Lucienne, Jeanne, Caccia naît le 3 juin 1915 à Gérardmer (Vosges), dans une famille d’immigrés italiens de quatre enfants. Son père, Luigi Caccia, est chef de chantier en maçonnerie, sa mère, Marie Gomi, est ouvrière bobineuse. Toute la famille possède la nationalité italienne.
Après le certificat d’études, Lucie est embauchée à l’usine de tissage de Gérardmer, où travaille sa mère.
Le 23 décembre 1932, Lucie se marie avec Lucien Mansuy, né vers 1909, garçon de café ; par ce mariage, l’épouse prend la nationalité française. Le couple demeure au 68, rue des Fabriques à Nancy (Meurthe-et-Moselle). En 1936, lui travaille à la Brasserie de France, elle est ouvrière en chaussures chez Lévy.
Militant communiste, secrétaire de cellule à Nancy, Lucien Mansuy s’engage dans les Brigades internationales pendant la guerre d’Espagne pour défendre la République espagnole contre la rébellion du général Franco soutenue militairement par Hitler et Mussolini. Arrivé le 14 avril 1938, il est affecté à la 3e compagnie du 4e bataillon (de quelle brigade ?). Le 28 juillet 1938, au cours de l’offensive républicaine du passage de l’Ebre (El paso del Ebro), il est tué devant Tortosa. Pendant cette période, Lucie a adhéré au Comité des femmes pour la lutte contre la guerre et le fascisme, aux Amis de l’Union soviétique, ainsi qu’au Parti communiste, mais sans y avoir de responsabilité.
Vers 1937, alors qu’elle est employée comme serveuse dans un café de la ville, dont la clientèle est en grande partie constituée de militants communistes, elle fait la connaissance d’Yves Despouy, qui y effectue son service militaire au 36e régiment d’Infanterie. Ils fraternisent du fait de leurs opinions politiques identiques.
Environ un an après la mort de son mari, Lucie rencontre Maurice Quédec à Nancy, alors qu’il se trouve « en tournée de propagande cinématographique pour le compte du Parti communiste ».
Maurice Quédec, né le 11 novembre 1909 à Quimper (Finistère), est domicilié au 14, rue Dénoyez à Paris 20e. Travaillant chez Renault à partir de 1936, celui-ci a adhéré au Parti communiste, étant membre avant-guerre des Comités de défense de L’Humanité et de l’association des Amis de l’Union soviétique.
Rapidement, le couple s’engage dans la Résistance, selon Charlotte Delbo : Lucie est agent de liaison, elle distribue journaux clandestins et tracts.
Maurice Quédec appartient au même groupe qu’Yves Despouy (“René”) et Jean Pottier (voir également Raymonde Salez et Lucie Pecheux).
À la mi-mars 1942, exploitant des informations obtenues lors des enquêtes ayant précédé et suivi les arrestations de l’affaire Pican-Cadras, des inspecteurs de la brigade spéciale 1 (BS1) des Renseignements généraux de la préfecture de police commencent la filature d’un résistant qu’ils désignent provisoirement comme « Ambroise », du nom de la rue Saint-Ambroise (Paris 11e) où il a été repéré la première fois, alors qu’il rencontrait le responsable non-identifié (?) d’un atelier de gravure situé au 81 rue Saint-Maur (situé peut-être dans l’arrière-cour), entre la rue Saint-Ambroise et l’avenue de la République. Onze policiers en civil suivent alors tous les contacts qui s’enchaînent entre militants et artisans clandestins, repérant notamment les adresses où ceux-ci pénètrent (les “logeant”). Sans le savoir, Arthur Tintelin met d’abord les inspecteurs sur la piste de l’appareil technique de propagande du Parti communiste clandestin, le réseau des “imprimeurs”, plus précisément sur les ateliers de gravure et de photogravure qu’il coordonne et dont il rémunère les artisans. Puis, d’autres filatures permettent aux inspecteurs de repérer différentes ramifications de l’organisation clandestine, pour lesquelles le couple Pitiot (considéré comme “charnière”) sert d’agents de liaison ; Renée, pour la “branche technique“, Gustave, pour la “branche politique”.
