- IDENTIFICATION INCERTAINE…
- Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.
Marcel, Victorien, Gohé naît le 11 février 1892 à Condé-sur-Noireau (Calvados), chez ses parents, Ferdinand Gohé, 35 ans, teinturier, et Céline Alphonsine Poix, 35 ans, son épouse, domiciliés rue de Vire. Marcel a deux frères aînés nés à Rouen : Julien Léon, le 16 juin 1875, une semaine après le mariage de ses parents, alors âgés de 18 ans (mineurs), et Robert Eugène, le 1er avril 1889.
Le 19 décembre 1897, leur père, alors contremaître en teinturerie, décède au domicile familial, à Bernay (Eure), 13, rue de la Poissonnerie, âgé de 42 ans ; son fils Julien, 22 ans, ouvrier teinturier, déclare son décès à l’état civil. Marcel a 5 ans.
Pendant un temps, Marcel Gohé habite à Saint-Léger-du-Bourg-Denis (Seine-Inférieure / Seine-Maritime [1] – 76), première commune à la sortie est de Rouen, travaillant comme imprimeur sur étoffes.
De la classe 1912, Marcel Gohé est exempté de service militaire en 1913 pour « défaut de taille » (il mesure 1 m 49).
Le 8 mars 1913, à Saint-Léger-du-Bourg-Denis (76), Marcel Gohé se marie avec Henriette Juliette Plaisant, née le 24 septembre 1891 dans cette commune où naîtront leurs trois premiers enfants : Henriette (comme sa mère), née en 1914, Marcel (comme son père), né en 1917, et Raymonde, née en 1919. Le même jour de 1913, dans la même mairie, son frère Robert épouse simultanément Germaine Henriette Plaisant, sœur aînée d’Henriette, née le 17 janvier 1890.
Marcel Gohé n’est pas mobilisé au cours de la Grande guerre : le 3 avril 1917, la commission de réforme de la Seine-Inférieure l’a maintenu exempté pour « faiblesse générale ».
En 1921, la famille habite rue du Vers (n° 42 ?) à Saint-Léger-du-Bourg-Denis ; une adresse partagée avec son frère Robert – ouvrier teinturier chez Blondel (peut-être Robert Blondel et Cie à Saint-Léger…) – et la famille de celui-ci. Marcel Gohé est alors ouvrier métallurgiste à la Chaudronnerie du Nord (?).
Au printemps 1926 et jusqu’au moment de son arrestation, Marcel Gohé est domicilié avec sa famille au 16, rue de Préaux à Darnétal (76), limitrophe au nord de Saint-Léger. En 1926, il est devenu teinturier chez Blondel, et son épouse est tisseuse dans l’usine de tissage mécanique Aubin, rue du Pont-Bellast. Leur quatrième enfant, Rémy, naît au début de cette année.
Dans les années suivantes, leur beau-frère Charles, Louis, Plaisant, né le 8 juillet 1888 à Saint-Léger-du-Bourg-Denis, ancien combattant de 1914-1918 (blessé, puis prisonnier), métallurgiste, syndicaliste, qui était parti travailler en banlieue parisienne, revient à Darnétal : au printemps 1926, il est domicilié rue Louis-Pasteur (… jusqu’à son arrestation). Il a pour fils René, Émile, né le 12 janvier 1915 à Saint-Ouen (Seine / Seine Saint-Denis).
En 1936, Marcel Gohé père et Marcel Gohé fils (19 ans) sont tous deux journaliers à la Réglisserie internationale G. Risser, Gundill & Lévy, rue Alsace-Lorraine. Ses filles Henriette (22 ans) et Raymonde (17 ans) sont devenues à leur tour tisseuses chez Aubin, alors que leur mère a quitté cet emploi industriel.
