- Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.
Marcel, Émile, Louis, Guilbert, dit “Mickey” naît le 5 décembre 1907 à Chartres (Eure-et-Loire), chez ses parents, Jules Edmond Guilbert, 30 ans, menuisier puis marchand de vin, et Irme Durand, 31 ans, épicière, domiciliés au 5 rue d’Allonnes. En l’absence du père, c’est le grand-père maternel de l’enfant, un vigneron, qui présente celui-ci à l’état civil. Marcel a une sœur plus âgée, Yvonne, née en 1899, et un frère, Gaston, né en 1902..
Au printemps 1932, Marcel Guilbert habite 32 rue Carnot à Boulogne-Billancourt [1] (Seine / Hauts-de-Seine – 92), et travaille comme tapissier (sellier).
Le 2 juin suivant, à la mairie de Boulogne-Billancourt, il épouse Germaine Maria Deshayes, 20 ans, née le 13 mai 1912 à Pussay (Seine-et-Oise). Le frère de Marcel, Gaston, alors mécanicien à Chartres, est témoin au mariage. Le couple aura un enfant.
Au moment de son arrestation, Marcel Guilbert est domicilié au 10, chaussée du Pont à Boulogne-Billancourt (dénommée avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny en avril 1952).
Marcel Guilbert est tapissier (sellier), probablement dans l’usine Matford créée en 1934 à Asnières-sur-Seine (Seine / Hauts-de-Seine) pour l’assemblage d’automobiles du groupe américain Ford.
À partir de 1937 et jusqu’à la dissolution de ces associations, il est membre des Amis de l’URSS et du Parti communiste (cellule Matford).
En décembre 1940, il est sollicité pour reprendre une activité clandestine et distribue des tracts dans sa localité.
Fin avril 1941, « À la suite d’une certaine recrudescence de la propagande communiste clandestine dans la baleine Ouest de Paris et plus particulièrement parmi l’élément féminin de Boulogne-Billancourt, le services de la préfecture de police [repèrent] un “centre clandestin” de confection et de diffusion… ». Le 28 avril, Marcel Guilbert est arrêté à son domicile, parmi dix-neuf personnes inculpées dans la même affaire, dont André Tiercelet, lequel l’aurait dénoncé. Les perquisitions opérées à leurs domiciles respectifs, et plus particulièrement chez Pierre Launay, ont permis aux policiers d’y découvrir une machine à ronéotyper fonctionnant à l’électricité, ainsi qu’un stock de papier vierge et une importante quantité de tracts prêts à être distribués.
Le 1er mai, inculpés d’infraction au décret du 26-09-1939, les dix-neuf (dont Joseph Kerhervé) sont conduits au Dépôt à disposition du procureur de la République. Marcel Guilbert est rapidement écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e).
Le 25 août, huit hommes et cinq femmes comparaissent devant la 12e chambre du Tribunal correctionnel de la Seine. Marcel Guilbert est condamné à dix mois d’emprisonnement pour infraction au décret du 26 septembre 1939 (il ne fait pas appel).
Le 8 septembre, il est transféré à l’établissement pénitentiaire de Fresnes [1] (Seine / Val-de-Marne), mais pour être conduit dès le lendemain à la Maison centrale de Poissy (Seine-et-Oise / Yvelines) ; matricule n° 2032).
Bénéficiant d’une réduction de peine d’un mois et treize jours, il est libérable le 18 janvier 1942 (à vérifier). Mais, dès le 16 décembre 1941, le préfet de police de Paris signe un arrêté ordonnant son internement administratif en application du décret du 18 novembre 1939. Le 26 décembre, les services du commandement allemand du Gross-Paris sont informés de cette décision
Pendant un temps, Marcel Guilbert est détenu au dépôt de la préfecture (Conciergerie, sous-sol du Palais de Justice, île de la Cité). Le 16 avril 1942, il fait partie d’un groupe de détenus enregistrés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Voves (Eure-et-Loir), où il reçoit le matricule n° 80.
