Marcel, Eugène, Ouvrier naît le 2 août 1899 à Paris 6e, fils de Joseph Ouvrier, 25 ans, fabricant d’instruments de précision, et de Marie Martin, son épouse, 23 ans, couturière, domiciliés au 19, rue Saint-Placide. Cette dernière sera décédée au moment de l’arrestation de son fils.
Pendant un temps, Marcel ouvrier habite chez ses parents, alors domiciliés au 11, rue Rousselet à Paris 7e, et travaille comme fabriquant d’yeux artificiels.
Le 15 avril 1918, il est incorporé comme soldat de 2e classe au 113e régiment d’infanterie. Le 23 avril 1919, il est nommé caporal. Du 1er mars au 1er juillet 1920, il est « appelé à servir en Asie Mineure, en Turquie d’Asie ». Le 20 mai, il passe au 412e RI. Au Levant en guerre, il contracte le paludisme avec une anémie profonde et des fièvres si fortes qu’il doit être rapatrié en France. Le 8 novembre suivant, il passe au 89e RI. Le 23 mars 1921, il est renvoyé dans ses foyers, et se retire chez ses parents, titulaire d’un certificat de bonne conduite.
Pendant un temps, il habite au 61, rue de Sèvres (Paris 6e). En décembre 1923, il demeure au 27, boulevard Beaumarchais (Paris 4e).
Marcel Ouvrier est artisan émailleur oculariste, fabricant d’yeux artificiels.
Le 31 mai 1924 à Athis-Mons (Seine-et-Oise / Essonne – 91), Marcel Ouvrier se marie avec Yvonne Reinette Baptiste, née le 10 octobre 1897 à Châtillon-sur-Loire (Loiret). Il ont un fils, Jean, né en 1928 à Paris ; probablement Jean Germain, né le 21 février 1928 à Paris 4e.
Fin juillet 1930 et jusqu’au moment de son arrestation, Marcel Ouvrier est domicilié au 72, route de Morangis, villa Champs de Mars, à Paray-Vieille-Poste [1] (91), commune voisine.
Marcel Ouvrier est président de la section locale de l’Association Républicaine des Anciens Combattants (ARAC).
En mai 1935, il est élu conseiller municipal de Paray-Vieille-Poste sur la liste du parti communiste et deuxième maire-adjoint. C’est seulement ensuite qu’il adhère au PCF.
Il est déchu de son mandat au début de 1940.
Durant la guerre, il est mobilisé comme « affecté spécial » aux usines Hispano-Suiza de Bois-Colombes (Seine / Hauts-de-Seine), travaillant dans une cabine d’émaillage (après son arrestation, il sera déclaré comme manœuvre). Selon la police, il rentre régulièrement à son domicile, ce qui lui permet de poursuivre son activité militante. Mais, lui-même déclare ne pouvoir rentrer que tous les quinze jours, au changement d’équipe.
Lors de la débâcle, il rejoint – à vélo ! – son entreprise qui s’est repliées sur Tarbes (Hautes-Pyrénées). Quand il est démobilisé, le 4 juillet, après la signature de l’armistice, il retrouve sa famille à Florantin, près d’Albi (Tarn), où celle-ce était descendue se réfugier. Il reste sur place jusqu’au 20 août. Rentré à Paray, il trouve sa maison « visitée » et la remet en état. Il s’inscrit au chômage, puis trouve du travail au camp d’aviation d’Orly.
Sous l’occupation, la police française estime qu’il « peut-être considéré comme l’éminence grise du noyau communiste de Paray-Vieille-Poste », ayant « pris part à la réorganisation de la propagande locale ». Le 24 octobre 1940, le commissaire de police du 2e district, circonscription d’Athis-Mons, rédige un formulaire de « notice individuelle » sur lequel, au paragraphe « Résumé des motifs de l’arrestation », il indique : « Son internement administratif s’impose pour mettre fin à l’activité communiste locale ».
Le 26 octobre 1940, le préfet de Seine-et-Oise signe l’arrêté ordonnant l’internement administratif de Marcel Ouvrier. Le jour même, celui-ci est arrêté sur son lieu de travail, au camp d’Orly, et aussitôt conduit au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé au début du mois d’octobre 1940 dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt afin d’y enfermer des hommes connus de la police pour avoir été militants communistes avant-guerre.
Le 11 janvier 1941, Yvonne Ouvrier écrit au préfet pour solliciter la libération de son mari, argumentant que celui-ci n’a « participé à aucune cause politique depuis le début des hostilités ».
