- IDENTIFICATION INCERTAINE…
- Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.
Lucien, André, Martin naît le 28 février 1905 à Paris 11e, chez sa mère, Émilie Martin, 21 ans, domestique, domiciliée au 20, rue Notre-Dame-de-Nazareth, et de père non dénommé. Le 2 août 1910, à la mairie du 3e arrondissement, il est légitimé par le mariage d’Alphonse Chevalier, 24 ans, mécanicien, avec sa mère, alors brodeuse. Tous deux sont alors domiciliés au 1, rue Perrée, chez la grand-mère maternelle de Lucien. Par la suite, ils déménageront plusieurs fois dans Paris et en proche banlieue. Lucien commence à travailler dès l’âge de 10 ans et demi.
Son père est mobilisé au cours de la Première Guerre mondiale.
Pendant un temps, Lucien travaille comme chauffeur automobile, habitant chez ses parents au 14, avenue de la Mairie à Saint-Maur-des-Fossés (Seine / Val-de-Marne – 94).
Le 9 juin 1923, à Saint-Maur, il s’engage volontairement pour deux ans au 23e régiment d’infanterie, arrivant au corps le 15 juin. Il participe à l’occupation des Pays rhénans jusqu’au 3 mars 1924, puis de la Ruhr jusqu’au 22 octobre, puis de nouveau à l’occupation des Pays rhénans. Le 15 mai 1925, il est renvoyé dans ses foyers, titulaire d’un certificat de bonne conduite.
Fin 1927, il est domicilié au 70 boulevard National à Saint-Maur. En août 1929, il demeure au 4, rue Lesage à Joinville-le-Pont (94), avec son père, travaillant peut-être comme cafetier.
Le 8 juin 1931, à Fontenay-sous-Bois (94), Lucien Chevalier se marie avec Irène Cérézat, née le 24 mai 1908 à Affieux (Corrèze) ; ils n’auront pas d’enfant. Celle-ci cesse de travailler après leur mariage pour s’occuper du foyer. Ils sont alors domiciliés au 8, place d’Armes dans cette commune.
En avril 1932, il habite au 20, quai de Bercy à Charenton-le-Pont (94), fin 1933, il loge au 120, avenue Foch à la Varenne.
En novembre 1936 et jusqu’au moment de son arrestation, il est domicilié dans un logement au 13, rue Saint-Blaise à Paris 20e, à l’angle de la rue Riblette, dans l’ancien village de Charonne.
Lucien Chevalier est chauffeur-livreur ou chauffeur de poids lourds.
Militant du Parti communiste, il est membre de la cellule de rue n° 2059 rattachée à la section du 20e arrondissement, considéré comme un des principaux responsables pour l’organisation des fêtes et goguettes. Cette activité lui vaut d’être considéré comme un homme de confiance du Parti, raison pour laquelle, jusqu’à la veille de la guerre, il travaille de son métier pour la compagnie maritime France-Navigation, liée au Parti communiste et dont le siège est situé rue de l’Arcade à Paris ; il y est plus particulièrement chauffeur du directeur technique Auguste Dumay (1888-1955). La police le soupçonnera de s’être « livré, lors de la guerre d’Espagne, au trafic d’armes pour les rouges ».
Le 19 mai 1939, le tribunal correctionnel de Chartres le condamne à une amende pour infraction à un arrêté municipal et refus d’obtempérer commis le 11 février (ce qui lui sera signifié à son domicile le… 13 juillet suivant).
Avant l’Exode de juin 1940, la police française effectue une perquisition infructueuse au domicile du couple.
Le 1er octobre 1939, Lucien Chevalier est rappelé à l’activité militaire au dépôt du Train auto n° 6 (T4). Le 1er avril 1940, il est affecté au 23e dépôt du Train, 533e compagnie, envoyé ensuite en détachement avancé, où il contracte un « empoisonnement du sang ».
De retour de mobilisation, fin juillet 1940, il ne peut retrouver son emploi précédent et fait alors des livraisons avec une voiture à bras pour plusieurs commerçants locaux ainsi que pour la maison de biscottes Baker, effectuant ce travail par tous les temps malgré une pharyngite catarrhale contractée lors de sa mobilisation. En plus de son épouse, sans emploi, il a également à sa charge sa mère de 58 ans et sa grand-mère maternelle âgée de 80 ans.
Sous l’Occupation, la police française le considère comme un « militant notoire, meneur particulièrement actif, (tentant) de reconstituer son ancienne cellule communiste ». Dès sa démobilisation, il aurait repris contact avec d’anciens camarades et se serait « livré à une propagande verbale tendant à commenter dans le sens de l’idéologie communiste les évènements d’actualité ».
Le mercredi 19 février 1941, quatre inspecteurs de police se présentent à son domicilie pour effectuer une perquisition au cours de laquelle aucun tract ni papillon n’a été découvert, mais où sont saisis « une feuille de papier blanc gommé, une série complète de caractères d’imprimerie caoutchoutés et un exemplaire de La Voix du peuple au Parlement, annoté de sa main et mentionnant les députés “vendus” ».
Deux jours plus tard, le vendredi 21 février, vers midi, un des quatre inspecteurs se présente de nouveau chez lui pour l’inviter à l’accompagner en vue d’y accomplir une simple formalité, indiquant qu’il pourrait être de retour chez lui vers 19 heures. Le lendemain, le préfet de police signe l’arrêté ordonnant son internement administratif en application du décret du 18 novembre 1939. Ce même jour, Irène Chevalier se rend au commissariat de la rue des Orteaux où le passage de son mari n’a pas été enregistré, mais où elle finit par apprendre que celui-ci se trouve au dépôt de la préfecture de police, sur le point de partir pour un « camp de concentration ».
