant, n° 511, mai 1982.
Gérard Bouaziz, La France torturée, collection L’enfer nazi, édité par la FNDIRP, avril 1979, citant… Roger Arnould, pages 80-81.
Archives de Paris : jugements du tribunal correctionnel de la Seine (D1u6 3666).
Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt (cote 1W69).
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, camps d’internement… (BA 2374), liste des internés communistes 1939-1941 (BA 2397) ; registre d’écrou du dépôt (n° 510) ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 0185-52234) ; registre des consignés provisoires au Dépôt, mai 1941-mars 1942 (C C 2-1).
Archives départementales de la Vienne ; camp de Rouillé (109W75).
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; acte de décès du camp (seul document retrouvé).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 702 (36896/1942).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 22-04-2019)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.