Le 18 janvier, le préfet sollicite l’avis du commissaire de police d’Athis-Mons, lequel répond six jours plus tard en reprenant son exposé d’octobre précédent pour justifier un avis défavorable à une libération.
Le 22 janvier, le commissaire spécial dirigeant le camp formule de son côté cette appréciation : « Cet interné […] travaille régulièrement depuis [son arrivée] à la corvée des bûcherons, il n’a fait l’objet d’aucune punition. Il a toujours manifesté un excellent esprit. Néanmoins, ses opinions sont demeurées les mêmes… ». Raison pour laquelle lui aussi émet un avis négatif.
Le 3 février, Yvonne Ouvrier est convoquée au commissariat d’Athis-Mons où lui est notifié le refus du préfet d’autoriser son mari à retourner « dans ses foyers ».
Lors de la « révision trimestrielle » du 6 mars, le commandant du camp renouvelle son avis défavorable sur l’éventualité d’une mesure de libération.
Le 27 juin 1941, avec cinq autres Paraysiens, Marcel Ouvrier fait partie d’un groupe de 88 internés communistes de Seine-et-Oise – dont 32 futurs “45000” – remis aux “autorités d’occupation” et conduits à l’Hôtel Matignon, à Paris, – alors siège de la Geheime Feldpolizei – où ils sont rejoints par d’autres détenus, arrêtés le même jour et les jours suivants dans le département de la Seine [2]. Tous sont ensuite menés au Fort de Romainville (sur la commune des Lilas, Seine / Seine-Saint-Denis), élément du Frontstalag 122. Considérés comme étant en transit, ils ne sont pas enregistrés sur les registres du camp [3].
Trois jours plus tard, les hommes rassemblés sont conduits à la gare du Bourget (Seine / Seine-Saint-Denis) et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par laWehrmacht (Polizeihaftlager). Pendant la traversée de la ville, effectuée à pied entre la gare et le camp, la population les regarde passer « sans dire un mot, sans un geste. Tout à coup nous entonnons La Marseillaise et crions « Des Français vendus par Pétain » [4]. Ils sont parmi les premiers détenus qui inaugurent ce camp créé pour les « ennemis actifs du Reich ».
Dix mois plus tard, le 5 mai, le préfet de Seine-et-Oise transmet au Conseiller supérieur d’administration de guerre [sic] de la Feldkommandantur 758 de Saint-Cloud une liste d’anciens internés d’Aincourt à la libération desquels il donne un avis défavorable – « renseignements et avis formulés tant par [ses]services de police que par le directeur du centre de séjour surveillé » ; liste accompagnée de « notes » individuelles avec copie traduite en allemand, dont celle concernant Marcel Ouvrier.
Entre fin avril et fin juin 1942, celui-ci est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Marcel Ouvrier est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45943, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Marcel Ouvrier.On ignore la date exacte de sa mort à Auschwitz ; probablement avant la mi-mars 1943. L’état civil français a enregistré le mois de janvier 1943 comme date de décès.
(aucun des cinq “45000” paraysiens n’est revenu)
Après la guerre, le Conseil municipal donne son nom à une avenue de la commune. Celui-ci est également inscrit sur le monuments aux morts de Paray-Vieille-Poste, situé dans le cimetière communal, comme résistant mort en déportation.
Notes :
[1] Paray-Vieille-Poste : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine-et-Oise (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] Les 88 internés de Seine-et-Oise. Le 26 juin 1941, la Feldkommandantur 758 de Saint-Cloud transmet au préfet du département de Seine-et-Oise – « police d’État » -, cinq listes pour que celui-ci fasse procéder le lendemain à l’arrestation de ressortissants soviétiques ou de nationalité russe ancienne ou actuelle, dont 90 juifs, et de républicains espagnols en exil, soit 154 personnes. La sixième catégorie de personnes à arrêter doit être constituée de « Différents communistes actifs que vous désignerez » (aucune liste n’étant fournie). Tous doivent être remis à la Geheime Feldpolizei, à l’Hôtel Matignon, à Paris.
Si aucun autre document n’atteste du contraire, c’est donc bien la préfecture de Seine-et-Oise qui établit, de sa propre autorité, une liste de 88 militants communistes du département à extraire du camp d’Aincourt.
Le 27 juin, le commandant du camp écrit au préfet de Seine-Et-Oise pour lui « rendre compte que 70 internés [du département] ont été dirigés aujourd’hui dans la matinée sur le commissariat central de Versailles et que 18 autres internés ont été dirigés dans le courant de l’après-midi à l’Hôtel Matignon à la disposition des Autorités allemandes d’occupation. Le départ de ces internés s’est déroulé sans incident. » Les listes connues à ce jour ne distinguent pas les deux groupes et réunissent les 88 internés.
