Marcelle Fuglesang naît dans le faubourg de Christiana (?) à Oslo (Norvège), le 21 février 1903, fille de Jørgan Jacob Fuglesang, 27 ans, Norvégien installé à Paris où il possède une affaire d’importation (“commissionnaire en marchandises”), et de Marguerite Claire Brunet, 24 ans, son épouse, fille d’un fabriquant de meubles parisien, mariés le 29 mai précédent à Paris 3e.
La France comme destin
En juillet 1914, le père de famille emmène sa femme et ses quatre enfants passer les vacances dans son pays, en Norvège, comme tous les ans.
La guerre les empêche de revenir en France. Monsieur Fuglesang se fait une nouvelle situation à Oslo et décide d’y rester. Mais Marcelle veut finir ses études à Paris. Elle tient sans doute plus de sa mère, qui est née française et de qui elle obtiendra la nationalité une vingtaine d’années plus tard.
En 1920, Marcelle Fuglesang est de retour à Paris. Elle y fait des études d’infirmière, d’assistante sociale, de puéricultrice. Elle aime la France, elle en adopte les manières, les idées, la religion : elle se convertit au catholicisme, pratiquant avec ferveur.
En 1931, elle est recensée comme infirmière à la Maison-école d’Infirmières Privées du 2 place de la Porte de Vanves.
Elle aime la France, elle en adopte les manières, les idées, la religion : elle se convertit au catholicisme, pratiquant avec ferveur.
Début 1936, « Mademoiselle Fuglesang » dépose une demande de naturalisation française auprès du service ad hoc (dépendant du bureau du Sceau du ministère de la Justice), qu’elle obtient fin mai, après examen de son dossier par la Sûreté nationale. Elle habite alors chez un oncle maternel, Louis Brunet, 84 ans, domicilié au 10 villa Saint-Jacques (14e arrondissement). Marcelle se déclare comme assistante sociale (?) au 44 rue de Lisbonne (8e arrondissement, quartier Europe).
Une fervente patriote
En 1939, elle exerce dans un sanatorium antituberculeux.
Début septembre, quand débute de la Seconde Guerre mondiale, elle s’engage dans l’armée comme infirmière. En avril 1940, quand part l’expédition militaire franco-britannique vers Narvik, afin de couper l’approvisionnement du IIIe Reich en minerai de fer suédois, nécessaire à son industrie de guerre, Marcelle Fuglesang fait valoir que sa connaissance du norvégien sera utile, et rejoint une antenne chirurgicale qui arrive dans le port au moment où le corps expéditionnaire français rembarque pour la France, sur ordre de l’amirauté britannique (24 mai-8 juin 1940).
Au prix de mille difficultés, Marcelle Fuglesang traverse la Suède, rentre en France.
Marcelle demande un nouveau poste. Le Secours national (SN) cherche une assistante sociale en chef pour Charleville (Ardennes) [1], en “zone interdite”. Les communications sont hasardeuses, le secteur dangereux. Marcelle Fuglesang met son sac sur son dos et rejoint ce poste.
À Charleville – où elle habite le cours Briand -, elle assume sa tâche : soulager et soigner.
Mais Marcelle Fuglesang veut faire plus, et son amour de la France en fait une vraie patriote.
La Résistance
L’occasion d’agir davantage se présente quand Paul Royaux crée un réseau d’évasion pour les prisonniers [2].
Charleville devient le maillon d’une chaîne qui part des Stalags et des Oflags, une étape sur la route de Besançon et de la Suisse.
Soldats français évadés et pilotes anglais arrivent à Charleville, sont pris en charge par le Secours national que dirige Marcelle Fuglesang, hébergés au centre d’accueil où on leur fournit papiers d’identité, vêtements, nourriture, billet de chemin de fer pour Besançon, mot de passe pour la personne qui, de là, leur fera franchir la frontière suisse.
L’arrestation
Les Allemands ne tardent pas à soupçonner l’existence de cette filière. Ils glissent, parmi les évadés, l’un des leurs. Celui-ci, se faisant passer pour britannique, se présente à Charleville.
Marcelle Fuglesang, qui sait l’anglais, se charge de l’interroger. Sans doute joue-t-il bien son rôle, puisqu’on le pourvoit du nécessaire comme les autres, et qu’il continue sa route.
