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- Auschwitz, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Marcel, Hyacinthe, Gaston, Couillard naît le 18 juin 1900 à Sanvic, agglomération du Havre (Seine-Inférieure / Seine-Maritime [1] – 76), chez ses parents, Stanislas Couillard, 31 ans, journalier, et Marie Follet, son épouse, 29 ans, demeurant au 6, rue de Constantine.
Le 13 août 1909, son père décède au domicile familial, au 61 rue Aimable Leblond à Sanvic, âgé de 40 ans.
Marcel commence à travailler comme cableur.
À trois reprises – 1918, 1920 et 1921 -, le conseil de révision du Havre ajourne sa participation au service militaire pour « faiblesse ».
Le 18 janvier 1922, Marcel Couillard est “inscrit maritime définitif” au quartier du Havre. Ajusteur, il est mécanicien sur bateaux.
À partir de 1922, il travaille pour la Compagnie générale transatlantique.
Début 1934, il habite avec sa mère au 7 rue Gambetta à Sanvic.
Le 19 février 1934, à Sanvic, Marcel Couillard se marie avec Suzanne Boizet, 28 ans, née le 27 mars 1905 à Auxerre (Yonne), habitant à la même adresse (partageant son “toit” ?). Les témoins au mariage sont André Couillard, navigateur, habitant au 7 rue Gambetta (!), et Eugène Couillard, chauffeur, domicilié 103 rue de la République à Sanvic.
Au moment de son arrestation, il est domicilié au 9, rue de la Solitude, à Sainte-Adresse, agglomération du Havre. Il est alors veuf avec deux enfants.
Supposé communiste, syndicaliste, Marcel Couillard est noté comme « meneur de grève sur le vapeur Île-de-France » (s’agit-il bien du grand paquebot du même nom ?) lors du grand mouvement du 30 novembre 1938, ce qu’il lui vaut d’être licencié par son employeur.
En décembre, il est embarque sur le Winipeg de la compagnie France-Navigation, bateau qui connaîtra un mouvement « communo-anarchiste » en rade de Valparaiso, au Chili, sans qu’il soit parmi les inculpés lors des poursuites qui ont suivi [2].
Jusqu’en septembre 1939, il est chauffeur-graisseur navigant.
Ensuite, de 1939 à 1941, Marcel Couillard, “réformé définitif”, est employé aux huileries Desmarais comme conducteur de machines.
Après l’interdiction du Parti communiste, Marcel Couillard transmet à Léon Bellenger les tracts que celui-ci diffuse « tant sur la voie publique qu’à ses camarades de travail ».
Le 21 janvier 1941, Marcel Couillard est arrêté, sur enquête du commissariat spécial du Havre, pour « distribution de tracts dans les queues pour le ravitaillement », avec L. Bellenger, de Sainte-Adresse, et Maurice Granjon. Lors des interrogatoires de police, Marcel Couiilard et Léon Bellenger admettent cette activité de propagande. Pris dans la même affaire, M. Vernichon, du Havre, est arrêté quatre jours plus tard à Bordeaux où son travail l’a amené.
Le 19 mars, le tribunal correctionnel du Havre condamne Léon Bellenger, Marcel Couillard et Maurice Vernichon à 13 mois d’emprisonnement chacun pour propagande communiste. Ils sont écroués à la Maison d’arrêt du Havre. La libération de Couillard et Bellenger doit s’effectuer le 27 février 1942, à l’expiration de leur peine, mais ils sont maintenus en détention sous le statut d’internés administratifs en attendant d’être remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci, conformément aux procédures ordonnées dans le “Code des otages”.
Dès le lendemain, 28 février, Marcel Couillard et Léon Bellenger sont transférés par la Feldgendarmeriede la Kreiskommandantur du Havre au camp allemand de Royallieu à Compiègne [3] (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Quand la liste d’otages de son secteur est établie par l’armée allemande, Marcel Couillard est considéré comme « communiste actif ».
Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Marcel Couillard est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45380. Sa photo d’immatriculation a été retrouvée et identifiée.