Dans la nuit du 17 au 18 juin 1942, le commissaire Fernand David, chef de la BS1, déclenche le vaste “coup de filet” policier concluant trois mois de surveillances et filatures par l’arrestation d’une soixantaine de personnes, appartenant soit au réseau des “imprimeurs”, soit à celui des Jeunesses communistes clandestines de la région parisienne.
Le 18 juin à 6 heures du matin, le couple Quedec-Mansuy est arrêté à son domicile par deux inspecteurs de la BS1. Aucun document compromettant n’est découvert sur eux ou chez eux.
Tous deux sont interrogés dans les locaux des Brigades spéciales des R.G. à la préfecture de police, puis écroués au Dépôt. Concernant les invitations à leur domicile d’Yves Despouy, Lucie réfute tout motif autre qu’amical après des retrouvailles fortuites place de la République. Aux policiers qui l’interrogent, elle confirme la venue de Despouy à deux ou trois reprises en compagnie d’un jeune homme de 25 ans environ prénommé Jean (Pottier), mais en ajoutant que celui-ci n’a alors tenté aucune démarche en vue de les faire participer à l’action communiste.
Le 13 juillet, le commissaire principal David demande au service de l’identité judiciaire de mesurer et photographier (méthode Bertillon) soixante-quatre personnes de l’affaire Tintelin détenues au Dépôt ; Maurice Quédec passe devant l’appareil le 14 août, Lucie Caccia, veuve Mansuy, passe devant l’appareil le 15 août.
Le 22 juillet, le dossier de procédure “Tintelin et autres” est transmis au SIPO-SD (police de sûreté nazie) de Paris, 11 rue des Saussaies.
Le 5 août 1942, trois membres de la M.O.I. (Main-d’Oeuvre immigrée) lancent deux grenades sur des militaires allemands qui s’entraînent au stade Jean-Bouin (Paris 16e) : deux d’entre eux sont tués, et vingt sont blessés, dont cinq grièvement. Cet attentat, est le plus meurtrier commis à Paris durant l’Occupation.
Le 10 août, par mesure de représailles, Carl Oberg, chef supérieur de la SS et de la police (HSSPf) en France décide l’exécution de quatre-vingt-treize otages sélectionnés en différents lieux de détention.
Le 11 août, après avoir été rassemblés pendant la nuit au fort de Romainville, sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), 88 hommes sont conduits au fort du Mont-Valérien, sur la commune de Suresnes (Seine / Hauts-de-Seine), pour y être fusillés dès l’aube ; parmi eux, trente hommes extraits du Dépôt, des membres du réseau des imprimeurs et de celui de jeunes communistes parisiens (Affaire Ambroise/Tintelin)… Parmi eux, Maurice Quédec. Les corps sont incinérés et les urnes funéraires dispersées dans différents cimetières.
Ce jour-là, le journal collaborationniste Le Matin publie un « Avis » signé d’un responsable SS : « Malgré plusieurs avertissements, le calme a de nouveau été troublé sur certains points de la France occupée. Des attentats ont été perpétrés contre des soldats allemands par des terroristes communistes à la solde de l’Angleterre. […] J’ai en conséquence, fait fusiller 93 terroristes qui ont été convaincus d’avoir commis des actes de terrorisme ou d’en avoir été complices ».
Le 20 août, Lucie Mansuy est transférée à son tour au fort de Romainville, en même temps que Christiane Charua (« Cécile »). Elle y est enregistrée sous le matricule n° 641.
Le 22 janvier 1943, Lucie Mansuy est parmi les cent premières femmes otages transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne ; leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent : « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » (transférée à Compiègne le 22.1)
Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL [1] Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir.
Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
Lucie Mansuy y est enregistrée sous le matricule 31648. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie de la police judiciaire allemande : vues de trois-quart avec un couvre-chef (foulard), de face et de profil (la photo d’immatriculation de Lucie Mansuy n’a pas été retrouvée).
Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.
Lucie Mansuy réussit à tenir dans le Kommando travaillant dans les marais et dans celui assurant le transport des briques, malgré un bras démis par un coup de bâton.
En avril, victime du typhus, elle est admise au Revier. Rétablie, elle part travailler au Kommando agricole de Raïsko où elle retrouve d’autres “31000”.