Peu après, le 28 octobre 1942, Marcelle Fuglesang est convoquée à la Kommandantur. Elle s’y rend sans hésiter. Le faux Anglais est là. Marcelle Fugiesang prend tout sur elle. Elle ne peut cependant sauver Léa Lambert, la cuisinière du centre d’accueil, arrêté chez elle le même jour, ni Anna Jacquat.
Le coup de filet entraîne douze arrestations. Paul Royaux, fondateur de l’organisation, parvient à s’échapper. Recherché, il entre en clandestinité et quitte le département.
Le 10 novembre, les femmes arrêtées dans cette affaire sont conduites à la Maison d’arrêt de Saint-Quentin (Aisne) [3].
Le 19 décembre, Anna Jacquat et Marcelle Fuglesang sont transférées au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), première infrastructure du Frontstalag 122. Léa Lambert s’y trouve depuis le 4 décembre.
Marcelle Fuglesang y est enregistrée sous le matricule n° 1333.Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquant « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 21.1 »). Le lendemain, Marcelle Fuglesang fait partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris).
Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le lendemain matin, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites en camion à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille.
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et ceux-ci sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
Marcelle Fuglesang y est enregistrée sous le matricule 31826. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
En arrivant à Birkenau, Marcelle Fuglesang dit à Marie-Claude Vaillant-Couturier : « S’ils veulent nous faire travailler, nous refuserons. Ils ne peuvent pas nous forcer à travailler puisque nous sommes protégées par la Convention de Genève. »…
Pendant deux semaines, toutes sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail, mais pas de corvées.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie de la police judiciaire allemande : vues de trois-quart coiffée d’un couvre-chef (foulard), de face et de profil.
Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26 de Birkenau, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où se trouvent quelques compagnes prises à la « course » du 10 février [4]. Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.
Malade, Marcelle Fuglesang est admise au Revier où Marie-Jeanne Bauer est infirmière. Charlotte Delbo témoigne de leur échange aux portes de la mort : « Épuisée par la dysenterie, elle était lucide, sans fièvre. Elle a dit : “C’est fini. Je ne crois plus. Il n’y a rien.” Et Marie-Jeanne Bauer – la communiste, l’incroyante – lui a répondu : “Si Marcelle. Si, maintenant, il faut croire.” »
Marcelle Fuglesang meurt le 21 mars 1943, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), qui indique pour cause mensongère de sa mort « valvulopathie cardiaque » (Herzklappenfehler).
Ses parents, qui sont en Norvège, apprennent sa mort au retour des rescapées, par une cousine de Paris qui fait des recherches.
Marcelle Fuglesang est titulaire à titre posthume de la Croix de guerre, de la Médaille de la Résistance et de la Légion d’honneur.
Son nom est inscrit sur le Mémorial de Berthaucourt, érigé en mémoire des résistants et des déportés ardennais.
Notes :
[1] Charleville : En 1966, la commune fusionne avec Mézières et d’autres communes limitrophes pour former Charleville-Mézières.
[2] Paul Royaux, né le 23 février 1908 à Rocroi, garçon coiffeur à Charleville. Représentant de l’OCM (Organisation Civile et Militaire) dans les Ardennes dès 1941, Paul Royaux structure, autour du centre du Secours National à Charleville, une filière d’évasion de prisonniers de guerre. Dans le cadre de l’OCM, il met en place les UCR (Unités de Combat et de Renseignement) dont les objectifs étaient la collecte des informations et le stockage d’armes. À la fin du mois d’octobre 1942, quand la filière d’évasion est démantelée par la Gestapo, Paul Royaux doit quitter les Ardennes. Il laisse comme successeur son ami André Point, futur « Commandant Fournier » au sein des FFI. Royaux est alors affecté dans le département du Nord, où il devient « Max Duval », agent de liaison de Roland Farjon, chef de l’OCM pour la région A. Le 16 décembre 1943, il est arrêté par la Gestapo à Paris, condamné à la peine de mort par un tribunal militaire allemand, et fusillé au fort de Bondues (Nord) le 23 février 1944, jour de son 36e anniversaire.
