- Auschwitz, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Lucien Bellet naît le 18 avril 1907 à Sotteville-les-Rouen (Seine-Inférieure / Seine-Maritime [1] – 76), rive gauche, à l’intérieur du méandre de la Seine, chez ses parents, Louis Bellet, 31 ans, comptable, et Eugénie Cauchois, 22 ans, son épouse, domiciliés rue Jean-Baptiste Gilbert.
Le 13 juillet 1931, à Notre-Dame-de-Bondeville, à l’ouest de l’agglomération de Rouen (76), il épouse Germaine Clatot. Ils ont ensemble cinq enfants : Lucien, 9 ans lors de l’arrestation de son père, Jacqueline, 5 ans, Yvette, 3 ans, Jean-Claude, 18 mois, et Denise, 3 mois.
Le 22 mars 1932, le commissaire spécial de Rouen établit une notice individuelle à son nom, le désignant comme « sympathisant du PC, mais ne fait pas de propagande. A été nommé trésorier du Comité de lutte contre la guerre, section de Maromme ».
Au moment de son arrestation, Lucien Bellet vient d’emménager au 3, impasse Bellevue, à Notre-Dame-de-Bondeville.
Il est tourneur sur métaux et travaille chez Lethuillier-Pinel, à Sotteville, entreprise fabriquant des appareils de sûreté pour chaudières (et existant toujours en 2006), où il est délégué syndical CGT. Néanmoins, après son arrestation, son patron conserve sa place à l’atelier et aide son épouse.
Communiste, Lucien Bellet est membre de la cellule Charles-Tierce de Maromme (76). Militant, il distribue des tracts et participe à des réunions qui se tiennent dans la salle Gadoulot, à Notre-Dame-de-Bondeville . Il rend sa carte à la suite du pacte germano-soviétique, signé fin août 1939.
Le 21 octobre 1941, lors de la grande rafle de Rouen et de sa banlieue [2], les gendarmes de Maromme viennent à son nouveau domicile pour l’arrêter, mais ne trouvent que sa femme et ses enfants : il est en déplacement à l’usine textile des Établissement Blin (ou à l’usine Canthelou), à Elbeuf (76). Craignant pour sa famille, son épouse leur indique où le trouver. Son patron essaie de le prévenir. Le lendemain, Lucien Bellet est arrêté à l’hôtel où il loge avec un collègue, ou à l’usine Canthelou, sur les indications des services de gendarmerie de Rouen, « par mesure administrative sur instruction verbale de la sous-préfecture ». Il rejoint les autres hommes arrêtés et rassemblés à la caserne Hatry de Rouen, où il semble garder un bon moral.
Il est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne [3] (Oise), Block 14 (matricule n° 2044), d’où il envoie à sa femme plusieurs lettres et une chaîne de forçat (menotte, boulet) en bois façonnée au camp.
Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Lucien Bellet est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45224. Sa photo d’immatriculation a été retrouvée.
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Lucien Bellet est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.
Les 9 et 16 septembre, il est inscrit sur un registre de l’ “hôpital”, Block 20 (maladies contagieuses). Le 10 octobre, il est inscrit sur un registre du Block 21 (chirurgie).
Lucien Bellet meurt à Auschwitz le 1er novembre 1942, d’après les registres du camp [4].
Après avoir reçu la carte-formulaire en allemand envoyée par la direction de Compiègne le 16 juillet 1942, signalant son départ pour une « destination inconnue », sa famille n’a plus aucune nouvelle (jusqu’en 1993 !). Aucun rescapé n’est venu rapporter son décès.
Il faut dix ans à son épouse à pour être reconnue “veuve de guerre”.
Lucien Bellet est déclaré “Mort pour la France”.
Son nom est inscrit sur le Monument aux morts de Notre-Dame-de-Bondeville et sur un monument de la CGT de Rouen.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 30-08-2007).
Son épouse, Germaine, décède le 1er septembre 1981.
Notes :
[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.
[2] Le “brûlot de Rouen” et la rafle d’octobre 1941 : L’arrestation massive de plusieurs dizaines (*) de militants politiques et syndicaux – ou soupçonnés tels – a suivi de peu le déraillement d’un train de matériel militaire allemand sur la ligne Rouen-Le Havre, dans le tunnel de Pavilly, à 1500 m de la gare de Malaunay, le 19 octobre 1941 ; ce sabotage étant l’un des objectifs visés par le “brûlot” de Rouen (groupe mobile de la résistance communiste).
Néanmoins, les fiches d’otages des “45000” appréhendés dans cette période mentionnent que ces arrestations mettaient en application un ordre du Commandant de la région militaire “A”, daté du 14 octobre 1941. Ainsi, entre le 17 et le 25 octobre, il y eut le même type de rafles de “communistes” dans sept autres départements de la zone occupée. Il est probable que ces arrestations aient été ordonnées pour assurer la saisie de communistes destinés à être placés sur les listes d’otages de cette région militaire. En effet, tous les hommes appréhendés furent remis aux allemands qui les transférèrent à Compiègne entre le 19 et le 30 octobre 1941. Quarante-quatre des otages arrêtés ces jours-là dans le secteur de Rouen furent déportés dans le convoi du 6 juillet 1942. Beaucoup furent fusillés au titre de représailles dans les semaines qui suivirent.
(*) Cent cinquante selon la brochure “30 ans de luttes“, éditée en 1964 par la fédération du Parti Communiste de Seine-Maritime.
[3] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller. À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp “C” est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transférés au camp de Drancy (Seine/Seine-Saint-Denis).
[4] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. S’agissant de Lucien Bellet, c’est « le 11 juillet 1942 (…) et non fin 1942 à Auschwitz (Pologne) » qui a été retenu en 2007 pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 377 et 395.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Basse-Normandie (2000), citant : Liste établie par la CGT, p.1 – Claude-Paul Couture, chercheur (20/1/1993).
Mairie de Sotteville-les-Rouen, service de l’état civil : acte de naissance de Lucien Bellet, acte n° 135.
Alain Alexandre et Stéphane Cauchois, Résistance(s), Rouen, sa région, la vallée du Cailly entre histoire et mémoire, 1940-1944, éditions L’écho des vagues, avril 2015, pages 23 et de 26 à 29.
Sandrine Bellet, sa petite-fille, messages (18-01-2006 et 5-01-2008).
Louis Eudier (45523), listes à la fin de son livre Notre combat de classe et de patriotes (1939-1945), imprimerie Duboc, Le Havre, sans date (2-1973 ?).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 67 (38703/1942).
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; relevé dans les archives (01-2009).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 21-08-2023)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.