Marguerite Marcelle Béziau naît le 28 novembre 1909 à Saintes (Charente-Inférieure / Charente-Maritime – 17), fille de Charles Béziau, 25 ans, chauffeur de locomotive, et de Marie Angèle Vignaud, 22 ans, son épouse. Le couple est installé chez les parents Vignaud, Octave et Marie, demeurent rue Pont-Amillon (quartier Saint-Pallais), proche de l’Abbaye aux Dames.
Au cours de la Première Guerre mondiale, son père est engagé dans la 9e section des Chemins de fer de campagne.
Le 27 janvier 1924, rue Gautier, voie proche, son père décède après avoir été longtemps malade. Marcelle a quinze ans. Elle doit ainsi gagner sa vie très tôt, sans avoir pu faire d’apprentissage après son certificat d’études..
En 1926, mère et fille sont revenues habiter chez les parents Vignaud. Marcelle est vendeuse « aux Galeries ». Sa mère est employée à la CIMT (?), comme son neveu René. Une sœur, Jeannine Charlotte, serait née le 2 janvier 1923, un an avant le décès du père (?).
Le 6 novembre 1926, à Saintes, Marcelle Béziau, âgée de 17 ans, épouse Alexandre Lemasson, 22 ans, né le 15 novembre 1904 à Asnières-sur-Seine (Seine / Hauts-de-Seine), un cheminot, chaudronnier. En 1930, le chemin de fer fait vivre 2500 familles saintaises (source Wikipedia).
Tous deux sont connus comme communistes à Saintes, où ils habitent “depuis toujours”, rue Pont-Amillon, une maison avec un jardin d’une « superficie de plusieurs ares ».
Le 27 mars 1942, dans la matinée, Octave Rabaté [1], alors responsable politique de la région des Charentes et de Loire-Inférieure du PC clandestin – en lien avec “Pierre” à Paris – arrive à Saintes par le train, porteur de fausses cartes d’identité pour le couple Normand, entré en clandestinité, et se rend chez Alexandre et Marcelle Lemasson. Le repas de midi est partagé avec trois autres membres de la famille – Jeannine, la sœur de Marcelle et son fiancé, ainsi qu’un oncle – qui repartent après déjeuner. En milieu d’après-midi, des inspecteurs des brigades spéciales de la police de Bordeaux se présentent à la porte de la maison. Octave Rabaté monte aussitôt au premier étage pour jeter par une fenêtre dans le jardin le tampon falsifié qu’il avait amené afin d’“officialiser” les cartes complétées de leurs photos ; il glisse celles-ci sous la porte d’une chambre.
Au cours de la perquisition, Alexandre Lemasson parvient à s’échapper en sortant par la fenêtre d’une chambre du rez-de-chaussée [2].
Pendant que les policiers fouillent la maison, Madeleine Normand (voir ce nom), qui attend dans un square que Marcelle Lemasson lui apporte les cartes d’identité attendues, prise d’impatience, vient voir ce qui motive ce retard. Ayant sous les yeux la photo collée sur sa fausse carte, les policiers la reconnaissent immédiatement. Interrogée, elle révèle qu’elle habite provisoirement avec son mari chez le cheminot Jean Poilane.
Le 1er avril 1942, après quatre jours d’interrogatoire par la 7e brigade de police mobile de Bordeaux, tout le groupe (Rabaté, Marcelle Lemasson, Poilane – qui seront déportés, et reviendront -, les époux Normand) est transféré à Paris et passe quelques jours dans les bureaux de la 1re brigade spéciale (anticommuniste) des Renseignements généraux pour de nouveaux interrogatoires. En effet : « Avec ces dernières arrestations, se termine définitivement l’affaire enclenchée à la suite des surveillances exercées à l’égard de Pican. » (à Paris) ; le lien est à vérifier…
Tous sont ensuite écroués au dépôt de la préfecture, sous le Palais de Justice, île de la Cité.
Le 29 avril, mises à la disposition des “autorités d’occupation” sur demande de celles-ci, les femmes sont conduites – “au secret” – à la division allemande de la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e) ; les hommes sont emprisonnés à la prison militaire du Cherche-Midi (Paris 15e), entièrement réquisitionnée par l’armée d’occupation.
Le 24 août, Marcelle Lemasson et Madeleine Normand font partie du groupe de trente-cinq résistantes communistes de la Seine et de province transférées au Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122, gardé par la Wehrmacht, où Marcelle est enregistrée sous le matricule n° 671.
Le 22 janvier 1943, Marcelle et Madeleine font partie des cent premières femmes otages sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne : leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » (transférée à Compiègne le 22.1).
Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.
Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
Marcelle Lemasson y est enregistrée sous le matricule 31670. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie appliqués par la police allemande : vues de trois-quart, de face et de profil (la photo d’immatriculation de Marcelle Lemasson a été retrouvée, puis identifiée par des rescapées à l’été 1947).
Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.
Sa camarade Madeleine Normand meurt le 23 février 1943 après avoir été battue par une Kapo.
Marcelle Lemasson contracte le typhus, puis en réchappe (Ch. Delbo).
Le 3 août, elle est parmi les survivantes placées en quarantaine dans une baraque en bois située en face de l’entrée du camp des femmes (celles qui ont été envoyées travailler au Kommando agricole de Raïsko étant considérées comme bénéficiant déjà d’une situation protégée). Charlotte Delbo précise : « La quarantaine, c’était le salut. Plus d’appel, plus de travail, plus de marche, un quart de litre de lait par jour, la possibilité de se laver, d’écrire une fois par mois, de recevoir des colis et des lettres. » Néanmoins, cinq Françaises, trop épuisées, y succombent encore. Pour les “31000”, cette période dure dix mois.
Dans la même période – après que leur présence ait “fuité” à la suite de quelques avis de décès parvenus en France -, les détenu·es politiques français·es d’Auschwitz et Birkenau survivant·es reçoivent le droit d’écrire à leurs proches (en allemand, sous visa de la censure du camp…).
En juin 1944, les “31000” de la quarantaine sont renvoyées au travail, mais affectées dans un atelier de couture moins épuisant où elles ravaudent les vêtements laissés par les Juifs « à l’entrée de la douche ». Des fenêtres de cet atelier, elles assistent à l’arrivée des convois de Juifs de Hongrie, débarqués sur une dérivation de la voie de chemin de fer qui se prolonge désormais à l’intérieur du camp.
Après le débarquement allié en France, un nouveau front s’est créé que le courrier ne franchit plus.
Le 2 août 1944, Marcelle Lemasson fait partie des trente-cinq “31000” transférées au KL Ravensbrück où elles arrivent deux jours après ; la plupart étant enregistrée comme détenues “NN” (pas de travail hors du camp, pas de transfert dans un Kommando) et assignées à un Block réservé.
Le 2 mars 1945, Marcelle Lemasson est parmi les trente-trois “31000” transférées au KL Mauthausen, en Haute-Autriche (annexée au IIIe Reich) à environ 22 km de Linz, où elles arrivent le 5 mars après un voyage très pénible. Aurait-elle pu y croiser son mari, Alexandre Lemasson, affecté au Kommando de Gusen ?
Ensuite, en les transportant de nuit, on conduit la plupart d’entre elles à la gare de triage d’Amstetten pour boucher les trous d’obus et déblayer les voies quotidiennement bombardées par l’aviation américaine (trois “31000” seront tuées sous les bombes).
Le 22 avril 1945, Marcelle Lemasson fait partie des trente “31000” prises en charge par la Croix-Rouge internationale et acheminées en camion à Saint-Gall (Sankt Gallen), au sud du lac de Constance, en Suisse alémanique.
De là, elles gagnent Paris par le train où elles arrivent le 30 avril. C’est le groupe le plus important de “31000” libérées ensemble, c’est le “parcours” le plus partagé.
En mal 1945, les époux Lemasson se retrouvent chez eux, à Saintes.
Le 29 octobre 1946, ils ont un fils.
Alexandre Lemasson décède le 20 mai 1988 à Saintes (Charente-Maritime).
Notes :
[1] Octave Rabaté, né le 13 mai 1899, militant du Parti communiste dès 1920. Transféré à Paris, il est incarcéré à la prison du Cherche-Midi, puis au fort de Romainville. Torturé, condamné à mort, il échappe à l’exécution et est déporté en avril 1943 au KL Mauthausen. Nommé à la tête du triangle de direction de la résistance communiste française à l’intérieur du camp, avec Maurice Lampe et Frédéric Ricol, est coopté à la direction de l’organisation de résistance internationale du camp. Rapatrié à fin avril 1945, il décède en juillet 1964, après une longue maladie.
[2] Alexandre Lemasson est arrêté à Souston dans les Landes le 29 août 1942, déporté NN dans le transport de 52 hommes parti de Paris, gare de l’Est le 6 septembre 1943, et arrivé à Sarrebruck (camp de Neue Bremm) le 7 septembre. Tous sont transférés le 16 septembre au KL Mauthausen (matr. 35159). Alexandre Lemasson est affecté au Kommando de Gusen. Il est libéré le 5 mai 1945 à Mauthausen.
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 176-177.
Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression…, 1940-1945, éditions Tirésias, Paris 2004, I.132, tome 2, page 1102.
MÉMOIRE VIVE
(dernière modification, le 18-10-2024)
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