[3] La Maison d’arrêt de Saint-Quentin : l’établissement – surnommé l’« Hôtel des quatre boules » – construit en 1841 dans un triangle compris entre le boulevard Henri-Martin et les rues de Longueville et Chanterelle, a été désaffecté en 1992, ses détenus étant transférés à la nouvelle prison de Laon, puis détruit en 2001. Le septembre 2010 a été inaugurée une plaque apposée sur un mur de la rue Longueville afin de rappeler l’existence de la prison et que, « Pendant la Deuxième Guerre mondiale, de nombreux résistants y furent emprisonnés avant d’être déportés ou fusillés ».
[4] La « course » par Charlotte Delbo : « Après l’appel du matin, qui avait duré comme tous les jours de 4 heures à 8 heures, les SS ont fait sortir en colonnes toutes les détenues, dix mille femmes, déjà transies par l’immobilité de l’appel. Il faisait -18. Un thermomètre, à l’entrée du camp, permettait de lire la température, au passage. Rangées en carrés, dans un champ situé de l’autre côté de la route, face à l’entrée du camp, les femmes sont restées debout immobiles jusqu’à la tombée du jour, sans recevoir ni boisson ni nourriture. Les SS, postés derrière des mitrailleuses, gardaient les bords du champ. Le commandant, Hoess, est venu à cheval faire le tour des carrés, vérifier leur alignement et, dès qu’il a surgi, tous les SS ont hurlé des ordres, incompréhensibles. Des femmes tombaient dans la neige et mouraient. Les autres, qui tapaient des pieds, se frottaient réciproquement le dos, battaient des bras pour ne pas geler, regardaient passer les camions chargés de cadavres et de vivantes qui sortaient du camp, où l’on vidait le Block 25, pour porter leur chargement au crématoire.
Vers 5 heures du soir, coup de sifflet. Ordre de rentrer. Les rangs se sont reformés sur cinq. “En arrivant à la porte, il faudra courir.” L’ordre se transmettait des premiers rangs. Oui, II fallait courir. De chaque côté de la Lagerstrasse, en haie serrée, se tenaient tous les SS mâles et femelles, toutes les kapos, toutes les polizeis, tout ce qui portait brassard de grade. Armés de bâtons, de lanières, de cannes, de ceinturons, ils battaient toutes les femmes au passage. Il fallait courir jusqu’au bout du camp. Engourdies par le froid, titubantes de fatigue, il fallait courir sous les coups. Celles qui ne couraient pas assez vite, qui trébuchaient, qui tombaient, étaient tirées hors du rang, saisies au col par la poignée recourbée d’une canne, jetées de côté. Quand la course a été finie, c’est-à-dire quand toutes les détenues sont entrées dans les Blocks, celles qui avaient été tirées de côté ont été emmenées au Block 25. Quatorze des nôtres ont été prises ce jour-là.
Au Block 25, on ne donnait presque rien à boire, presque rien à manger. On y mourait en quelques jours. Celles qui n’étaient pas mortes quand le “Kommando du ciel” (les prisonniers qui travaillaient au crématoire) venait vider le Block 25, partaient à la chambre à gaz dans les camions, avec les cadavres à verser au crématoire. La course – c’est ainsi que nous avons appelé cette journée – a eu lieu le 10 février 1943, deux semaines exactement après notre arrivée à Birkenau. On a dit que c’était pour nous faire expier Stalingrad. » (Le convoi du 24 janvier, pp. 37-38)
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 118-120.
Site Ardenne, tiens ferme, 1940-1944 : http://ardennetiensferme.over-blog.com/
Site de la section ardennaise des Amis de la Fondation pour la mémoire de la déportation (AFMD 08) : http://afmd08.over-blog.com/article-20043520.html
Archives nationales : fichier central de la Sûreté nationale, dossiers individuels de FIJ à FZ (19940445/286, 24311).
Archives de Paris, site internet, archives en ligne : registre du recensement 1936, 14e arrondissement, quartier du Petit-Montrouge (D2M8 820 – vue 143/214).
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Office for information on former prisonniers) : page extraite du registre des décès d’Auschwitz, acte n° 16189/1943.
Site Mémorial GenWeb, Charleville-Mézières, relevé de Sébastien Haguette (12-2002).
Virginie de Sumac, généalogiste amateur du Nord (59), message 08-2022, compléments biographiques.
MÉMOIRE VIVE
(dernière modification, le 26-10-2022)
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