Le 7 janvier 1944, il est prévu qu’elle soit transférée au camp de femmes de Ravensbrück dans un petit groupe de jardinières de Raïsko, mais, constatée fiévreuse, elle doit retourner au Revier.
Remise de la maladie, elle rejoint les camarades de son convoi qui ont été placées dans le Block de quarantaine du camp des femmes.
Le 2 août 1944, Lucie Mansuy fait partie des trente-cinq “31000” transférées au KL Ravensbrück où elle arrivent le 4 ; la plupart étant enregistrées comme détenues “NN” (pas de travail hors du camp, pas de transfert dans un Kommando).
Le 2 mars 1945, Lucie Mansuy est parmi les trente-trois “31000” transférées au KL Mauthausen où elle arrivent le 5 mars après un voyage très pénible.
En les transportant de nuit, on envoie la plupart d’entre-elles à la gare de triage d’Amstetten pour boucher les trous d’obus et déblayer les voies quotidiennement bombardées par l’aviation américaine (trois “31000” seront tuées sous les bombes un mois avant la libération du camp).
Le 22 avril 1945, Lucie Mansuy Blateau fait partie des trente femmes prises en charge par la Croix-Rouge internationale et acheminées en camion à Saint-Gall en Suisse. De là, elles gagnent Paris par le train où elles arrivent le 30 avril. C’est le groupe le plus important de “31000” libérées ensemble, c’est le “parcours” le plus partagé.
Ayant tout perdu (le logement était au nom de Quédec, avec qui elle devait se marier), Lucie Mansuy retourne en usine comme découpeuse en métallurgie. Elle habite à nouveau le 20e arrondissement.
En 1965, vingt ans après son retour, elle raconte à Charlotte Delbo qu’elle reste hantée par le souvenir d’un gardien SS à cheval qui a cabré sa bête devant elle, sur le chantier où elle travaillait, la faisant tomber. Quand elle a voulu se relever, pour s’enfuir, le SS s’est acharné en excitant sa monture et Lucie a été piétinée.
Le 6 juillet 1992, Lucie Mansuy participe au voyage à Auschwitz organisé par des “45000” et “31000” rescapés pour commémorer le 50e anniversaire du départ du convoi d’hommes de 1942.
En 1995 (?), elle est interviewée, avec d’autres rescapées, par Claude-Alice Peyrottes et Alain Cheraft lorsqu’ils réalisent un film sur le convoi du 24 janvier.
Lucie Mansuy décède le 20 (?) février 2007. Un hommage solennel lui est rendu dans la cour de l’Hôpital des Invalides, à Paris.
À une date restant à préciser, un plaque commémorative a été apposée au-dessus du porche du 14, rue Dénoyez : « En ce lieu habita Lucie Mansuy née Caccia (1915-2007) résistante communiste déportée. En sa mémoire ».
Notes :
[1] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilise l’abréviation “KZ”.
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, les Éditions de Minuit, édition de 1993, pages 190-191.
Daniel Grason, site Le Maitron, Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français, à propos de Lucien Mansuy, citant notamment Arch. AVER. – Arch. RGASPI 545.6.45 ; à propos de Maurice Quédec, citant notamment Arch. PPo., BA 2117, BA 2299, KB 79, PCF carton 13 rapports hebdomadaires sur l’activité communiste pendant l’Occupation. – Serge Klarsfeld, Le livre des otages, ÉFR, 1979 ; Maurice Quedec, page 100, Yves Despouy, page 154, Jean Pottier, page 98. – Site Internet Mémoire des Hommes. – Site Internet CDJC VII-7.
Les fusillés (1940-1944), Dictionnaire biographique des fusillés et exécutés par condamnation et comme otage ou guillotinés pendant l’Occupation, sous la direction de Claude Pennetier, Jean-Pierre Besse, Thomas Pouty et Delphine Leneveu, Éditions de l’Atelier, 2015 ; Maurice Quedec, page 1509, Yves Despouy, pages 560-561, Jean Pottier, pages 1486-1487.
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : brigade spéciale anticommuniste des Renseignements généraux, “Affaire Tintelin” (GB 36).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 2-08-2024)
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