Le 29 juin, l’inspecteur de police nationale commandant l’escorte conduisant le contingent de 70 détenus à Versailles, rend compte que le commissaire divisionnaire lui a ordonné de poursuivre son convoyage « jusqu’à l’Hôtel Matignon, à Paris, siège de la Geheime Feldpolizei. En passant à Billancourt, quelques internés du premier car ont montré le poing et des ouvriers qui allaient prendre leur travail ont répondu par le même geste. J’ai immédiatement donné des ordres aux gardiens pour que les internés rentrent leurs bras.
À mon arrivée à Paris, je me suis trouvé en présence d’une quinzaine de cars remplis de prisonniers ayant la même destination que les internés d’Aincourt et j’ai dû prendre la suite.
Le formalités d’immatriculation étant assez longues, j’ai dû attendre mon tour ; l’opération a commencé à 18 heures et s’est terminée à 19h15 ; je n’ai pu faire la remise que de 38 internés sur 88 venus d’Aincourt. En raison de l’heure, le chef de bureau de la Feldpolizei m’a fait savoir qu’il recommencerait l’immatriculation le lendemain matin à 8h15, d’avoir à revenir à cette heure-là. J’ai rassemblé les 50 internés restant dans les deux cars et ai libéré les camionnettes et les gardiens disponibles.
Je me suis aussitôt mis en rapport avec la préfecture de Seine-et-Oise afin de savoir où je devais conduire, pour passer la nuit, les 50 internés. Une heure après, je recevais l’ordre de les conduire au Dépôt, 4 quai de l’Horloge, et de continuer ma mission le lendemain matin. Cette formalité étant remplie, j’ai renvoyé les cars et le personnel à Versailles.
Le 28 juin, à 7 heures, j’ai continué ma mission qui a pris fin à 11 heures. Cette escorte s’est déroulée sans autre incident. »
[3] Arrestations de la fin juin 1941 dans le département de la Seine, témoignage d’Henri Rollin : « Le 27 juin 1941, vers 6 heures de matin, ma femme et moi nous sommes réveillés par un coup de sonnette. Trois inspecteurs de la police française viennent nous arrêter ; perquisition rapide sans résultat (nous avions la veille au soir distribué les derniers tracts que nous avions). Nous arrivons à l’hôtel Matignon où nous trouvons de nombreux cars et camions, résultat d’une rafle dans toute la région parisienne. Nous sommes remis par la police française aux autorités allemandes. Au moment de ma remise aux Allemands, j’ai aperçu qu’on leur donnait une petite fiche portant mon nom et la mention « communiste », soulignée à l’encre rouge. Nous subissons un court interrogatoire d’identité… Attente… Vers la fin de l’après-midi, départ en car. Arrivée au fort Romainville, fouille, identité. Départ de Romainville le 1er juillet, au matin, par train spécial et bondé au Bourget, arrivée l’après-midi à Compiègne. Le lendemain, même cérémonie, refouille et identité, ensuite la vie de camp… »
[4] De l’Hôtel Matignon au Frontstalag 122 : témoignage de Marcel Stiquel (déporté au KL Sachsenhausen le 24 janvier 1943). Son récit fait état de 87 internés (la liste en comporte 88) et d’un départ d’Aincourt étalé sur deux jours : les 27 et 28 juin 1941 (voir note ci-dessus).
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 356, 380 et 415.
Nadia Michel-Ténine, notice dans le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, t. 37, p. 392.
Archives de Paris, site internet, archives en ligne : extrait du registre des naissances du 6e arrondissement à la date du 3-08-1899 (V4E 8554), acte n° 2447 (vue 18/29).
– Archives de Paris : registres des matricules du recrutement militaire, classe 1919, 2e bureau de la Seine, volume 501-1000 (D4R1 2105), Ouvrier Marcel Eugène, n° 677.
– Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt, relations avec les autorités allemandes (1w73, 1w80), dossier individuel (1w144), Liste des 88 internés d’Aincourt remis le 27 juin 1941 à la disposition des autorités d’occupation (1w277).
Musée de la Résistance nationale (MRN) Champigny-sur-Marne (94) : carton “Association nationale de des familles de fusillés et massacrés”, fichier des victimes.
Site Mémorial GenWeb, 91-Paray-Vieille-Poste, relevé de Bernard Tisserand (2004).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 27-12-2016)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.