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Marcel Couillard est probablement dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.
En effet, à une date restant à préciser, il est admis au Block 28 de l’hôpital des détenus d’Auschwitz-I.
Il meurt à Auschwitz le 22 octobre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [4].
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 29-01-1988).
Notes :
[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.
[2] Le cargo Winnipeg est mis en service en 1918. Vendu en 1938 à la compagnie France Navigation, créée en avril 1937 pour assurer le ravitaillement en matériel militaire les républicains espagnols depuis l’URSS, il effectue au moins deux voyages pour charger des armes à Mourmansk. Un voyage est effectué vers Léningrad avec des membres du gouvernement républicain espagnol se rendant à Moscou, lesquels sont embarqués en clandestinité au Havre où ils reviennent tout aussi discrètement. En janvier février 1939, un nouveau voyage a lieu sur Mourmansk pour un transport d’armes. Fin mars, le bateau se porte au secours des républicains acculés à la mer dans le port d’Alicante. En juillet 1939, des transformations sont effectuées au Havre pour transporter des émigrés espagnols vers le Chili : des châlits sont installés dans les cales sur plusieurs hauteurs (à cette occasion, des scènes du film L’Émigrante de Leo Joannon avec Edwige Feuillère sont tournées à bord). Pablo Neruda, diplomate et poète installé en France, a eu un rôle de premier plan dans l’organisation de ce voyage. Le personnel à bord est insuffisant et un appel des volontaires permet de trouver 200 personnes pour aider aux cuisines, à l’hôpital, aux laveries. Le 4 août 1939, le Winnipeg quitte l’appontement de Trompeloup à Pauillac avec 2000 passagers dont 40 bébés. Valparaiso est atteint le 3 septembre, jour de déclaration de la guerre en France. Le gouvernement chilien, revenant alors sur le droit d’asile précédemment accordé aux Républicains espagnols, tente dans un premier temps d’empêcher le débarquement des réfugiés. De grandes manifestations populaires l’obligent à respecter ses engagements. Fin septembre, le consul de France exige des autorités chiliennes de Valparaiso l’arrestation de l’équipage, accusé de menées antipatriotiques et de propagande communiste. À son retour au Havre, le 21 décembre 1939, le Winnipeg est confié en gérance à la Transat. Ramenés à Bordeaux, les « mutins du pacifique », comme l’écrit la presse, sont accusés de s’être révoltés contre leur capitaine et d’avoir voulu livrer le navire à l’URSS. Fin mars 1940, malgré la campagne anticommuniste et les pressions exercées sur lui, le tribunal maritime de Bordeaux, considérant les accusations non fondées, prononce un acquittement général. (source : Lise London, La mégère de la rue Daguerre, éd. Seuil-Mémoire, page 23.)
[3] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller. À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp “C” est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transférés au camp de Drancy (Seine / Seine-Saint-Denis).
[4] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. S’agissant de Marcel Couillard, c’est le 9 septembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 377 et 400.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Haute-Normandie (2000), citant : liste d’otages de Rouen, FK 517, XLI-42, S.-I. n° 51 – Fiche allemande du 6 mai 1942 – Brochure 30 ans de luttes (éditée en 1964 par la fédération du Parti Communiste de Seine-Maritime), p. 53 – Liste établie par Louis Eudier (45523), du Havre, 1973 – Liste établie par la CGT, p. 3.
Archives départementales de la Seine-Maritime (AD 76), site internet, archives en ligne : registre d’état civil de Sanvic, année 1900 (E 13174), vue 53-54/179, acte n° 137.
Archives départementales de Seine-Maritime, Rouen, site de l’hôtel du département : cabinet du préfet 1940-1946, individus arrêtés par les autorités de Vichy ou par les autorités d’occupation, dossiers individuels (51w410 Aa-Bl), dossier de Léon Bellenger, recherches conduites avec Catherine Voranger, petite-fille de Louis jouvin (“45697”).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 186 (37050/1942).MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 21-12-2023)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.
- Auschwitz, le 8 juillet 1942.