Le 10 mai 1942, Marcel Guilbert fait partie des 81 internés remis aux “autorités d’occupation” à la demande de celles-ci et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet, Mickey Guilbert est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45640 (ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Mickey Guilbert est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.
Pendant un temps, il est assigné au Block 3a.
Là, il fait partie du petit groupe qui arrive à se retrouver le soir après le travail et qui développe un embryon d’organisation pour lutter contre l’isolement et développer l’entraide.
Le 16 septembre 1942, le nom de Marcel Guilbert est inscrit sur un registre de l’infirmerie des détenus (Revier).
Georges Dudal, revenu de Birkenau à Auschwitz-I le 17 ou 18 mars 1943 et qui a été pris comme cuisinier pour les SS responsables du camp des travailleurs civils, obtient que Mickey Guilbert puisse travailler auprès de lui comme tailleur. Allant porter des déchets de la cuisine jusqu’à la porcherie, G. Dudal sort clandestinement de la nourriture que M. Guilbert redistribue à partir de son propre poste de travail. C’est ainsi qu’ils peuvent faire entrer de la nourriture au Revier pour alimenter Fernand Devaux, épuisé. Assignés tous les deux au Block 23, M. Guilbert et G. Dudal ont un lit chacun.
Le 15 juin 1943, ils célèbrent ensemble la Sainte-Germaine, fête de leurs aimées respectives.
Le 4 juillet 1943, comme les autres “politiques” français (essentiellement des “45000” rescapés), Mickey Guilbert reçoit l’autorisation d’écrire (en allemand et sous la censure) à sa famille et d’annoncer qu’il peut recevoir des colis. À la mi-août, il est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) et mis en “quarantaine” au premier étage du Block 11. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.
Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.
A la fin de l’été 1944, Mickey Guilbert est parmi les trente-six “45000” qui restent à Auschwitz, alors que les autres sont transférés vers d’autres camps.
En janvier 1945, lors de l’évacuation générale d’Auschwitz et de ses Kommandos, il est parmi les vingt “45000” incorporés dans les colonnes de détenus évacuées vers le KL [2] Mauthausen (matr. 116.787). Le 28 ou 29 janvier, il est parmi les douze qui sont affectés au Kommando de Melk. Le 15 ou 17 avril, ce groupe estévacué à marche forcée vers Ebensee, plus au sud, province de Salzbourg, où des usines souterraines sont en cours d’aménagement. Le 6 mai 1945, ce camp est parmi les derniers libérés, par l’armée américaine.
Après la guerre, Marcel Guilbert, ayant conservé le logement familial, reprend son métier de tapissier-décorateur comme artisan à domicile.
Il reprend également une activité militante au sein du PCF comme membre de la cellule Muller-Timbaud de sa commune.
Le 24 novembre 1946, le PCF le présente comme candidat Grand électeur (élu) pour les élection sénatoriales. Le 26 avril 1953, puis le 8 mars 1959, le PCF le présente comme candidat aux élections municipales à Boulogne-Billancourt (non élu à ce dernier scrutin). Il est toujours « suivi » par les Renseignements généraux.
Mickey Guilbert décède le 17 janvier 1978 à Viabon (Eure-et-Loir).
Notes :
[1] Boulogne-Billancourt : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 173, 179, 228, 344, 352 et 353, 358, 381 et 407.
Cl. Cardon-Hamet, Mille otages pour Auschwitz, Le convoi du 6 juillet 1942 dit des “45000”, éditions Graphein, Paris nov. 2000, page 520.
Archives de Paris : archives du tribunal correctionnel de la Seine, rôle du greffe du 5 juin au 22 septembre 1941 (D1u6-5857).
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cabinet du préfet sous l’occupation, dossier individuel (1 W 741-28170) ; dossier individuel des Renseignements généraux (77 W 1648-77366).
Comité du souvenir du camp de Voves, liste établie à partir des registres du camp conservés aux Archives départementales d’Eure-et-Loir.
Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : dossier individuel (21 P 621 558), consulté par Ginette Petiot (message 09-2015).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, 19-10-2023)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.