Lucien, Eugène, Pelletier naît le 19 septembre 1904 à Yvetot (Seine-Maritime [1] – 76), au domicile de ses parents, Georges Lucien Pelletier, 23 ans, domestique, et Marie Darnanville, 20 ans, tisserande, son épouse, domiciliés rue de Rétimare. Lucien a quatre frères et sœurs nés après lui : Georges Jules, né le 10 juillet 1906 à Yvetot, Marie Louise, née 7 janvier 1911, Madeleine, née le 9 mars 1912, André, né le 2 mars 1914, tous trois à Rocquefort (76).
Leur père décède à Rocquefort le 16 mai 1914, âgé de 35 ans.
Le 17 avril 1915 à Rocquefort, sa mère se remarie avec Hilaire Godefroy, exempté de service militaire, puis de mobilisation en novembre 1914. Ensemble, ils ont trois autres enfants : Yvonne, née le 17 octobre 1917, Jean, né le 11 juillet 1921, tous deux à Rocquefort, et Maurice, né en 1925 à Barentin (76).
Dès 1922, la famille est installée à Barentin, à 17 km au nord-ouest de Rouen. Depuis le 26 décembre de cette année, Lucien est “ouvrier spécialisé” (?) dans la filature de coton Badin (grand fournisseur d’emplois de la ville), comme son beau-père. En 1926, la famille habite rue du Coton (n° 36 ?).
Le 6 novembre 1926, à Barentin, Lucien Pelletier se marie avec Alice Delu, née le 1er décembre 1904 à Carville, lieu dit de Darnétal (76), elle aussi ouvrière à la filature Badin. Ils ont un enfant, né vers 1936 (?).
Lucien Pelletier adhère au Parti communiste « dans les années précédant la guerre ». Il est également membre de la CGT. Militant actif, il est candidat du PC à Barentin lors des élections municipales de 1932 et 1936.
Au moment de son arrestation, Lucien Pelletier est domicilié au 31, route de Villers (ou 21, ancienne route de Villiers) à Barentin (un document mentionne le 15, rue du général-Sarrail).
Le 4 août 1941, répondant à une note du préfet de Seine-Inférieure datée du 22 juillet, le commissaire principal de police spéciale de Rouen transmet à celui-ci une liste nominative de 159 militants et militantes communistes de son secteur dont il préconise de prononcer l’internement administratif dans un camp de séjour surveillé, tous anciens dirigeants ou militants convaincus ayant fait une propagande active et soupçonnés de poursuivre leur activité clandestinement et « par tous les moyens ». Parmi eux, Lucien et Alice Pelletier…
Arrêté le 21 octobre 1941, à son domicile, par des gendarmes français sur commission rogatoire du Préfet, lors de la grande rafle des adhérents communistes et syndicalistes de l’agglomération rouennaise [2], Lucien Pelletier est emprisonné à Rouen, puis transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), Frontstalag 122 – Polizeihaftlager, où il est assigné au bâtiment A4, chambre 12.
Le 14 avril 1942, Alice Pelletier écrit au préfet de Seine-Inférieure pour solliciter la libération de son mari, « étant estimé comme brave garçon et un homme courageux travaillant au coton sans aucun reproche de son patron ». Sa lettre est accompagnée d’un certificat du maire de Barentin : « Depuis la guerre, [Monsieur Pelletier] n’a jamais donné lieu à aucune remarque défavorable, tant du point vue conduite que moralité. » Le 30 avril, le préfet interroge le commissaire principal chef des Renseignements généraux à Rouen afin que celui-ci lui fasse connaître son « avis sur l’opportunité d’une intervention en sa faveur auprès des autorités allemandes ». Le 11 mai, le chef des R.G. de Rouen répond : « Les autorités locales de Barentin craignent toujours que Pelletier reprenne son ancienne activité et continue à militer clandestinement en faveur de son ex-parti au cas où une mesure de clémence serait prise en sa faveur. Dans ces conditions, j’estime qu’il ne paraît pas opportun, dans les circonstances actuelles, de faire une démarche en sa faveur auprès des autorités d’occupation. »
Entre fin avril et fin juin 1942, Lucien Pelletier est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Lucien Pelletier est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45961. Sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée.