Avant son arrestation, Marcel Gohé est chauffeur de chaudière (selon sa déclaration à Auschwitz : « Heizer »), peut-être à la réglisserie…
Le 4 août 1941, répondant à une note du préfet de Seine-Inférieure datée du 22 juillet, le commissaire principal de police spéciale de Rouen transmet à celui-ci une liste nominative de 159 militants et militantes communistes de son secteur dont il préconise de prononcer l’internement administratif dans un camp de séjour surveillé, tous anciens dirigeants ou militants convaincus ayant fait une propagande active et soupçonnés de poursuivre leur activité clandestinement et « par tous les moyens » ; parmi eux, Marcel Gohé, Charles Plaisant, son beau-frère, et Marcel Genvrin, de Darnétal…
Selon son fils, Marcel Gohé « n’est pas communiste, mais résistant » (communication téléphonique du 12/6/1992).
Celui-ci est néanmoins arrêté le 22 octobre 1941, lors de la grande rafle des adhérents communistes et syndicalistes de l’agglomération rouennaise [2].
À une date restant à préciser, il est interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne [3] (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, Marcel Gohé est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Marcel Gohé est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45615 selon la liste reconstituée du convoi (la photo du déporté portant ce matricule a été retrouvée, mais n’a pas été identifiée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Marcel Gohé est dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I.
Notes :
[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.
[2] Le “brûlot de Rouen” et la rafle d’octobre 1941 : L’arrestation massive de plusieurs dizaines (*) de militants politiques et syndicaux – ou soupçonnés tels – a suivi de peu le déraillement d’un train de matériel militaire allemand sur la ligne Rouen-Le Havre, dans le tunnel de Pavilly, à 1500 m de la gare de Malaunay, le 19 octobre 1941 ; ce sabotage étant l’un des objectifs visés par le “brûlot” de Rouen (groupe mobile de la résistance communiste).
Néanmoins, les fiches d’otages des “45000” appréhendés dans cette période mentionnent que ces arrestations mettaient en application un ordre du Commandant de la région militaire A, daté du 14 octobre 1941. Ainsi, entre le 17 et le 25 octobre, il y eut le même type de rafles de “communistes” dans sept autres départements de la zone occupée. Il est probable que ces arrestations aient été ordonnées pour assurer la saisie de communistes destinés à être placés sur les listes d’otages de cette région militaire. En effet, tous les hommes appréhendés furent remis aux allemands qui les transférèrent à Compiègne entre le 19 et le 30 octobre 1941.
44 des otages arrêtés ces jours-là dans le secteur de Rouen furent déportés dans le convoi du 6 juillet 1942. Beaucoup furent fusillés au titre de représailles dans les semaines qui suivirent.
(*) 150 selon “30 ans de luttes“, brochure éditée en 1964 par la fédération du Parti Communiste de Seine-Maritime.
[3] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller. À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp “C” est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transféré au camp de Drancy (Seine / Seine-Saint-Denis).
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 375 et 406.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Basse-Normandie (2000), citant : Mairie de Darnétal – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen – Témoignages de L. Penner, H. Peiffer, E. Garnier.
Archives départementales du Calvados, archives en ligne ; état civil de Condé-sur-Noireau N.M.D. 1891-1894 (2 MI-EC 99), registre des naissances de l’année 1892, acte n° 20 (vue 131/545).
Archives départementales de Seine-Maritime, Rouen, site de l’Hôtel du Département : cabinet du préfet 1940-1946 ; individus arrêtés par les autorités de Vichy ou par les autorités d’occupation, dossiers individuels de P à Riv (51 W 420), recherches conduites avec Catherine Voranger, petite-fille de Louis jouvin (“45697”).
Archives départementales de Seine-Maritime, site internet du conseil général, archives en ligne : registre matricule du recrutement militaire, bureau de Rouen, classe 1912 (1 R 3329), n° 2754.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 358 (37267/1942).
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; acte de décès du camp.
Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression…, 1940-1945, éditions Tirésias, Paris 2004 ; I.74, Charles Plaisant, page 639.
Site Mémorial GenWeb : relevé n° 10028 par Jean Mamez (11/2002).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 14-10-2020)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.