Dès le 25 février, son épouse écrit une lettre dactylographiée au préfet de police, indiquant que l’on n’a pu reprocher aucun acte de propagande communiste à son mari et demandant de vouloir bien remettre en liberté celui-ci..
Le 27 février, Lucien Chevalier (n° 193) fait partie d’un des groupes d’internés administratifs transférés à la Maison centrale de Clairvaux (Aube) où ils en rejoignent d’autres : ils sont bientôt 300 détenus politiques (dont Guy Moquet et plusieurs futurs “45000”). Les « indésirables français » y sont astreints à porter le « costume pénal » et à subir un régime proche de celui des détenus de “droit commun”.
Le 21 mars, puis le 2 mai, Lucien Chevalier – comme d’autres détenus sans doute – écrit au préfet de police pour demander que lui soit appliqué le « régime politique ». Le 28 mars, puis le 11 mai, il envoie la même protestation au ministre de l’Intérieur, et, le 24 avril, directement au maréchal Pétain.
Le 25 avril, son épouse parvient à lui rendre visite à la centrale ; elle est fouillée « de fond en comble » par une femme en présence du commissaire spécial en charge des internés.
Le 14 mai, une centaine d’entre eux est transférée au camp de Choisel à Châteaubriant (Loire-Atlantique), parmi lesquels plusieurs feront partie des fusillés du 22 octobre. Lucien Chevalier fait partie de ceux qui restent à Clairvaux, et qui doivent bientôt partager les locaux qui leur sont assignés avec quelques “indésirables” (condamnés de droit commun).
Le 21 juin, Irène Chevalier entre comme employée à titre temporaire – classée parmi le personnel intermittent de la préfecture de la Seine – au centre de distribution des cartes d’alimentation aux écoles Eugène Reisz, rue Ribelette.
Le 23 août 1941, une voisine d’Irène Chevalier envoie une lettre de dénonciation à la préfecture (orthographe respectée) : « Monsieur le prefet – si je vous dénonce ce fait, c’est que je pense que la chose sera précieuse pour notre pays. Il y a dans notre cartier une femme dont le Mari est actuellement prisonnier politique et qui fait encore elle-même beaucoup de propagande pour le communiste et la Russie, etc. Et qui c’est jours-ci a aider un juif a fuir pour ne pas qu’il soye prie ; ce juif demeure dans sa maison et il est toujours avec sa femme. C’est dame se nome Madame chevalier, elle demeure 13 rue Saint Blaise Paris XX – en ce moment cette dame fait la distribution des cartes d’alimentation a l’école 14 rue Riblette Paris XX – je n’est pas a vous en dire plus long – je pense que vous ferez le nécessaire. Veuillez agrée Monsieur l’assurance de mon profond dévouement – Mme Dupuit ». Le 28 octobre suivant, l’enquêteur des Renseignements généraux rend compte : « Mme Chevalier est, depuis octobre courant, employée dix jours par mois au centre de distribution des cartes d’alimentation, 104 rue de Belleville. […] Dans son entourage et à son lieu de travail, elle n’est pas connue pour se livrer à la propagande communiste. D’autre part, il ne semble pas qu’elle ait hébergé un juif, ni qu’elle l’ait aidé à fuir. Depuis l’arrestation de son mari, elle est seule et semble vivre modestement. […] Quant à Mme Dutuit, signataire de la lettre communiquée, elle n’a pu être identifiée ; il s’agit vraisemblablement de la jalousie d’une voisine. »
Le 26 septembre 1941, Lucien Chevalier est parmi la centaine d’internés de Clairvaux transférés en train, via Paris, au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne).
Le 22 mai 1942, il fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 124 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduit au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Lucien Chevalier est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45367, selon les listes reconstituées (la photo d’immatriculation correspondant à ce matricule a été retrouvée, mais n’a pu être identifiée à ce jour).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; à cette occasion, Lucien Chevalier se déclare également sans religion (Glaubenslos). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I). Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Lucien Chevalier.
Il meurt à Auschwitz le 20 septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [1]. La cause mensongère indiquée pour sa mort est « insuffisance cardiaque et circulatoire » (Herz- und Kreislaufschwäche).
En 1956, Irène Chevalier – alors domiciliée au 18 rue Wurtz à Paris 13e – complète et signe un formulaire du ministère des Anciens combattants et Victimes de guerre pour demander l’attribution du titre de déporté politique à son mari, ce qui lui sera accordé.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 9-12-1994).
Notes :
[1] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Concernant Lucien Chevalier, c’est le 20 août 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 374 et 399.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (fichier central, acte de décès d’Auschwitz).
Archives de Paris : registres matricules du recrutement militaire, classe 1925, Xe bureau (D4R1-2572), n° 564.
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, camps d’internement… (BA 2374) ; liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 2397) ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 598-18554) ; dossier individuel des Renseignements généraux (77 W 1577-53521).
Mémorial de la Shoah, Paris, Archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLI-42, n° 52.
Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75).
Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : copies de pages du Sterbebücher provenant du Musée d’Auschwitz et transmises au ministères des ACVG par le Service international de recherches à Arolsen à partir du 14 février 1967, carton de A à F (26 p 840).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 166 (22894/1942).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 15-01-2024)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.