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Lucien Pelletier.
Admis au Revier [3]. Il y meurt le 10 août 1942 d’après le registre d’appel journalier du camp (Stärkebuch) établi par l’administration SS ; un mois après l’arrivée de son convoi, le même jour que dix-neuf autres “45000”.
Lucien Pelletier est homologué comme “Déporté politique”.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 27-08-1996).
Son nom figure sur le monument aux Morts des deux guerres, et sur le Mémorial de l’église de Barentin.
Son nom est également parmi ceux des 218 militant.e.s inscrit.e.s sur plusieurs plaques apposées dans la cour du siège de la fédération du PCF, 33 place du Général-de-Gaulle à Rouen, avec un extrait d’un poème de Paul Éluard (Enterrar y callar) : « Frères, nous tenons à vous. Nous voulons éterniser cette aurore qui partage votre tombe blanche et noire, l’espoir et le désespoir », et sous une statue en haut-relief dont l’auteur reste à préciser.
Notes :
[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.
[2] Le “brûlot de Rouen” et la rafle d’octobre 1941 : L’arrestation massive de plusieurs dizaines (*) de militants politiques et syndicaux – ou soupçonnés tels – a suivi de peu le déraillement d’un train de matériel militaire allemand sur la ligne Rouen-Le Havre, dans le tunnel de Pavilly, à 1500 m de la gare de Malaunay, le 19 octobre 1941 ; ce sabotage étant l’un des objectifs visés par le “brûlot” de Rouen (groupe mobile de la résistance communiste). Néanmoins, les fiches d’otages des “45000” appréhendés dans cette période mentionnent que ces arrestations mettaient en application un ordre du Commandant de la région militaire A, daté du 14 octobre 1941. Ainsi, entre le 17 et le 25 octobre, il y eut le même type de rafles de “communistes” dans sept autres départements de la zone occupée. Il est probable que ces arrestations aient été ordonnées pour assurer la saisie de communistes destinés à être placés sur les listes d’otages de cette région militaire. Tous les hommes appréhendés furent, en effet, remis aux allemands qui les transférèrent à Compiègne entre le 19 et le 30 octobre 1941. 44 des otages arrêtés ces jours-là dans le secteur de Rouen furent déportés dans le convoi du 6 juillet 1942. Beaucoup furent fusillés au titre de représailles dans les semaines qui suivirent.
(*) 150 selon “30 ans de luttes“, brochure éditée en 1964 par la fédération du Parti Communiste de Seine-Maritime.
[3] Revier : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient “révir”, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. » Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en Allemand Krakenbau (KB) ouHäftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus. Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation KB.
Sources :
Son nom (orthographié « BOLLELIER ») et son matricule figurent sur la Liste officielle n° 3 des décédés des camps de concentration d’après les archives de Pologne, éditée le 26 septembre 1946 par le ministère des anciens combattants et victimes de guerre, page 60.
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 375 et 416.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Bretagne (2002), citant : Claude-Paul Couture, ancien correspondant pour la Seine-M. du Comité d’Histoire de la 2° guerre mondiale (correspondance 8/4/1992) – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen.
Archives départementales de Seine-Maritime, site internet, archives en ligne : registre des naissances d’Yvetot, année 1904 (4E 17672), acte n° 102 (vue 54/86).
Archives départementales de Seine-Maritime, Rouen, site de l’Hôtel du Département : cabinet du préfet 1940-1946, individus arrêtés par les autorités de Vichy ou par les autorités d’occupation, dossiers individuels de Lh à Q (51 W 419), recherches conduites avec Catherine Voranger, petite-fille de Louis jouvin (“45697”).
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) : registre d’appel avec liste des détenus décédés.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 1439 (Stb. 2, 290-297), orthographié « Bolletier ».
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 18-08-2023)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.